République et canton de Genève

Grand Conseil

IN 129
Initiative populaire 129 : Fumée passive et santé
IN 129-A
Rapport du Conseil d'Etat au Grand Conseil sur l'initiative populaire Fumée passive et santé

Préconsultation

Le président. Nous sommes au point 155 de notre ordre du jour, l'initiative 129-A. Il s'agit du rapport du Conseil d'Etat au Grand Conseil sur la validité et la prise en considération de l'initiative populaire 129 «Fumée Passive et Santé». Je rappelle que, sur ce point, notre Conseil ne peut aujourd'hui faire qu'une seule chose, c'est renvoyer l'initiative à la commission législative pour qu'elle examine sa recevabilité juridique. Je comprends bien, pour en être particulièrement affecté moi-même, que ce texte puisse susciter des passions, mais le jour du débat politique n'est pas encore venu. Aujourd'hui, nous devons discuter de la recevabilité et, à vrai dire, dans la tradition de fonctionnement de ce Conseil, nous n'avons normalement pas de débat à ce stade. Néanmoins, plusieurs personnes ont déjà demandé la parole et je vais la leur donner. J'invite cependant les groupes et les députés à se rappeler que nous ne traitons que de la recevabilité formelle et à faire preuve de la plus grande diligence pour ne pas s'écarter du sujet traité et de la brièveté qui est de mise. La parole est à M. le député Christian Luscher.

M. Christian Luscher (L). J'avais appuyé tout à l'heure par erreur, Monsieur le président; j'appuierai peut-être à nouveau plus tard.

Le président. Cela commence très bien, je crois que mon message a été compris. Monsieur Plojoux ?...Une erreur ! (Rires. Commentaires.) Est-ce que Mme Fehlmann Rielle a aussi appuyé par erreur ?

Mme Laurence Fehlmann Rielle (S). Non, Monsieur le président ! (Elle rit.) Désolée de vous décevoir, ce n'était pas une erreur ! J'ai lu avec attention le rapport du Conseil d'Etat concernant cette initiative pour interdire la fumée dans les établissements publics et fermés. Je crois qu'on peut saluer ce rapport du Conseil d'Etat parce que ce dernier a fait une étude non seulement succincte, mais aussi rigoureuse du sujet. Il a fait le tour du problème et a notamment mis clairement en évidence les dégâts engendrés par le tabagisme actif et, en l'occurrence, le tabagisme passif. Il a également fait un état des lieux des différentes mesures qui ont été prises non seulement dans les pays d'outre-Atlantique, mais aussi dans les pays voisins comme l'Italie et l'Irlande, où cette mesure est plutôt bien perçue et bien appliquée.

Le rapport souligne que le tabagisme actif et passif constitue un des principaux problèmes de santé publique de notre pays. Par conséquent, le Conseil d'Etat dit souscrire pleinement aux objectifs de cette initiative. Par contre, à la fin de son exposé, il conclut au rejet de l'initiative et postule plutôt la formulation d'un contreprojet. Cette prise de position est due au fait que le Conseil d'Etat souhaite que l'on tienne compte du problème des fumeurs et des fumeuses qui se trouvent en milieu fermé, notamment en milieu carcéral ou psychiatrique, et qui seraient discriminés par la mesure promue dans l'initiative. Je crois que l'on peut tout à fait souscrire à cette réserve qui est légitime, d'autant plus que le tabagisme, comme vous le savez, est une dépendance, et une dépendance grave. On peut toutefois se demander s'il est vraiment nécessaire de faire un contreprojet et s'il ne serait pas possible, dans la loi d'application de cette initiative, si elle était acceptée, de tenir compte des exceptions que constituent les personnes fumeuses qui se trouvent en milieu fermé. Evidemment, cela sera traité par la commission et nous verrons ensuite ce que pourrait contenir un éventuel contreprojet. Pour l'heure, je pense qu'il faut retenir en tous cas un message, c'est que cette initiative est pleinement recevable aux yeux du Conseil d'Etat et je pense qu'il faut vraiment tenir compte de cette position.

Le deuxième message que j'aimerais faire passer, c'est qu'il faut faire vite. En effet, je rappelle que cette initiative a recueilli 20 000 signatures en un temps record et très facilement - même les fumeurs se précipitaient pour la signer ! Cela signifie que même ceux qui verraient un obstacle à ne plus pouvoir fumer dans les établissements publics se rendent compte que cette mesure peut leur être profitable. La population est donc prête à accepter une telle mesure. J'en veux pour preuve notamment un sondage effectué à Genève où il s'avère qu'environ 67% de la population y est favorable. Cette enquête est corroborée par un sondage mené par la Ligue suisse contre le cancer, cette fois-ci au niveau suisse, qui donne à peu près les mêmes chiffres, soit environ 64% de personnes seraient favorables à l'interdiction de fumer dans les établissements publics fermés. Les établissements publics eux-mêmes attendent, je crois, une décision. On sait que certains sont opposés à l'interdiction de fumer parce qu'ils craignent une baisse de leur chiffre d'affaires. Mais des enquêtes ont montré que cela n'était pas vérifié et qu'au contraire certaines personnes évitent les cafés et les restaurants parce qu'ils sont trop enfumés et vont dans les rares d'entre eux qui ont déjà pris des dispositions. Même les établissements publics sont donc maintenant prêts à accepter ce genre de mesures et ils aimeraient savoir sur quel pied danser. De plus, l'instauration de ces mesures instituerait une égalité de traitement. C'est pourquoi il importe de traiter cette initiative, voire un contreprojet, dans les meilleurs délais. C'est la responsabilité de notre parlement.

Mme Brigitte Schneider-Bidaux (Ve). Pour les Verts, cette initiative «Fumée passive et santé» qui, je vous le rappelle, a récolté 20 000 signatures, est reconnue comme recevable d'après le très bon rapport fait par le Conseil d'Etat. Je ne vais pas vous faire un cours sur les dangers de la fumée passive et de la fumée en général... (Brouhaha.) ... loin de moi l'idée de voter une loi liberticide, mais dans les circonstances actuelles, la liberté des uns, les fumeurs, empiète sur la liberté des autres, les non-fumeurs. L'enjeu est de ne pas être intoxiqué ou contaminé, et le mérite de cette initiative est la prise en compte collective de ce problème. Pour les Verts, il faut respecter les règles de la démocratie. Cette initiative, qui a été réputée recevable, doit suivre le processus nécessaire pour qu'elle puisse être votée par le peuple, qui décidera de ce qui va se passer dans les lieux publics.

M. Gabriel Barrillier (R). Comme Mme Fehlmann Rielle, j'aimerais souligner l'excellence de ce rapport, qui est vraiment une base concrète et complète pour un débat, qui, je l'espère, sera serein, en commission législative. J'ai apprécié la conclusion de ce rapport sur le caractère absolutiste des mesures proposées par cette initiative et sur la nécessité de travailler en commission législative à un contreprojet qui permette dans notre société de vivre avec une certaine liberté. Le groupe radical est donc favorable au renvoi de cette initiative à la commission législative.

Le président. Merci, Monsieur le député... de toute façon, nous n'avons pas le choix: nous devons renvoyer cette initiative à la commission législative. C'est la raison pour laquelle le débat peut être succinct.

M. Christian Luscher (L). A mon tour, j'aimerais féliciter le Conseil d'Etat de cet excellent rapport, qui visiblement avait d'abord été rédigé pour arriver à la conclusion de l'inconstitutionnalité, mais qui, j'imagine pour des raisons de politiquement correct, a abouti à la conclusion que cette initiative pouvait être soumise au peuple, non sans soulever, parce que le Conseil d'Etat est un gouvernement honnête et loyal, que, telle que formulée, cette initiative pose des problèmes de compatibilité avec le principe de proportionnalité prévu aux articles 5 et 36 de la Constitution. Le Conseil d'Etat relève d'ailleurs en droit comparé, tant en droit intra-helvétique qu'en droit international, que nous sommes les seuls à vouloir aller aussi loin. Peut-être qu'à trop bien vouloir servir les intérêts que l'on veut défendre, on les sert mal. C'est ce que nous analyserons sereinement en commission législative.

M. Pascal Pétroz (PDC). Le groupe démocrate-chrétien se réjouit également de débattre de cette question, voire même d'en découdre en commission législative. Il nous apparaît que cette initiative pose un certain nombre de problèmes juridiques, notamment en regard du principe de la proportionnalité. Personne ne conteste les dangers de la cigarette, tant en ce qui concerne ceux qui fument que ceux qui subissent la fumée. La question est de savoir s'il s'agit d'aliéner la liberté dans ce qu'elle a de plus profond et s'il y a lieu de déresponsabiliser les gens, d'être dans un Etat-providence et d'adopter une initiative liberticide... Il sera donc question en commission législative d'établir si cette initiative va trop loin. Je ne doute pas un seul instant que la commission législative apportera une réponse affirmative à cette question. Cette initiative pose des vraies questions, qui sont opportunes, mais elle va trop loin, raison pour laquelle la commission législative devra être particulièrement attentive aux aspects juridiques de ce texte. Il lui appartiendra de le sanctionner s'il apparaît que, sur un plan juridique, il va trop loin.

M. Claude Marcet (UDC). On dit que la liberté des uns finit où commence celle des autres. Le problème, c'est que bien souvent les fumeurs oublient que la liberté de ceux qui ne fument pas est de ne pas subir les effets de leur fumée. Je suis donc très content que cette initiative aille en commission, et je me permets de rappeler qu'il faut faire effectivement quelque chose. Manifestement, si nous devons aller trop loin pour revenir un peu en arrière par la suite, cela est totalement préférable à ne strictement rien faire, en nous laissant, nous les non-fumeurs, continuer à subir ce que nous n'avons pas envie de subir.

Le président. La parole est à M. le conseiller d'Etat David Hiler. (Rires.)

M. David Hiler, conseiller d'Etat. Eh oui, eh oui... (Applaudissements, rires.) Les hasards de l'existence font qu'il n'y a qu'un très gros fumeur dans notre conseil - vous savez que c'est moi - c'est précisément le suppléant de M. Unger, en charge du dossier. M. Unger étant opportunément retenu à Davos, je vais vous donner la position du Conseil d'Etat, après vous avoir précisé que personnellement je la partage entièrement. J'aimerais dire ceci: je vous remercie au nom du Conseil d'Etat des louanges qui ont été adressées au rapport. Je crois que ce rapport donne l'entier des éléments. On peut l'interpréter comme certains l'ont fait, on peut aussi l'interpréter comme M. Luscher l'a fait.

Quel est en réalité le fond de l'affaire ? Le Conseil d'Etat estime que, dans ses objectifs principaux, l'initiative est à soutenir. Simplement, au cours de son étude juridique et politique, il a mis le doigt sur un problème qui est sérieux: celui des personnes séjournant dans des lieux qui sont par définition publics. Cela ne concerne pas seulement les prisonniers ou les personnes séjournant dans un hôpital psychiatrique, mais aussi toute personne privée de mobilité qui serait dans une institution. Les buts généraux de l'initiative ne peuvent pas s'appliquer à cette catégorie de personnes. Il est évident que votre serviteur, si ce Grand Conseil devenait non fumeur, aurait la liberté en tout instant de rejoindre la sympathique cour de l'Hôtel-de-Ville et d'y fumer une cigarette. Ce n'est pas le cas de personnes qui sont en prison, dans un hôpital psychiatrique ou dans un EMS, et qui n'ont pas la liberté, excusez-moi d'être un peu trivial, d'aller griller une clope sur le trottoir. C'est à ces personnes qu'il faut penser.

Il y a donc un choix à faire: soit on considère, comme certains l'ont fait, que cette question de la proportionnalité doit se trancher devant les tribunaux, au quel cas, on est pas partis pour laisser le peuple s'exprimer, soit on estime au contraire qu'il est urgent de conclure à la recevabilité de cette initiative, d'appliquer strictement les principes très libéraux qui sont ceux de notre constitution par rapport au droit d'initiative et de répondre politiquement à une question politique. Ceci, j'en suis désolé pour ceux qui aimeraient aller très vite, ne peut que passer par un contreprojet qui gomme de cette initiative les dispositions qui ne sont, aux yeux du Conseil d'Etat, acceptables ni en droit ni en politique. La démarche est donc bel et bien de faire un contreprojet parce que, Madame la députée Fehlmann Rielle, non - on a beau tout faire à Genève - on ne peut pas faire des lois d'application qui démentent d'emblée les principes contenus dans une initiative populaire. Est-ce pour cela qu'il faut aller lentement, Monsieur Marcet ? Non. Si la commission législative déclare rapidement cette initiative recevable et si un consensus s'installe sur la nécessité d'un contreprojet, il faudra que ce parlement, qui a le dernier mot, décide du contenu de ce contreprojet.

En ce qui concerne le Conseil d'Etat, sa position est extrêmement claire: le contreprojet doit contenir toutes les dispositions de l'initiative et prévoir explicitement le cas des personnes qui pour une raison ou une autre ne peuvent pas fumer hors d'un «lieu public». Ceci étant fait, le parlement devra décider si, dans sa majorité, il accepte ou refuse cette initiative. Mais s'agissant d'un problème de santé publique très facilement compréhensible par tous, auquel les citoyens s'intéressent, il est surtout urgent que le peuple ait le dernier mot, quoi qu'en pense le Conseil d'Etat ou le Grand Conseil. Si nous sommes, et je crois que c'est le cas en Suisse, dans une démocratie d'adultes, c'est le peuple, sans embrouilles juridiques, qui doit répondre et notre responsabilité, votre responsabilité, est de proposer un texte qui ne pose pas de problème d'interprétation juridique ni avant la votation ni après. Voilà, Mesdames et Messieurs, en résumé, la position du Conseil d'Etat. Pour le reste, les travaux se poursuivront comme il se doit en commission législative dans un premier temps.

Le rapport du Conseil d'Etat IN 129-A est renvoyé à la commission législative.

L'IN 129 est renvoyée à la commission législative.