République et canton de Genève

Grand Conseil

GR 425-A
Rapport de la commission de grâce chargée d'étudier le dossier de Monsieur C. L. I. (alias J. A., A. I.)

La présidente. Je donne la parole à Monsieur le rapporteur.

M. Robert Iselin (UDC), rapporteur. Je n'ai pas fait de rapport.

La présidente. Vous n'avez pas fait de rapport, Monsieur Iselin ?

M. Robert Iselin. J'ai fait un rapport oral à la commission, oui. J'ai deux ou trois choses à ajouter. Pour la bonne compréhension du parlement, je pourrais peut-être répéter de quoi il s'agit. On est devant une demande en grâce d'une mesure d'expulsion présentée par M. ...

Des voix. On ne donne pas les noms !

La présidente. Pas de noms, Monsieur Iselin !

M. Robert Iselin. A part cela, cette personne a deux autres identités - professeur d'anglais et charpentier. M. C.L.I. a demandé l'asile sous un nom le 17 mars 2002; sa demande a été rejetée en 2003. M. C.L.I. s'est marié le 8 novembre 2003 au Nigéria avec une Suissesse d'origine africaine. Son épouse habite à Bienne, elle ne veut pas quitter la Suisse et bénéfice d'une rente AI.

En octobre 2003, contrôlé dans une voiture qui allait de Suisse en Allemagne, M. C.L.I. est arrêté suite à la découverte de drogue; il est renvoyé au Nigeria dont il est revenu pour aller en France, où il a demandé l'asile et semble l'avoir obtenu puisqu'il touche 300 euros par mois en France. L'ayant condamné pour être allé en Allemagne avec de la drogue, le tribunal de Bâle a prononcé une peine de nonante jours d'emprisonnement avec un sursis de deux ans et trois ans d'expulsion ferme. Les faits qui ont entraîné, le 21 mars 2005, la condamnation de «XY», alias et alias, à quinze mois de réclusion et à une expulsion pendant cinq ans du territoire suisse - jugement confirmé par arrêt de la Cour de justice du lundi 20 juin 2005 - sont les suivants... (Brouhaha.)

La présidente. Monsieur le rapporteur, voulez-vous avoir la gentillesse d'être un peu plus synthétique et un peu plus clair, on ne vous entend pas très bien...

M. Robert Iselin. La police a mis sur pied une vaste opération de contrôle. Dans ce cadre, elle a arrêté une Noire - «Z» -, sans antécédents judiciaires, qui transportait un plastique dans lequel se trouvait de la cocaïne sous forme de poudre blanche - 36% - emballée dans du papier d'aluminium et présentant l'aspect d'une grosse boule. Cette dame a immédiatement déclaré qu'elle détenait ce plastique de «XY», lequel le lui avait remis. En outre, elle n'a jamais modifié ses déclarations, selon lesquelles elle ne savait pas ce que contenait cet emballage. D'abord, «XY» a nié l'essentiel et indiqué qu'il avait rencontré «Z» par hasard et qu'elle savait ce qu'il y avait dans le plastique - «XY» n'a pas hésité à vouloir lui faire porter le chapeau. En ce qui concerne «Z», toute la question a tourné autour de ce point: savait-elle ou pas. ... Le tribunal a estimé qu'elle ne savait pas, et il est arrivé à cette conviction après que, suite à d'innombrables interrogatoires - il n'y a qu'à voir l'épaisseur du dossier - la police eut débrouillé ce qu'il faut bien qualifier de montagne de mensonges de la part de «XY». En ce qui concerne...

La présidente. Monsieur le rapporteur, quel est le préavis de la commission, s'il vous plaît.

M. Robert Iselin. Le préavis ? Oui, mais le préavis de la commission dépend de cela. En ce qui concerne «Z», le tribunal a considéré qu'elle devait être mise au bénéfice de l'erreur sur les faits et il a souligné sa naïveté: elle a été acquittée. En revanche, «XY» a été condamné à quinze mois de réclusion et à une détention administrative en vue d'une expulsion de cinq ans. Actuellement, «XY» demande la grâce de l'expulsion pour pouvoir rejoindre son épouse qui ne veut pas quitter la Suisse et touche l'AI. Dans sa requête, il demande pardon pour ce qu'il a fait. Après avoir menti pendant la plus grande partie de l'instruction, il se déclare prêt à effectuer toutes les tâches d'intérêt public qui seraient jugées nécessaires pour démontrer son repentir sincère.

Cela a été jugé suffisant par la majorité de la commission de grâce - soit sept personnes sur onze - pour la lui accorder. Il faut ajouter que «XY» est un maniaque du téléphone portable, avec en moyenne 61 appels journaliers sur une période de deux mois - quant à «Z», avec trente-six Natel différents... Il faut se demander à quoi ces conversations pouvaient bien servir.

La présidente. Merci, Monsieur le rapporteur !

M. Robert Iselin. En ce qui me concerne, je suis absolument opposé à la grâce concédée à «M. XY».

La présidente. Monsieur le rapporteur, vous devez être le représentant de la majorité de la commission, je vous le rappelle. Et, d'après mes documents, la majorité de la commission demande la grâce de la peine d'expulsion.

M. Christian Luscher (L). Je vais saisir l'occasion de ce cas pour rappeler un certain nombre de principes qui, à mon sens, s'appliquent dans les trois affaires que l'on traite aujourd'hui.

On parle d'une double peine. En réalité, on devrait parler de principes du droit pénal et de principes du droit administratif. Je vous donne un exemple: si un citoyen genevois reçoit une amende pour avoir circulé trop vite et se voit, par conséquent, également retirer son permis de conduire, la contravention relève du droit pénal tandis que le retrait de permis est une sanction administrative. Je suis absolument certain que si quelqu'un ayant commis cette violation de la loi sur la circulation routière venait réclamer sa grâce et que, par hasard, le Grand Conseil graciait cette personne, jamais le Service des automobiles ne lèverait le retrait de permis consécutif à la violation de la loi sur la circulation routière !

Il n'y a donc absolument pas une double peine; il y a des principes de droit pénal et des principes de droit administratif, de sorte que - et je l'ai déjà dit souvent devant ce parlement - nous faisons dans ces cas-là ce que le docteur Aubert appelle «du blanchiment de conscience». En effet, quoi que nous décidions ici sur le plan pénal, à supposer que nous gracions cette personne, il est évident que parallèlement, et conformément au droit fédéral et au droit cantonal administratif, elle se verrait notifier une interdiction d'entrer sur notre territoire. Parfois, cela peut choquer. Ici, cela ne me choque pas du tout, quand j'entends ce que ce monsieur a fait. Nous avons affaire à quelqu'un qui a menti, qui a essayé de tromper la Justice; nous avons affaire à quelqu'un qui a été condamné pour un trafic de drogue dure - on parle de cocaïne. C'est manifestement, selon les dispositions légales mentionnées dans les documents qui nous ont été remis, un cas grave d'infraction à la loi sur les stupéfiants.

En conséquence de quoi, en ce qui me concerne, jamais je ne donnerai le message à notre population, lorsque quelqu'un a commis des infractions aussi graves et, en plus, a menti aux autorités judiciaires, que cette personne mérite d'être graciée par notre parlement ! Raison pour laquelle je m'opposerai avec vigueur au préavis de la commission. (Applaudissements.)

M. Pierre Kunz (R). La majorité de la commission, de gauche pour la circonstance, a voté d'accorder la grâce sur la mesure d'expulsion à ce monsieur. J'aimerais vous dire, non pas en termes juridiques mais en termes très prosaïques, pourquoi je suis totalement en faveur de la double peine. La Suisse, ce n'est pas l'Australie du XIXe siècle! La Suisse est une terre généreuse d'accueil et d'asile, mais ce n'est pas une terre d'immigration, et encore moins pour les voyous! C'est pourquoi le principe général de la double peine ne me choque absolument pas sous prétexte qu'il est destiné entre autres à des étrangers qui sévissent chez nous. Voilà pourquoi j'invite vraiment ce parlement ne pas gracier ce monsieur !

M. Gilbert Catelain (UDC). Outre le fait que j'abonde dans le sens de l'argumentation développée par M. Luscher, j'avais juste un problème d'écoute. Vu le brouhaha qu'il y avait dans la salle, je n'ai pas bien entendu l'argumentation du rapporteur et je lui proposerais de recommencer son discours... (Rires. Exclamations.)... sans quoi je serai dans l'impossibilité de voter. Et je le prierai de bien vouloir parler dans le micro ! ( Chahut.)

La présidente. Monsieur le député, je ne crois pas que j'accepterai votre proposition.

Mme Anne-Marie Arx-Vernon von (PDC). Je crois important de rappeler que nous n'avons pas à refaire les débats qui ont eu lieu en commission. Et les commissaires doivent les relater suffisamment clairement à leurs collègues pour que l'on n'ait pas à recommencer le travail. Lorsque l'on annonce le résultat des votes, il me semble que, si tout le monde est attentif, on saura se faire une opinion.

M. Robert Iselin (UDC), rapporteur. Je voulais simplement dire que le cas est, sans en avoir l'air, passablement compliqué, parce qu'il a fallu X interrogatoires de police pour arriver à établir la vérité. En fait, on se trouve devant quelqu'un qui, en tout cas, a trafiqué de la drogue et, deuxièmement, a voulu faire porter le chapeau à une innocente.

La présidente. Nous vous proposons de clore la liste. Sont encore inscrits: MM. Christian Brunier et Roger Deneys.

M. Christian Brunier (S). J'aimerais faire appel à la cohérence. On a entendu M. Luscher et M. Kunz être excessivement durs et prôner une application ferme de la loi, avec un discours tel que: «Pour la sécurité, nous ne voulons pas de voyous chez nous; nous voulons des gens qui respectent la loi...». Sur ce point, nous sommes tous d'accord ! Mais ce n'est pas ce que nous sommes en train d'analyser.

La personne a été en prison pour ce qu'elle a commis - et c'est normal, ce monsieur avait fait du trafic de drogue. Néanmoins, nous sommes dans un notre régime qui veut que, parce qu'il est étranger, il subit une peine de plus que les autres. Si un Suisse avait trafiqué la même chose, il ne serait pas expulsé. (Remarques. Brouhaha.)C'est le régime de double peine !

Je veux bien que l'on soit dur, mais soyons-le dans toutes les situations! Ceux qui prônent aujourd'hui la dureté sont bien plus tolérants face à la criminalité de la circulation: ce qui tue le plus à Genève actuellement, ce sont les accidents de la circulation. Et quand il s'agit de gracier les chauffards, à la commission de grâce, vous êtes d'un laxisme impressionnant ! (Protestations.)

Par ailleurs, je note que M. Kunz a déclaré qu'il ne voulait pas que des voyous viennent en Suisse... J'espère que son parti votera toutes les lois contre le blanchiment d'argent - ce n'est pas ce que vous faites à Berne !

M. Roger Deneys (S). Monsieur Iselin, ce qui me dérange beaucoup dans votre présentation de ce dossier, c'est que vous parlez des raisons pour lesquelles cette personne a été condamnée. En fait, ce n'est pas exactement ce qui intéresse la commission des grâces. Ce qui intéresse la commission des grâces, c'est effectivement ce que la personne a commis comme délit, mais aussi, bien entendu, pour quelle raison elle demande une grâce.

Et il y a en général des conditions de vie, d'existence, des faits nouveaux, qui motivent la demande de grâce, ce qui ne veut pas dire que nous allons forcément l'accepter. Mais je suis désolé: on ne peut pas instruire un dossier de cette façon, en ne mentionnant que les éléments à charge de la personne et sans donner les raisons qui motivent sa demande de grâce !

C'est pourquoi je suis assez déçu de cette manière de présenter le dossier. C'est le hasard du tirage au sort qui l'a voulu, mais il n'est absolument pas normal que personne, ici, ne sache pourquoi cette personne a demandé la grâce.

M. Robert Iselin (UDC), rapporteur. Je suis désolé, mais j'ai été tout à fait clair: pour démontrer son repentir sincère, «M. XY» se déclare - et c'est le seul aspect positif de tout cela, si ce qu'il dit est la vérité, ce qui n'est pas certain - prêt à effectuer toutes les tâches d'intérêt public qui seraient jugées nécessaires. Vous permettrez que j'aie de la peine à croire quelqu'un qui a menti pendant de nombreux mois, et de façon assez gratinée !

Mis aux voix, le préavis de la commission (grâce de la peine d'expulsion) est rejeté par 42 non contre 19 oui et 5 abstentions.