République et canton de Genève

Grand Conseil

M 1442-A
Rapport de la commission de l'enseignement et de l'éducation chargée d'étudier la proposition de motion de MM. Thomas Büchi, Pierre Froidevaux, Jean-Marc Odier, Louis Serex, Pierre Kunz, Hugues Hiltpold, Gabriel Barrillier visant à recentrer l'école publique sur sa mission fondamentale, soit la transmission des connaissances, à maintenir les notes à l'école primaire et à instaurer un moratoire sur les expériences pédagogiques, celles en cours et celles envisagées par le Conseil d'Etat

Suite du débat

M. Jacques Follonier (R), rapporteur de majorité. Mesdames et Messieurs les députés, j'ose espérer que, ce soir, nous arriverons à terminer ce débat que nous avons entamé il y a fort longtemps et qui, à mon sens, nécessite quand même qu'on se penche un peu plus longuement dessus.

Depuis quelque temps, on parle beaucoup des notes, et c'est assez étrange de constater que les gens qui veulent les voir disparaître prétendent régulièrement que celles-ci ne sont pas importantes et que, finalement, elles ne sont pas le point essentiel de ces réformes. J'aimerais vous faire comprendre aujourd'hui à quel point les notes sont importantes. Pour cela, il faut se souvenir que la réforme a été mise sur pied dans le seul but d'enlever les notes. Vous me direz que cela paraît étrange; pourtant, c'est exactement ce qu'on a fait.

On nous a fait croire que la réforme et la suppression des notes avaient des vertus pédagogiques importantes, alors qu'en réalité elles ont une vertu socio-économique. Pourquoi ? On s'est aperçu, il y a quelques temps - pas mal d'années, je dois dire - que, tant que l'école ne posait aucun problème au niveau social et qu'il n'y avait pas de très grand clivage, on n'avait pas de réelle difficulté à attribuer une note. Au bout d'un certain temps, les clivages ont été si importants qu'il a bien fallu rééquilibrer les choses pour ne pas donner la sensation aux élèves qui n'atteignaient pas un certain niveau de ne pas être à la hauteur. Voilà la raison sociale de la suppression des notes !

La raison économique est la plus importante: au bout d'un certain temps, on s'est aperçu que la question du redoublement constituait un grand problème. Les redoublements ont fini par causer un tel encombrement dans nos classes que ce n'était plus supportable économiquement. Pour pouvoir éviter ce problème, ainsi que celui de la socialisation, il n'y avait qu'une seule solution: supprimer les notes.

Mais avant de prendre cette décision, nous avions choisi une solution intermédiaire, qui a duré quelques années, et nous avions simplement expliqué - le corps enseignant l'avait parfaitement compris - qu'il fallait rééquilibrer les notes à des valeurs inférieures, de manière que, artificiellement, les barèmes remontent et qu'on ait l'impression d'avoir une école toujours à la hauteur de ce qu'on souhaitait pour Genève. Ce système a des limites: tant qu'on peut aller de l'avant, on peut cacher une partie de ce défaut, mais il arrive un moment où ce n'est plus suffisant. Quand nous sommes arrivés à ce moment-là, nous avons suggéré à l'ensemble de la population que la meilleure réforme consistait à supprimer les notes, de sorte qu'on n'ait plus de contrôle et, surtout, plus de redoublements. Mais je pense qu'on est en train de faire une grave erreur !

Nous voyons dans les nouvelles réformes en marche, et notamment en celle du cycle de quatre ans dans le cadre du cycle moyen, à quel point on part vers des dangers énormes ! J'en veux pour preuve le fait que, concernant le redoublement, une troisième mesure a été prise, et cela devient de plus en plus grave: le redoublement n'existera plus, puisqu'on donnera des appuis dans l'année suivante, voire durant le cycle suivant. Mais il y aura bien un moment fatidique, un moment charnière ! Tout le monde le sait, ce sera l'année de 6P. Que fera-t-on à ce moment-là? On se retrouvera tout aussi démunis que nous l'avons été lorsqu'on a artificiellement changé la valeur des notes.

Je crois que ce n'est pas dans cette direction que nous devons aller. Aujourd'hui, une réforme doit être faite, mais une refonte complète, passant par une compréhension de l'école et par la mise en place d'un système éducatif qui soit non seulement cohérent, mais aussi efficace. Si nous ne sommes pas capables de le faire, c'est peut-être de notre faute, mais fermer les yeux en disant que les notes sont sans intérêt, je crois que ce n'est pas acceptable.

Tous ceux qui ont eu l'occasion d'avoir en main ce petit livret - je le tiens à disposition de ceux qui voudraient le voir, car beaucoup de gens en parlent sans l'avoir vu ! - savent que les évaluations faites aujourd'hui dans le cycle moyen se résument à «satisfaisant», «très satisfaisant» ou «peu satisfaisant». Est-on «peu» ou «très peu» satisfaisant ? Si l'on est «satisfaisant», l'est-on plus que celui qui a moins bien travaillé ? Tout cela est très compliqué... Je pense que si l'on veut instaurer des évaluations, on peut imaginer qu'elles temporisent un peu la notation. Mais je ne pense pas qu'un élève puisse être content de s'entendre dire qu'il est «très satisfaisant», «satisfaisant» ou «peu satisfaisant». Comme disent certains, on peut avoir de la peine à comprendre le système de notes, mais je pense qu'il est plus efficace.

En dehors de cela, j'aimerais bien que tout ne se cristallise pas autour des notes, même si c'est un point très important aujourd'hui.

Il est essentiel de se rendre compte que des réformes ont eu lieu, que certaines sont en cours, que d'autres arriveront, et qu'on a tous le droit d'être au courant. On a le droit d'y participer aussi et, surtout, je crois qu'on a au moins le devoir de demander une évaluation de ces réformes. Je crois en effet qu'on ne peut pas exiger d'un département d'avoir la science infuse et de faire ce travail à lui seul ! J'en veux pour preuve une des réformes, peut-être pas les plus importantes mais assez spectaculaires, et qui est en train de passer complètement inaperçue: vous savez tous - je n'en doute pas - que cette rentrée des cycles d'orientation verra arriver pour les classes de neuvième la fameuse note du regroupement B à 4,8. Cette note signifie simplement que tout élève qui, en fin de neuvième, n'aura pas 4,8 de moyenne dans le cadre du regroupement B, n'aura pratiquement plus aucune porte de sortie en-dehors des classes d'accueil ou des classes spécialisées. C'est un énorme problème, et je suis scandalisé qu'on ait commencé l'école alors qu'à ma connaissance les élèves de neuvième n'ont même pas été avertis de ce qui les attend en fin d'année !

Quand on voit cette manière de faire par rapport aux réformes, je pense qu'il est grand temps que notre parlement se mêle aussi de cela et demande quelques explications avant qu'on aille trop loin et qu'on dérive peut-être de manière trop spectaculaire. Je vous remercie.

Le président. Je rappelle aux rapporteurs qu'ils sont soumis à la règle des sept minutes. Oui, Monsieur Follonier, vous regardez votre montre... Je confirme que vous avez dépassé ce temps-là ! Monsieur Christian Brunier, vous avez la parole en qualité de rapporteur de minorité.

M. Christian Brunier (S), rapporteur de minorité ad interim. Mesdames et Messieurs les députés, je crois qu'on est en plein paradoxe ! Et en écoutant M. Follonier, on replonge encore plus dans les paradoxes.

Premièrement, M. Follonier nous a répété une chose qui apparaît dans son rapport ainsi que dans la motion des radicaux, soit que l'école est «mauvaise» aujourd'hui et «insatisfaisante» - ce sont les termes utilisés. Or pour corriger le tir, il nous recommande de présenter un moratoire sur les réformes. Excusez-moi, mais lorsqu'on constate que quelque chose est mauvais, on ne donne en tout cas pas comme remède de ne rien changer ! Au contraire, M. Follonier devrait dire qu'il faut tout changer, si l'école est aussi mauvaise qu'il le prétend. C'est le premier paradoxe.

Le deuxième est le suivant: les radicaux s'élèvent aujourd'hui contre les réformes, mais, lorsqu'on leur demandait en commission de quelles réformes ils parlaient, ils étaient bien empruntés pour répondre. Alors, je me suis amusé à considérer les derniers votes sur l'école qui ont eu lieu dans ce parlement. Il n'y en a pas beaucoup, parce qu'il y a relativement peu de chose à ce sujet dans les lois et parce que ce parlement se prononce relativement rarement sur l'école.

Toutes les réformes que nous avons votées ont été approuvées par les radicaux. J'en cite quelques-unes: pour le moratoire sur l'introduction de la nouvelle maturité, la minorité de gauche demandait d'avoir une année supplémentaire afin de mettre en place cette nouvelle maturité imposée au niveau fédéral, tout simplement parce que les collèges n'étaient pas prêts pour implanter cette nouvelle matu... (Remarque.)Refus des radicaux ! Concernant la diminution des moyens de manière linéaire, sous le régime monocolore, je n'ai jamais entendu les radicaux s'élever une seule fois contre le démantèlement de l'école ! (Protestations.)Vous avez applaudi à chaque fois !

Ce n'est pas une réforme, Monsieur Kunz ? Excusez-moi, mais, si vous démantelez l'école, vous ne pouvez pas venir vous plaindre ensuite du fait que l'école soit mauvaise ! L'école est devenue mauvaise parce que vous avez voté des coupes linéaires aveugles dans un domaine essentiel pour le développement de la société. Aujourd'hui, nous sommes en train de le payer très cher, et vous en êtes responsables !

Sur la nouvelle grille horaire du cycle d'orientation que vous - vous ! -avez condamnée dernièrement en commission, il faut dire que vous l'aviez approuvée ! Il y avait des motions de la gauche prévoyant que cette nouvelle grille horaire apporterait des dommages importants aux cycles: vous avez, quant à vous, applaudi cette nouvelle grille !

Sur la réforme du primaire, la gauche a toujours dit qu'il s'agissait pédagogiquement d'une réforme intéressante, mais qu'il fallait y mettre des conditions. Nous voulions des objectifs clairs à cette réforme! Or aujourd'hui, les objectifs sur la réforme du primaire ne sont toujours pas clairs. Nous voulions une formation des enseignants pour qu'ils comprennent ce qu'était cette réforme, mais il y a encore de nombreux professeurs qui ne savent pas l'expliquer, parce qu'ils n'ont pas reçu de formation adéquate.

Nous avons requis des moyens supplémentaires, car - vous le savez très bien - toute réforme en nécessite, du moins à son lancement. Et nous avons demandé que les réformes soient régulièrement évaluées, parce que même une bonne réforme a peu de chances de réussir tout de suite. Pendant les années où nous avons commencé à développer cette réforme dans les écoles primaires, la gauche émettait constamment des préoccupations; les radicaux n'ont pas bougé une seule fois.

Alors, on vous entend aujourd'hui, vous êtes catastrophés ! Je trouve d'ailleurs que vous salissez l'école d'une manière un peu excessive. Et à force de «vomir» sur l'école, il ne faut pas vous étonner si les gens ne la considèrent plus comme une institution ! Or il est primordial qu'elle soit considérée comme une institution importante.

Et M. Follonier est extraordinaire aujourd'hui ! Il nous dit qu'il ne faut pas que le débat se cristallise autour des notes... Il a raison. Mais le problème, c'est que vous ne menez le débat qu'autour des notes, Monsieur Follonier ! Cela est lamentable !Les notes sont un moyen, et non un but de la réforme. Il n'y a aucune raison qu'on occulte aujourd'hui toute la problématique pédagogique pour ne s'occuper que des notes. Pour ce qui est des notes, venons-en ! Vous êtes aussi en plein paradoxe: vous dites qu'il faut réintroduire les notes, alors qu'elle n'ont même pas disparu de la plupart des écoles; vous dites que les manques de l'école genevoise mis en évidence par l'étude PISA sont liés aux réformes... (Protestations.)Vous ne l'avez pas dit, mais c'est écrit dans votre motion initiale ! (Remarque de M. Follonier.)Si vous le contestez, vous n'êtes pas solidaire de votre parti ! (M. Follonier tente de répliquer.)Laissez-moi parler !

Le président. Monsieur Follonier, vous vous taisez !

M. Christian Brunier. Monsieur Follonier, vous êtes membre du parti qui a déposé cette motion. Alors, désolidarisez-vous-en officiellement maintenant, je n'attends que ça ! Cette motion recommande de réagir à l'étude PISA...

Le président. Monsieur Brunier, adressez-vous au président ou à l'ensemble du Grand Conseil !

M. Christian Brunier. Je m'adresse à vous, Monsieur le président ! Votre parti, Monsieur le président - ça tombe bien ! - disait que l'étude PISA montrait que les réformes n'étaient pas à la hauteur des ambitions initiales, alors que l'étude PISA a évalué un grand nombre d'écoles qui n'ont jamais été soumises à cette réforme. Vous citez en exemple l'étude PISA, mais vous oubliez de dire que le pays en tête de l'évaluation, c'est la Finlande, que la Finlande travaille en classes hétérogènes, et qu'elle n'a pas de notes durant tout le primaire. Cela ne l'empêche pas d'être le pays qui, à première vue, réussit le mieux à l'évaluation PISA. (Remarque.)Ce sont les chiffres de l'étude ! Il faut la lire.

On ne peut pas prendre dans une étude ce qui nous arrange et rejeter ce qui ne nous convient pas ! C'est vrai qu'aujourd'hui une évaluation claire de la réforme est nécessaire, qu'il faut des moyens pour réussir cette réforme, mais ce n'est pas en arrêtant tout qu'on améliorera cette école prétendument si mauvaise ! Ce n'est pas un point de vue que nous partageons sur les bancs de gauche. Nous pensons qu'il y a des choses à améliorer, mais, lorsque on dit que le niveau baisse, on oublie que chaque génération a cette impression... Je crois néanmoins que le niveau culturel de notre jeunesse est plus élevé que celui que nous avions.

Votre motion n'est pas bonne, elle rejette, entre autres, tous les aspects de sociabilisation de l'école. On ne peut pas instituer une école où il n'y a que de l'acquisistion des connaissances. L'acquisition des connaissances est un point important - que nous avons d'ailleurs toujours soutenu en défendant la loi sur l'instruction publique - mais nous pensons aussi que l'apprentissage de vivre en société est tout aussi important, et on le voit ces derniers temps. Donc, nous croyons que les notes ne doivent pas être un dogme, car il y a moult systèmes d'évaluation tout aussi performants, et même plus ! Une député libérale a l'habitude de dire qu'un 4 de moyenne ne veut pas dire grand chose; puisqu'un enfant qui a eu «2» au premier trimestre, «4» au deuxième et «6» au dernier, aura 4 de moyenne ! Mais ce ne sera pas un «4» équivalent à celui qui a eu «6» au premier trimestre, «4» au deuxième et «2» au dernier... D'un côté, nous avons un enfant dont le niveau baisse sensiblement et, de l'autre, un enfant qui se développe et qui est en pleine progression. C'est dire si l'évaluation par les notes est très restrictive, tandis qu'une évaluation formative apporte certainement plus aux enfants, à leurs parents et aux enseignants.

Le président. Je demande instamment aux orateurs de contenir leurs flots d'éloquence. Vous aussi, Monsieur Brunier, vous avez largement dépassé votre temps de parole ! J'interromprai les prochains orateur. Le Bureau a décidé de clore la liste des intervenants, car nous ne voulons pas donner des suites et des suites à ces débats... Monsieur Barrillier, vous avez la parole.

M. Gabriel Barrillier (R). Je me suis déjà exprimé lors de la première partie de ce débat, mais j'aimerais quand même mettre l'accent sur certains points s'agissant de cette motion. La première chose que j'aimerais dire, c'est que, grâce aux radicaux, nous avons un débat démocratique sur l'école. Même le chef du département qui s'est beaucoup exprimé depuis quelques jours - rentrée oblige ! - a accepté ce débat démocratique autour de l'école, en reconnaissant sa nécessité. C'est le peuple qui, en dernier recours, décidera, et c'est au pouvoir politique de lui préparer le terrain. Ce débat doit avoir lieu puisqu'une initiative qui a récolté 28 000 signatures - presque 30 000 ! - a été déposée. Nous sommes dans une démocratie semi-directe, nous devons donc débattre de ce problème.

Deuxièmement, nous entendons revaloriser l'institution ! Vous n'avez pas lu notre motion, parce que, manifestement, vous êtes aveuglé, Monsieur Brunier ! Nous voulons revaloriser cette institution qui a perdu des plumes, qui n'est plus crédible. Nous voulons revaloriser la position des enseignants qui demandent cette revalorisation, puisqu'ils sont une multitude à avoir signé l'initiative ARLE.

Troisièmement - écoutez-moi, Monsieur Brunier ! - nous avons, pas plus tard que la semaine dernière, passé au crible les chiffres actuels de l'entrée en apprentissage dans ce canton. C'est une catastrophe ! Je ne m'en réjouis pas, et le président du département connaît ce problème, lui qui a bourlingué avec moi dans les organes tripartites qui suivent cette question, essaient de revaloriser l'institution, cherchent à améliorer le passage entre les formations de base et les formations professionnelles. Il m'a confirmé qu'on allait travailler pour améliorer cela.

Monsieur Brunier, la rentrée est catastrophique ! On a un problème, et ce n'est pas les notes ! C'est un problème de préparation de toute cette population de jeunes filles et de jeunes gens qui va être paumée, Monsieur Brunier ! (Protestations de M. Brunier.)

Quand vous dites que le niveau est meilleur, je vous réponds que non, et j'en suis désolé, le niveau n'est pas meilleur ! Ce n'est pas une critique contre ces jeunes gens et ces jeunes filles, puisque c'est nous qui devons leur apporter les armes et les outils pour pouvoir s'adapter et entrer en apprentissage correctement, la tête haute. Ce n'est pas de la théorie, ça ! (Remarques. Le président agite la cloche.)

Les invites qui ont été travaillées en commission indiquent très clairement qu'il faut procéder à l'évaluation régulière des réformes entreprises, ceci avant de les poursuivre ou de les étendre. C'est bien un moratoire qu'on demande, même si ce terme n'apparaît pas dans la motion ! Qu'est-ce qu'un moratoire ? On examine, on regarde et, ensuite, on décide si l'on arrête, si l'on corrige ou si l'on continue. Ce moratoire est nécessaire, parce que tout le monde le demande, les enseignants les premiers - j'en connais beaucoup - et surtout en primaire, veulent un moratoire. Vous l'avez dit: les enseignants ne savent pas quelle direction prendre, parce que le travail a été mal fait, que la réforme a été mal introduite.

En dernier lieu, je m'adresserai au chef du département, chez qui on a pu déceler ces derniers temps une certaine compréhension du problème posé. Le chef du département est un homme intelligent, il a vu qu'une volonté populaire ressortait de ce débat. Mais je vous le dis, Monsieur le président du département, il faut qu'il y ait une volonté réelle, et que vos déclarations d'examiner et d'évaluer se traduisent dans les faits ! Il ne faudrait pas que ce ne soit qu'une contorsion politique.

Mme Janine Hagmann (L). D'abord, Monsieur le président, j'aimerais juste faire une petite remarque: il me paraît un peu dommage que, pour une fois qu'on traite d'un sujet pédagogique, vous nous demandiez à tous d'être très brefs, sous prétexte que nous sommes très pressés. On a aussi repris, avant la pause et avant de parler de cette question, un sujet qui avait été traité il y a deux mois, et vous n'avez pourtant pas interrompu les gens. Il me semble donc que, pour une fois qu'on parle de pédagogie, il faut que les personnes puissent dire ce qu'elles ont sur le coeur, car c'est vraiment très important.

Quand on considère l'impact médiatique qu'a eu ce sujet avec la rentrée, les interviews et les émissions que le chef du département a accordées, on se rend bien compte que c'est un thème actuellement chaud et qu'il faut qu'on en parle dans cette enceinte.

On ne va effectivement pas refaire le débat déjà tenu il y a deux mois, mais je vous rappelle que le groupe libéral accepte les invites de cette motion telles qu'elles ont été écrites en commission, et rien d'autre. Les invites de cette motion demandent une école de qualité, une école valable qui permette de développer tous les savoirs. Nous soutenons ces invites et vous demandons de les accepter sans aucune modification. A partir de là, n'oubliez pas que le chef du département de l'instruction publique a un grand mandat: il doit préparer un contre-projet. Cela nous a été annoncé - cela nous a été promis ! Ce contre-projet se servira vraisemblablement de ces invites s'il y a une nette majorité pour leur mise en place.

Quand je dis que le groupe libéral soutient les invites de cette motion, j'aimerais bien qu'on ne me fasse pas dire ce que je ne dis pas, car il ne s'agit pas d'un soutien inconditionnel à l'initiative d'ARLE. L'initiative d'ARLE, bien qu'elle ait récolté 28 000 signatures - et je l'ai déjà dit dans cette enceinte - a tout de même un côté populiste. Elle traite de sujets que les gens ne connaissent pas bien, alors que la pédagogie est devenue une science. C'est une science enseignée à l'université et l'on ne peut pas, dès lors, la traiter comme n'importe quel sujet, mais on doit faire appel aux savoirs de professeurs qui ont mené des recherches depuis plusieurs années dans ce domaine.

Vous aviez dit qu'on ne focaliserait pas le débat sur les notes, mais c'est tout de même ce qui s'est passé ! J'ai vite repris mes notes de commission pour aujourd'hui... Que disait le professeur Bronckart - qui est quand même une sommité reconnue internationalement - sur les notes ? Il disait: «La note ne doit pas être un raccourci pratique qui n'exprime pas grand-chose sur les détails et les raisons de sa fixation. L'évaluation est quelque chose de très exigeant.»

De plus, quand ARLE fixe tout le débat sur la note, dites-moi de quelle note il s'agit ! D'une note moyenne ? M. Brunier m'a citée: vous savez parfaitement que je suis personnellement tout à fait opposée à une note moyenne ! Pourquoi le groupe libéral a-t-il accepté cette motion et l'invite qui demande qu'une note soit rajoutée ? Je l'ai dit il y a deux mois: on n'a jamais raison tout seul. Si 28 000 personnes demandent à être rassurées par une note, je pense qu'il faut qu'une note soit rajoutée aux commentaires. Pour moi, la note n'est cependant pas la traduction principale de l'évaluation, ce sont les commentaires qui comptent le plus.

Monsieur Follonier, ce n'est pas tout à fait correct de dire que, dans les carnets que vous aviez en main, les élèves n'étaient évalués que par «satisfaisant», «très satisfaisant» ou «peu satisfaisant»... Je vois régulièrement les carnets de mes petits-enfants lorsqu'ils les reçoivent, et je vous assure que, grâce au travail que les maîtres et maîtresses effectuent par leurs commentaires - qui ont beaucoup plus d'importance que le «satisfaisant» ou «insatisfaisant» - vous découvrez des données sur vos propres gosses, que vous n'aviez pas découvertes vous-mêmes. Ces évaluations sont donc très importantes et il faut les maintenir.

La formation et la sélection des élèves font évidemment partie des tâches principales de l'évaluation scolaire, mais les deux opérations poursuivent des buts différents. Les fonctions de l'évaluation des élèves doivent donc être adaptées à leurs buts, et les mêmes moyens ne peuvent convenir à des objectifs différents. Je pense que le département a actuellement une énorme mission, celle d'entendre et de convaincre. C'est vrai qu'une inquiétude s'est révélée, même très clairement. Cependant - et je crois que M. Beer l'a dit à l'émission «Mise au point» dimanche soir - le plus important maintenant est de rétablir la confiance. Imaginez ces parents qui se demandent où nous en sommes, où en sont leurs enfants, ce qui va et ce qui ne va pas !

C'est la raison pour laquelle nous attendons beaucoup, Monsieur le président, du contre-projet que vous allez présenter, et nous espérons que la commission de l'enseignement pourra s'exprimer à ce sujet.

Je vous rappelle quant à moi que le groupe libéral n'a jamais été en faveur du moratoire - ce n'est pas ce qui est indiqué dans les invites. 40 % des écoles primaires genevoises sont en rénovation, car les maîtres et maîtresses ont décidé eux-mêmes de mettre sur pied des projets d'école; on ne peut pas stopper un tel processus ! Rendez-vous compte de l'effort fourni par les enseignants ! Vous imaginez quelle attitude ils auraient maintenant ? Comment seraient reconnus leurs efforts ? Par-dessus le marché, ces projets d'école ont été décidés librement, c'est là une chose très importante.

Enfin - et je vais clore ici, car le temps passe - je crois qu'il est faux de faire croire à la population qu'il existe une solution simple. Ce n'est pas vrai ! Mais il y a une chose très importante, Monsieur le chef du département, une chose qui n'a peut-être pas été bien faite jusqu'à maintenant: c'est le langage employé. Dans l'émission de «Mise au point» de dimanche, le commentateur a commencé par une anecdote que j'ai trouvée très significative. Il a dit à M. Beer avoir rencontré quelqu'un qui avait vu une maîtresse d'école qui, le premier jour d'école en classe primaire, avait demandé aux enfants: «Sortez vos instruments scripteurs !»... Moi, cela ne me fait pas rire ! Pourquoi ne pas dire: «Sortez vos plumes !» ? C'est donc peut-être ici qu'il y a quelque chose à améliorer.

Il faut que nous soyons compréhensibles, que notre discours - à nous, les politiques - soit clair, comme doit l'être la position du département vis-à-vis de la population. Pour cela, nous pouvons ce soir accepter les invites telles quelles - puisque, dans une motion, il n'y a que les invites qui comptent - car chaque invite, si vous l'analysez, demande une école de qualité.

Mme Maria Roth-Bernasconi (S). Mesdames et Messieurs les députés, j'ai trouvé l'intervention de Mme Hagmann très censée. On sent qu'elle a travaillé sur le terrain, qu'elle connaît le sujet dont elle parle, et je suis ravie d'entendre que le parti libéral estime aussi que de concentrer le débat autour du problème des notes est réducteur.

Vous savez comme moi qu'aujourd'hui les gens sont sans cesse évalués: ils le sont dans leur travail, des évaluations sont faites dans la fonction publique, et même en commission judiciaire nous demandons que soient évalués les policiers... Voulez-vous leur attribuer des notes ? Voulez-vous mettre des notes aux infirmières ? Je crois que c'est extrêmement réducteur, et j'aimerais qu'on dépasse cette question des notes.

Concernant les apprentissages, je peux dire, Monsieur Barrillier, que je connais bien ce problème, puisque je travaille pour promouvoir une bonne formation professionnelle. La question ne se résume pas à l'école: le fait est qu'aujourd'hui toutes les entreprises qui engagent des apprentis ne veulent que les meilleurs et demandent des compétences scolaires. Vous pouvez mettre n'importe quel système scolaire sur pied, chacun n'est pas un intellectuel ! Il y a des gens qui savent bien travailler avec leurs mains, et je trouverais beaucoup plus important de valoriser ou de revaloriser certains métiers, certains travaux, également par de meilleurs salaires. (Protestations.)Par exemple, pourquoi un licencié universitaire gagne-t-il le double d'une infirmière ? Il y a là des questions à se poser.

En dernier lieu, je répète ce que j'ai dit lors du dernier débat, puisqu'il était un peu noyé parmi d'autres: je trouve que la question scolaire rejoint celle de la politique sociale. J'ai un peu de peine aussi à comprendre le parti radical qui veut révolutionner... ou plutôt arrêter les réformes à l'école, alors que c'est ce même parti qui coupe dans les budgets de la formation, tant au niveau fédéral que cantonal.

Si des parents n'arrivent plus aujourd'hui à satisfaire aux nombreuses tâches qui leur incombent pour élever leurs enfants ou effectuer ce qu'on aimerait qu'ils fassent, c'est que ces parents n'arrivent plus à concilier une vie professionnelle de plus en plus stressante avec une vie de famille harmonieuse. Et il ne faut pas l'oublier: l'école reflète aussi notre société. C'est pourquoi j'aimerais que ce débat soit mené de manière beaucoup plus large, et qu'on inclue aussi les réflexions sur notre société et sur notre comportement.

Nous tous et toutes sommes passés par cette école, qu'elle ait été bonne ou mauvaise... Je n'ai pas suivi les écoles genevoises, mais je trouve que mes enfants ont été bien formés ici. Par contre, quand je vois parfois le comportement de certains députés dans cette enceinte, je me pose des questions sur l'école d'antan. J'espère que l'école d'aujourd'hui fera en sorte que nos enfants, lorsqu'ils seront dans cette salle comme députés, se comporteront autrement.

M. Guy Mettan (PDC). Dans le prolongement de ce qu'a dit Mme Hagmann, j'aimerais féliciter les trop rares députés qui suivent ce débat, car je suis à chaque fois choqué par le peu d'intérêt manifesté dans cette enceinte alors que nous devons traiter de questions scolaires qui sont, comme on l'a déjà relevé, très importantes.

On sait que l'école genevoise est sous pression; on sait que les parents des 67 000 élèves de nos écoles sont inquiets; on sait que les milliers d'enseignants qui ont la charge de ces élèves sont, eux aussi, perturbés - comme on a eu l'occasion de le constater lorsque nous avons, l'année dernière, étudié la motion 1192 qui traitait du malaise des enseignants.

Par ailleurs, le succès phénoménal de l'initiative d'ARLE, tout comme la conférence de presse de la rentrée du chef du département, M. Beer, ont tour à tour souligné l'ampleur des difficultés rencontrées par notre école. Dans ce contexte difficile, je crois - et je suis même sûr - que nous devons accepter cette motion telle quelle, sans changement. En effet, je tiens à saluer le gros effort fourni par les motionnaires radicaux qui ont accepté, durant les travaux de la commission, de modifier considérablement leur motion initiale pour formuler des invites qui me paraissent tout à fait raisonnables telles qu'elles nous sont proposées aujourd'hui. Cela vaut pour les trois invites que la gauche nous suggère d'amender, et que je préconise de garder telles quelles.

La première invite ne fait que rappeler la mission principale de l'école. Quelle est cette mission ? Elle consiste à donner aux élèves les moyens d'acquérir les connaissances qui leur serviront durant leur vie future. La loi sur l'instruction scolaire ne dit pas autre chose ! Dès lors, je n'arrive pas à comprendre pourquoi on voudrait supprimer cette invite qui ne fait que rappeler la nécessité, la mission, le rôle fondamental de notre école. Est-ce à dire que vous ne voulez plus que l'école serve à acquérir les connaissances indispensables à la vie de tout un chacun ?

La deuxième invite nous convient également telle quelle, car elle souligne l'un des gros problèmes de notre institution scolaire, qui est perturbée, déstabilisée par la «réformite» aiguë qui la frappe depuis des années.

Je crois qu'il est donc bon que notre Grand Conseil puisse connaître le résultat des réformes en cours avant qu'on en entame de nouvelles.

Enfin, la cinquième invite - on l'a déjà dit - concerne le problème des notes. Personnellement, je ne suis pas un fanatique de la note, mais je crois que la confusion et le désarroi des parents et des élèves à ce propos sont si extrêmes qu'il faut maintenir cette invite telle quelle. Elle va, selon moi, dans le bon sens, et est d'autant plus nécessaire qu'elle se dirige dans la voie souhaitée par M. Beer, du moins est-ce ce que j'ai cru comprendre dans sa réponse à la presse sur le succès phénoménal de l'initiative d'ARLE. M. Beer me corrigera, mais il a indiqué que le DIP allait très probablement déposer un contre-projet à l'initiative d'ARLE. Pour ma part, ce contre-projet ne peut aller que dans le sens d'un rétablissement des notes. Et je tiens à souligner ici l'ouverture constructive proposée par M. Beer. Je soutiens en effet tout projet qui consisterait à sauver la rénovation, tout en réintroduisant les notes. Je sais que c'est possible !

Durant les discussions que j'ai eues cet été avec certains pédagogues qui étaient à l'origine du projet de rénovation, j'ai appris qu'un certain nombre d'entre eux étaient également favorables au maintien des notes, tout en soutenant le projet de rénovation. Cela veut dire qu'il est possible de maintenir la rénovation tout en ayant des notes ! Malheureusement, les rénovateurs les plus extrémistes ont gagné et obtenu la suppression des notes.

Je crois donc que c'est dans ce sens que nous devons travailler. L'invite en question ouvre une piste et montre la voie à suivre. Je ne peux que vous recommander, au nom du PDC, de la maintenir telle quelle.

M. François Thion (S). J'étais déjà intervenu lors de notre premier débat et j'avais bien entendu rappeler l'importance des connaissances à l'école, mais aussi tout ce qu'il y avait dans l'article 4 de la loi sur l'instruction publique. Je ne vais pas revenir là-dessus maintenant, puisqu'on continue le débat. J'aimerais juste intervenir sur l'affaire des notes.

Je vous rappelle qu'en 1910 l'école primaire à Genève attribuait dix notes tous les mois dans douze disciplines, ce qui faisait un total de 120 notes à la fin de l'année. Depuis, les choses ont évolué et, à partir des années 90, à l'école primaire genevoise, on n'avait plus que cinq disciplines notées une fois par trimestre, ce qui donnait une quinzaine de notes à la fin de l'année.

La note est-elle fiable ? La note veut-elle dire quelque chose ? On a tous l'impression que oui. Mais je vous ai déjà dit aussi que si l'on met vingt premiers de classe dans la même classe, ils n'auront pas tous des «6». C'est assez incroyable, mais c'est la réalité - des expériences ont été faites - il y aura toutes sortes de notes, comme dans n'importe quelle autre classe. C'est comme si la classification des élèves entre eux était socialement importante.

Autre chose: j'ai là un article du «Temps», signé par Pierre-Philippe Bugnard qui est chargé d'enseignement sur la didactique de l'histoire à l'université de Fribourg, et qui donne lui aussi des exemples sur la fiabilité des notes. Son article s'intitule: «Evoquer la fiabilité de la note scolaire pour en justifier le retour est une imposture». Il cite un exemple concret: on a donné une même composition à corriger à dix-huit enseignants différents. Le résultat fut que l'un a mis un «3», deux ont mis «3,5», quatre ont mis un «4», un a mis un «4,5», cinq ont mis un «5», quatre un «5,5» et un a mis un «6». Il s'agissait d'un même travail, corrigé par des professionnels. Et on voit cela tous les jours ! Il n'est donc pas certain que la note soit fiable. D'autres exemples encore sont donnés dans cet article: la première épreuve corrigée est souvent mieux notée que la dernière; une épreuve qui en suit deux particulièrement mauvaises sera mieux notée que ce qu'elle vaut, à cause des mauvaises copies précédentes. Tout cela montre qu'il faut remettre en question l'aspect scientifique de la note, même si l'on continue à l'attribuer.

M. Souhail Mouhanna (AdG). Mesdames et Messieurs les députés, à la lecture de cette motion et de ce rapport, j'avoue éprouver un petit malaise. En lisant les invites, je vois que je pourrais être parfaitement d'accord avec un certain nombre d'entre elles, particulièrement avec celle qui demande au Conseil d'Etat de faire appliquer les articles de la loi sur l'instruction publique, et notamment l'article 4. Je ne peux qu'approuver cette invite, même si, avec cette dernière, on enfonce une porte ouverte. De même, l'invite qui veut favoriser la collaboration entre enseignants, parents et autres me semble digne d'approbation. Néanmoins, comme cette motion fait suite à une initiative qui a récolté beaucoup de signatures, je pense qu'elle correspond avant tout à une tentative de récupération politicienne - je l'ai déjà dit la dernière fois.

En réalité, beaucoup d'invites ne sont qu'une sorte d'alibi pour en faire passer une en particulier, celle de la réintroduction des notes. Vous le savez - et M. Thion vient de vous en donner des exemples - les notes sont très subjectives. Je suis moi-même enseignant, je sais ce que c'est: quand un élève n'a rien écrit sur sa copie et qu'on lui attribue un «1», est-ce 1, 0 ou 2 ? Ce sont des directives que les enseignants reçoivent, et tout cela reste subjectif.

A mon avis, qu'il y ait des notes ou qu'il n'y en ait pas, les problèmes éducatifs de l'école publique comme privée ne vont pas disparaître. Les véritables problèmes de l'école publique dans le système éducatif d'aujourd'hui sont essentiellement engendrés par un système économique entièrement voué au culte du profit: le profit d'une minorité qui s'enrichit d'une manière scandaleuse au détriment de l'immense majorité de la population ! La violence, le chômage, la précarité, la pauvreté ont des conséquences: ils engendrent des problèmes au niveau de l'école publique. Ces problèmes-là, que vous mettiez des notes ou que vous les supprimiez, ne changeront pas ! Je tiens le pari que, même si l'initiative en question récoltait 99 % des voix, les problèmes de l'école publique ne disparaîtraient pas pour autant. Ce qui me choque, c'est que certains groupes politiques de droite parlent de la démotivation des enseignants, mais qu'ils oublient le rôle qu'ils ont joué lorsque, pendant des années, ils ont dénigré les enseignants et sapé le moral de tout le personnel de notre système éducatif. Aujourd'hui, ils viennent nous dire que les enseignants sont démotivés... Evidemment ! Cela est dû à un manque de moyens, mais aussi au fait qu'au niveau économique, on prône l'individualisme, on développe le culte du profit, on casse le social et on engendre des problèmes qui détruisent des pans entiers de notre société ! Des familles complètes sont dans la misère justement à cause de ce système économique. Puis, on vient nous dire que c'est la suppression des notes qui en est responsable, et qu'il suffit de réintroduire les notes pour que l'école reparte sur de très bonnes bases et devienne formidable. Mais tout cela est du vent ! Vous n'allez rien résoudre avec le problème des notes, car ce n'est pas là qu'est le véritable problème. Vous êtes les complices d'un système qui détruit notre système éducatif... (Protestations.)D'ailleurs, les modèles que certains d'entre vous prônent, tels que le système anglo-saxon, me font croire qu'on a beaucoup à craindre pour le futur.

Le président. Le dernier orateur va s'exprimer, puis nous mettrons aux voix les amendements. Je crois que tout le monde a présenté son point de vue. Nous n'allons pas poursuivre, car il ne s'agit en définitive que d'une simple motion.

Monsieur Pierre Kunz, vous avez la parole !

M. Pierre Kunz (R). Si, Mesdames et Messieurs les députés, comme moi, on vient du terrain... (Rires et protestations.)Ah, mais si ! J'ai été élève, j'ai été enseignant et je suis père d'élève. Je considère que je viens du terrain, Mesdames Roth-Bernasconi et Hagmann !

Si, comme moi, donc, on vient du terrain, on peut dire - je crois - que le refus par la gauche de la motion radicale est fondé d'une part sur l'affirmation que les réformes engagées sont bonnes et doivent être poursuivies comme si de rien n'était et, d'autre part, sur l'affirmation que ces réformes sont largement un échec en termes pédagogiques puisque l'école genevoise ne dispose pas de suffisamment de moyens humains et financiers. Dans ces arguments, il y a une double fiction qu'il faut dénoncer, Mesdames et Messieurs !

La première, c'est celle qui consiste à faire croire - comme le font MM. Brunier et Mouhanna - que l'amélioration de l'école passe nécessairement par l'accroissement des moyens, alors qu'en réalité l'amélioration de l'école passe par une pause, par un moratoire, autrement dit par une réflexion sur ce qui a été fait, parfois - il faut l'admettre - de manière inconsidérée depuis une trentaine d'années. Et c'est ce que demande la motion radicale.

La deuxième fiction, c'est de faire accroire - comme MM. Mouhanna et Brunier - que les mauvais résultats scolaires des élèves genevois, en tout cas sur un plan comparatif, sont dus à l'insuffisance des moyens financiers et humains - je l'ai déjà dit - mis à disposition de cette école. Mais cela est faux, Mesdames et Messieurs ! En témoignent, d'une part, le fait que l'école genevoise est celle la plus chère du pays, et, d'autre part, le fait qu'en vingt ans, alors que notre inflation n'a été que de 52 %, le budget de l'instruction publique a quasiment triplé ! (Protestations.)Et la population n'a augmenté que de 18 %, Monsieur Leuenberger !

Mesdames et Messieurs, les arguments invoqués par la gauche pour refuser la motion radicale sont donc sans fondement ! Ils ne font en fait que masquer un malaise grandissant, un doute qui s'approfondit dans les rangs de cette gauche quant à l'adéquation des théories pédagogiques qu'ils ont défendues pendant toutes ces décennies et ce que veut la population genevoise.

Le président. Comme nous avons annoncé que la liste était close depuis fort longtemps, nous passons maintenant aux votes sur les amendements.

J'ai un premier amendement de MM. et Mme Thion, Brunier, Roth-Bernasconi et Apothéloz. Ils demandent purement et simplement la suppression de la première invite. (M. Brunier demande la parole.)Non, Monsieur Brunier, nous n'y arriverons pas ! Cela n'est pas raisonnable, vous voulez empoisonner la vie de ce Grand Conseil !

L'amendement est parfaitement clair. Je suis conscient de ce qui se passe: vous voulez relancer le débat, or vous savez très bien qu'à 17 h nous avons autre chose... Dans ces conditions, je vais lever la séance, nous reprendrons à 17 h 15 et remettrons ceci à la Saint-Glinglin. Vous avez longuement parlé de l'amendement de suppression...

Soit vous acceptez que nous votions maintenant sur ces amendements, de façon que la motion soit adoptée ou non, soit nous reprenons le débat ultérieurement. Quoi qu'il arrive, je lève la séance à 17 h puisque nous reprenons à 17 h 15 pour les prestations de serment. Je l'ai dit, j'ai demandé à chacun d'être bref, et personne n'écoute !

M. Christian Brunier (S), rapporteur de minorité ad interim. Monsieur le président, je croyais que l'amendement était clair, mais, étant donné ce que nous avons entendu autour ici, il semble que ce n'est pas le cas. Je vous en explique les raisons.

Aussi bien l'Alliance de gauche que les démocrates-chrétiens ont dit que cet amendement ne leur posait pas de problème, puisqu'il rappelait l'article 4 de la loi sur l'instruction publique. Si ce n'était que cela, il est clair que nous soutiendrions cette proposition, puisque nous tenons nous aussi à cet article 4 qui rappelle le bien-fondé de l'école publique. Néanmoins, ce n'est pas ce que nous avons entendu en commission ! En commission, on a rappelé que l'article 4 avait deux axes: un axe sur la socialisation des élèves et un autre sur l'acquisition des connaissances. A gauche, nous considérons que ces deux axes sont impératifs pour le développement des élèves. Visiblement, les auteurs de la motion estiment qu'il ne faut mettre l'accent que sur l'acquisition des connaissances, et laisser un peu tomber la socialisation... (Protestations.)C'est en tout cas ce qui s'est dit en commission.

De plus, il est inutile que le Grand Conseil rédige des motions pour rappeler qu'il faut appliquer la loi, puisque la loi existe ! Nous pensons donc que cet alinéa n'est pas clair et qu'il faut soit l'abolir, soit le clarifier. Comme les auteurs de la motion ne l'ont pas clarifié, nous proposons de l'abolir.

Le président. Je mets aux voix la suppression de la première invite.

Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 40 non contre 27 oui et 7 abstentions.

Le président. La première invite reste donc telle qu'elle est. Nous avons maintenant une proposition de modification de la deuxième invite, de Mmes et M. Brunier, de Haller et Wisard. Voici le texte: «A procéder à l'évaluation régulière des réformes entreprises dans l'enseignement primaire, secondaire et postobligatoire et à en informer le Grand Conseil.»

Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 40 non contre 38 oui.

Le président. Il n'y a pas de proposition de modification à la troisième et à la quatrième invites, contrairement à la cinquième invite, où l'amendement suivant est présenté par Mmes et MM. Brunier, Apotheloz, Roth-Bernasconi, Wisard, Thion, de Haller et Sylvia Leuenberger: «A mettre en place un système d'évaluation régulier, complémentaire aux évaluations semestrielles.»

Mis aux voix, cet amendement est rejeté par 39 non contre 38 oui.

Le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble de la motion, qui n'est pour l'instant pas modifiée, M. le conseiller d'Etat Charles Beer a la parole.

M. Charles Beer, conseiller d'Etat. La particularité de notre travail d'aujourd'hui est de traiter une motion, la motion 1442, qui, en tant que telle, a son histoire et a vu l'actualité récente lui donner une dimension particulière. Les événements s'étant croisés durant les travaux en cours, il y a eu les influences respectives de ces derniers entre la motion et l'initiative.

S'agissant de la motion elle-même, son titre est relativement clair. Elle parle de moratoire sur les expériences pédagogiques. On ne parle pas ici de réformes ou d'une «rénovation», mais bien d'expériences pédagogiques, ce qui dégage malgré tout, il faut le relever, un relent... disons «quelque peu négatif» pour éviter tout terme passionnel.

Les libéraux et les libérales en particulier ne se sont pas trompés dans ce débat, puisqu'il a très longtemps été question en commission, sauf erreur de ma part, de savoir dans quelle mesure il était possible de modifier le titre ou les considérants de la motion, puisqu'il pouvait y avoir ici et là des traces qui rendaient le vote de certaines invites, jugées raisonnables par certains et par certaines, insupportable.

Quoi qu'il en soit, le travail a démarré autour de la question des réformes. La commission s'est très rapidement attachée à savoir combien de réformes existaient, quelles étaient ces réformes, par qui elles avaient été initiées. En réalité, le département de l'instruction publique a rendu, à l'occasion des travaux de la commission, un tableau des réformes en cours. Je regrette un peu que le débat, qui a pris une certaine ampleur en commission, une certaine hauteur autour de la difficulté de la réforme de notre système d'enseignement, se soit finalement réduit par les effets de la collision avec l'actualité - sans doute pas hasardeuse, mais collision malgré tout - qui a donné une dimension toute particulière au travail sur la motion. Elle s'est finalement, on peut dire les choses assez clairement, figée sur la question de la note et de l'article 4, plus précisément sur la question de la transmission des connaissances.

Cela dit, on essaye aujourd'hui, en fonction de l'initiative déposée, de refaire un peu l'histoire, celle des réformes et de la rénovation du primaire. Que l'on ne se trompe pas, Monsieur Follonier ! La rénovation du primaire a pratiquement dix ans. Elle n'a pas été lancée dans la précipitation; elle n'a pas répondu à une volonté de diminution des dépenses budgétaires; elle n'a pas non plus été le fait d'un complot de pédagogistes, comme certains les nomment. Non ! Cette rénovation du primaire s'est intéressée à une problématique, qui perdure malgré la politique du département, celle de l'échec scolaire. Ce n'est donc pas aujourd'hui, en voulant préserver une histoire toute particulière, réductrice et erronée, que l'on pourra véritablement appréhender les défis auxquels est confrontée notre école.

La problématique de notre école, c'est qu'elle est confrontée, comme tout système scolaire, au débat démocratique qui veut lui assigner un certain nombre de missions, par exemple celle du changement, de l'adaptation à l'avenir et, en même temps, celle de la fidélité aux traditions. On attend de l'école un pari impossible que la société, dans aucune de ses institutions, n'est capable véritablement d'assurer. C'est normal, parce que cette école doit pouvoir à la fois donner des références au-delà d'une génération - l'école représente un pacte entre les générations - et elle doit, en même temps, être capable de se projeter dans l'avenir, de se remettre en question, de modifier ses moyens d'intervention. Aujourd'hui, notre population est manifestement - et c'est partout le cas en Europe ou dans le monde - désécurisée. Pourquoi ? Parce que l'économie, les institutions, les pays, les familles n'existent plus comme par le passé. Hier, lorsque j'étais enfant à l'école - c'est plutôt avant-hier ! - nos parents, mes parents, avaient l'assurance qu'il y aurait, quoi qu'il arrive, une insertion dans la société pour leurs enfants. Aujourd'hui, il y a une incertiude, parce que l'on doute de l'avenir, de l'économie, de la patrie; on doute de l'ensemble de nos institutions ! Il est normal que ce malaise pèse sur l'école, qui est justement sensée préparer la nouvelle génération à pouvoir se confronter à l'avenir.

Quels problèmes réels se posent aujourd'hui ? Il y a eu - et vous avez raison, quelque part, dans un certain nombre de travaux - une multitude de réformes qui n'ont pas toutes la même source, puisque certaines sont d'origine fédérale, d'autres sont intercantonales et d'autres encore spécifiquement cantonales. C'est dire qu'il y a une difficulté actuellement, pour notre système scolaire, à assurer une cohérence entre les différentes réformes, de manière à garantir que le parcours des élèves soit justement la première des choses prise en considération pour modifier le système. J'en appelle ainsi à plus de sens dans le lien entre les réformes, de façon à assurer une crédibilité de l'ensemble.

Or partout, la réforme en tant que telle ne repose pas sur un seul aspect: l'évaluation est, bien sûr, au centre des questions, mais il y a aussi la pédagogie, c'est-à-dire le moyen par lequel on apprend, et les plans d'études.

On nous demande pratiquement tous les jours de nouvelles disciplines dans les grilles-horaires et les objectifs d'apprentissage... Voici un exemple qui incarne parfaitement cette question de stabilité et d'avenir: on nous demande - et vous vous apprêtiez à nous le demander, ce qui est d'ailleurs fait en partie - d'introduire l'enseignement d'Internet à l'école, de manière à préparer les jeunes générations aux défis technologiques... Or on nous dit en même temps que les enfants ne savent plus rien de l'histoire religieuse et qu'il faut leur transmettre cette connaissance, ce qui est également juste - c'est d'ailleurs une motion écologiste, à laquelle j'ai promis de répondre d'ici la fin de l'année. Même si elle a été déposée voici dix ans, ce sera chose faite ! Eh bien, c'est dire que les attentes vis-à-vis d'une grille-horaire sont multiples! Parce que l'on demande aussi l'éducation citoyenne; on demande d'apprendre les langues, dont le français, et de posséder les mathématiques... C'est dire la complexité du débat!

Ce que je déplore aujourd'hui dans le débat démocratique naissant, c'est sa réduction à la question de la note. Je le déplore tout simplement parce que l'on en fait l'objet essentiel de l'attente, comme si la note avait une dimension universelle ! J'ai rappelé à certaines occasions, ce que je me permets de refaire ici, que la première loi sur l'instruction publique obligatoire de la France, voulait, en 1833, en donnant la responsabilité aux communes de construire des bâtiments pour les écoles primaires, évaluer les élèves, épreuve par épreuve, avec les dimensions «Très bien» , «Bien», «Moyen» et «Mauvais». C'était donc une appréciation, en langage politique, moins correcte que ce à quoi vous arrivez; on est passé de 4 à 3. Mais on voit finalement que la roue tourne ! Il faut donc souligner l'aspect relatif de cette question de l'évaluation. Et il faut aussi, toutefois, relever la volonté, lorsqu'on peut la mesurer, d'un certain attachement à la question de la note dont il ne s'agit pas de faire fi ou de la balayer tout simplement d'un revers de la main.

Ce que j'aimerais soulever enfin, c'est la question de la motion elle-même. Cette dernière a une tendance malheureusement réductrice. Je dis «réductrice» parce qu'on l'oppose principalement - à l'article 4, lorsqu'on évoque les connaissances - à l'autre dimension qui vise à intégrer et à préparer des citoyens à pouvoir non seulement évoluer économiquement, mais aussi socialement. La fonction de l'article 4, dans sa complexité, nous donne un cadre. C'est ce qui protège l'école aussi des volontés de l'économie de tel ou tel groupement politique; c'est ce qui lui donne un cadre lui permettant de durer d'une génération à l'autre.

J'en arrive à la conclusion, Monsieur le président, et je reviens à l'esprit de ce qu'est la motion elle-même. Vous vous êtes demandé à propos de notre école - et j'estime que c'est une bonne chose - si elle était ou non de qualité... Je rends hommage à cette discussion et au fait que l'on ait lancé le débat, toutefois j'aimerais préciser ceci: je me réjouis de recevoir cette motion. Pourquoi ? Parce qu'elle sera l'occasion pour le département, dans le délai imparti par la loi, c'est-à-dire six mois - et je prendrai le maximum d'engagements de façon que ce délai soit plus court - de vous fournir un panorama complet - que les différents rapports n'ont pas forcément donné - à savoir des différentes réformes, des enjeux, des niveaux, et leur donner une intelligibilité et un sens. C'est ce que j'appelle aussi le débat de la stabilisation, du renforcement et des ajustements de notre système de formation. C'est ce que je nomme, non pas «moratoire», Monsieur Follonier, mais «consolidation», parce qu'il serait absurde aujourd'hui de s'arrêter au milieu du gué !

En fin de compte, j'aimerais dire à Mme Hagmann, parce qu'elle a évoqué le contre-projet, que ce dernier est le fait du Grand Conseil. Ainsi, notre débat - que le rapport du département vous aidera à préparer - vous permettra tout simplement d'assurer la discussion en tant que telle sur le contre-projet, son orientation et ses dimensions. Mais j'aimerais insister sur cet élément. J'ai rappelé tout à l'heure que l'école avait un certain nombre de missions, elles tournent autour du pacte républicain, et ce n'est pas rien. Et le pacte républicain concernant l'école, c'est, bien entendu, transmettre des connaissances; c'est préparer l'avenir, c'est doter notre système d'une capacité de réussite ! Mais c'est aussi permettre l'intégration: l'intégration économique, l'intégration sociale, l'intégration de toutes celles et ceux qui vivent aujourd'hui dans notre canton. C'est encore permettre de donner une actualité au lien entre les générations, parce qu'il est indispensable qu'une personne âgée sache, malgré tout, de quoi l'on parle à l'école ! Il y a donc une nécessité de changement et, à la fois, de stabilité.

L'enjeu est le suivant aujourd'hui : cherchons-nous à réactualiser le pacte républicain autour de l'école ? Si c'est oui, nous aurons l'occasion de travailler sereinement autour d'un contre-projet. S'il s'agit simplement d'attiser les craintes et les peurs, je crains pour ma part que l'on soit à côté de l'enjeu. Et la société attend de nous que l'on redonne un minimum de confiance dans notre système, parce que c'est tout simplement le garant de la réussite et de l'intégration dans notre société ! (Applaudissements.)

Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Nous passons au vote sur le renvoi de la motion, telle qu'elle est issue de commission, au Conseil d'Etat. Monsieur Kunz demande l'appel nominal, et il est soutenu. Le vote est lancé.

Mise aux voix à l'appel nominal, la motion 1442 est adoptée par 44 oui contre 39 non.

Appel nominal