République et canton de Genève

Grand Conseil

M 1486
Proposition de motion de Mmes et MM. Jacques Jeannerat, Jacques Follonier, Marie-Françoise De Tassigny, Jean-Marc Odier, Gabriel Barrillier, Thomas Büchi, Hugues Hiltpold, Pierre Kunz, Bernard Annen, Christian Luscher, Janine Berberat, Mark Muller, Ivan Slatkine, Patrice Plojoux, Patrick Schmied, Guy Mettan, Philippe Glatz, Jacques Baudit, Jean-Claude Egger, Stéphanie Ruegsegger, Pierre-Louis Portier, Pierre Weiss, Jean Rémy Roulet, Blaise Matthey, Michel Halpérin, Gilles Desplanches, Alain Meylan, Janine Hagmann, René Desbaillets, Blaise Bourrit, Olivier Vaucher pour le maintien des conditions-cadre nécessaires à la place financière genevoise et pour le soutien de la politique fédérale face aux attaques dirigées contre la place financière suisse et son secret bancaire
R 465
Proposition de résolution de MM. Pierre Schifferli, Jacques Pagan pour faire usage du droit d'initiative cantonale dans le but d'ancrer dans la Constitution fédérale la sauvegarde du secret bancaire suisse

Suite du débat

M. Rémy Pagani (AdG). Mesdames et Messieurs les députés, le secret bancaire a suscité des prises de positions étonnantes des uns et des autres lors de notre session précédente, d'autant plus étonnantes que le projet d'initiative fédérale de l'union démocratique du centre qui a donné lieu à ce débat s'apparente, à notre avis, aux déclarations nationalistes des années de barbarie du siècle passé. Déjà intrigués par les turpitudes des ténors du parti libéral, voire du parti radical embouchant les mêmes trompettes nauséabondes pour vanter les mérites de nos banquiers et de leur secret bancaire, nos yeux se sont écarquillés lorsque nous avons entendu les déclarations du député Rodrik et surtout de la conseillère d'Etat Micheline Calmy-Rey, qui ont fait tout sauf dénoncer, de prime abord, pareille manoeuvre. Pire encore: ils se sont bien gardés de s'interroger sur certaines pratiques détestables couvertes par le secret bancaire.

Comment est-il possible en effet de croire ou de faire croire que le secret bancaire ne couvre pas la fraude fiscale et le blanchiment d'argent sale ?

Comment est-il possible d'accréditer cette thèse, qui consiste à faire croire - comme s'y est d'ailleurs employé le député Halpérin - que l'article 42 de la loi votée en 1932 introduisant la protection du secret bancaire dans notre pays a été légitimé par un soi-disant souci humanitaire pour accueillir et protéger les fonds juifs menacés ? Nous vous le disons: les banquiers de notre pays ont dû adopter cette mesure pour protéger la classe dominante française des éclaboussures d'un gigantesque scandale relatif à un détournement fiscal ! Ce n'était pas du tout pour protéger les fonds juifs.

Comment est-il possible d'accréditer la thèse qui viserait à admettre que les réseaux mafieux, les réseaux de blanchiment d'argent sale, n'utilisent pas les mêmes relais et les mêmes stratagèmes que celles et ceux, dans le monde entier, qui placent leurs capitaux dans les banques suisses pour frauder leur fisc respectif ? Il n'est qu'à se référer aux nombreuses prises de positions du précédent procureur général Bertossa, qui a dénoncé régulièrement ces manoeuvres. Le cynisme, franchement ancré dans un nationalisme sordide dont a fait preuve jusqu'à maintenant ce parlement nous a fait froid dans le dos. En effet, comment passer sous silence la fraude fiscale à laquelle se livre une grande partie des plus riches tout autour de la planète, qui fait perdre aux collectivités publiques de leurs pays respectifs des centaines de milliards par année ? Et c'est sans compter les milliards que cette pratique fait perdre à la Confédération !

L'exemple d'un pays voisin comme l'Italie, qui a décrété une amnistie fiscale extraordinaire pour les riches de la péninsule devrait nous faire réfléchir. Les experts italiens ont évalué le retour au pays des capitaux de fraude à hauteur de 50 milliards. Ils en espéraient 500, toujours est-il que ce sont 50 milliards qui sont retournés en Italie. Et devinez quoi: sur ces 50 milliards, 25 milliards provenaient de Suisse. Dès lors qu'on a admis cette réalité - mais pour l'instant, aucun des intervenants précédents ne l'a admise - on pourrait imaginer ensemble des mesures assez strictes pour remédier à cette situation. Pourtant, nous n'en prenons malheureusement pas le chemin... Un exemple, parmi tant d'autres, relatif aux articles du code pénal, qu'on nous dit les plus répressifs d'Europe, visant à combattre l'argent sale, mafieux et criminel: la Confédération ne consacre à la traque de cet argent que douze fonctionnaires. Et, encore cette semaine, une économie de 10 millions a été proposée pour réduire la capacité d'action de ces gendarmes.

Mesdames et Messieurs les députés, vous vous êtes offusqués de l'image déplorable que donnait notre pays durant les crises qu'il a traversées, notamment sur la déshérence des fonds juifs ou sur le soutien au régime de l'apartheid. Pourtant, vous ne vous donnez aucun moyen d'en finir une fois pour toutes avec le mépris que le reste de la planète nous porte ou nous portera encore plus demain. Car comment est-il possible de supporter, jour après jour, que des millions d'enfants meurent de faim, parce que leur gouvernement n'ont pas les moyens financiers de mettre en place des programmes de nutrition, les banquiers de notre pays acceptant l'argent fraudé au fisc de ces pays ? Comment accepter au même moment qu'un jeune homme de 25 ans, employé par une banque de notre cité avec un seul CFC de comptable touche un salaire de 125 000 F avec un bonus annuel de 300 000 F ? Un jour ou l'autre, pareille inégalité deviendra inacceptable pour la masse des pauvres de cette planète et, ce jour-là, vous emboucherez une nouvelle fois, cyniquement, les trompettes du nationalisme. Mais l'histoire vous jouera une partition dont elle a le secret.

M. Jacques Jeannerat (R). Mesdames et Messieurs les députés, mais que de sornettes dans la bouche de M. Pagani ! Monsieur Pagani, savez-vous que la place financière genevoise crée quelque 25% de la valeur ajoutée produite par l'économie du canton ? Ce chiffre n'est pas inventé, c'est le résultat d'une étude de l'institut de macroéconomie de l'université de Lausanne qui date de l'année dernière. De plus, la place financière genevoise contribue à au moins 25% des recettes fiscales du canton. La longue tradition bancaire de Genève, son intégrité et son savoir-faire font que peu de pays peuvent concurrencer notre place financière. C'est parce que nous dépendons économiquement d'une place financière solide que nous ne voulons, Monsieur Pagani, ni argent sale ni affaires louches. Et le moyen le plus efficace pour faire barrage aux transactions douteuses consiste à fixer des standards élevés en matière d'identification des titulaires de comptes bancaires. C'est ce que prévoit déjà notre loi fédérale sur le blanchiment d'argent, Monsieur Pagani. En outre, le prélèvement d'un impôt anticipé sur le revenu des capitaux enlève tout attrait aux abus. Le taux de l'impôt à la source est déjà fixé à 35% ! Cet impôt à la source a fait ses preuves depuis plus d'un demi-siècle dans notre pays.

Les Suisses, comme beaucoup d'étrangers qui déposent leur avoir dans notre pays, considèrent comme légitime la protection de la sphère privée. Loin d'être contradictoires, la promotion de la discrétion et la promotion de l'intégrité sont autant de défis pour la Suisse et le secteur bancaire, qu'ils doivent continuer à relever.

Le secret bancaire ne s'oppose pas à la recherche et à la répression d'actes liés au blanchiment d'argent et à la criminalité, car il s'accompagne de règles strictes pour prévenir les abus. A l'étranger, Monsieur Pagani, les critiques contre le secret bancaire se traduisent souvent par une volonté de préserver la compétitivité de leur propre place financière et d'éviter de perdre des recettes fiscales. Monsieur Pagani, notre motion vise non pas bêtement à préserver la place et la situation des banquiers privés à Genève, mais à mesurer l'impact concret de la place financière genevoise sur l'ensemble de l'économie, sur l'emploi dans notre canton, sur les recettes fiscales et sur l'ensemble de la cohésion de notre canton. Merci.

M. Robert Iselin (UDC). Nous sommes en présence d'au moins deux propositions: une proposition de motion de nos collègues de l'Entente, principalement, et une proposition de résolution de l'UDC.

Désolé pour les représentants de l'Entente, mais je trouve votre proposition un peu faible. Une simple intervention auprès du Conseil fédéral n'est pas suffisante. La proposition que nous soumettons va beaucoup plus loin. Pourquoi soutenir celle-ci ? Il est bien évident que le secret bancaire contribue au bien-être de Genève et c'est certain que si on le supprime, on pourra également oublier l'Etat social genevois, qui est pourtant une belle création, même l'UDC le pense. Mais ce n'est pas là le point principal.

Le secret bancaire - permettez à un vieil homme de vous le dire - a été là, notamment pendant les années 30 et 40, pour défendre la sphère privée et la vie personnelle des citoyens. C'est beaucoup plus important que vous ne le pensez. A la gauche, je dirais ceci: vous feriez bien de réfléchir à deux fois avant de détruire une pareille institution, parce qu'on ne sait jamais ce qui peut arriver et, comme disent les Anglais: «C'est étonnant ce que les êtres humains arrivent à faire !» Mais le jour où un régime vraiment totalitaire s'installe dans cette République - régime auquel, croyez-le, jamais l'UDC ne souscrira - vous serez bien contents d'avoir encore, pendant deux ou trois ans, le secret bancaire à disposition pour sauver votre vie personnelle, avant que ce régime ne le supprime.

Pourquoi soutenir cette proposition ? Ici, je me lance évidemment dans des considérations d'une nature relativement personnelle... Un haut dignitaire, ou disons plutôt une personne très bien placée à l'UDC, nous l'a dit ouvertement: Genève ne serait pas le premier canton à demander que ce secret soit inscrit dans la Constitution fédérale. Cela a été fait par les gens d'Argovie avant nous, par Zurich et par d'autres. Pourquoi cela rend-il service au Conseil fédéral ? Parce que, hélas, il en a besoin... On aurait espéré qu'il agirait de son propre gré sur ce sujet, mais tel n'a pas été le cas et, au moins, il pourra ainsi se protéger des attaques étrangères, en se cachant derrière ces demandes des cantons.

Croyez-vous un instant que le Chancelier de l'Echiquier britannique demande la destruction du secret bancaire parce qu'il est un idéaliste ? Non, mais vous rêvez, nom d'un chien ! Sur la place de Londres - je peux vous le dire - il y a cinquante moyens d'assurer le secret des fonds personnels. Il suffit de faire des trusts à Jersey, Guernesey ou je ne sais où, mais personne n'en entend jamais parler. Ce que ces gens veulent, c'est simplement la destruction de notre place financière, de quelque façon que ce soit ! Et j'espère que vous nous soutiendrez et que la Confédération helvétique sera assez courageuse pour dire aux Anglo-Saxons et aux autres que les lois des Etats-Unis et de Grande-Bretagne et de l'Union Européenne s'arrêtent aux frontières de la Confédération helvétique qui, après tout, existe depuis 750 ans. (Des applaudissements.)

M. Pierre Vanek (AdG). Nous avons entendu ici des sornettes de la part de mon préopinant, quel que soit le respect que j'ai pour ses cheveux blanc. Il nous a resservi cette vieille lune - pas si vieille que ça, puisqu'elle a été inventée post hoc - concernant le rôle du secret bancaire comme outil de protection, par exemple contre le régime nazi. Ceci est une absurdité, comme l'a déjà indiqué mon camarade Pagani. La Chambre genevoise du commerce et de l'industrie elle-même, se référant à un excellent ouvrage récemment paru et que j'ai ici quelque part, «La Suisse dans la constellation des paradis fiscaux», démonte cette sornette. Cet ouvrage indique - et cela est confirmé par la haute autorité de cette CGCI qui publie avec complaisance, sur deux pages, trois photos du député libéral - que l'une des causes essentielles de la constitution de ce secret bancaire réside dans la découverte en octobre 1932, et donc avant l'arrivée du régime nazi, d'une vaste filière organisée en France par des banques helvétiques permettant de frauder le fisc français en plaçant des capitaux en Suisse. Et les sommes gigantesques détournées mettaient évidemment en cause tout le gratin de l'Hexagone. L'affaire a suscité un tel scandale à l'époque que les banquiers, craignant pour leur clientèle, ont voulu la rassurer, notamment en se taillant sur mesure cette disposition de la loi sur les banques, avec cet article 47, que mon collègue Albert Rodrik vantait à tort en termes positifs dans la première partie de ce débat, lors de notre dernière session.

Non, Mesdames et Messieurs les députés, le secret bancaire sert essentiellement à couvrir la fraude, l'évasion fiscale et le vol. (Huées.)La fraude, l'évasion fiscale et le vol ! Michel Halpérin nous disait il y a deux semaines, dans cette enceinte, toute sa compréhension et celle qu'il voulait voir inscrite dans le marbre de nos lois pour les faiblesses, les fragilités humaines - je crois que c'était son expression - dont relevait l'évasion fiscale. Ceci alors même que vous savez sans doute qu'en particulier en Suisse la fraude fiscale est définie de manière particulièrement restrictive. Or, dans le même ouvrage cité par la Chambre de commerce et d'industrie, on trouve l'indication que les montants de fortunes mobilières suisses, possédées par des personnes physiques ou morales établies en Suisse et fraudant le fisc, seraient de l'ordre de 130 milliards de francs suisses. Il y aurait donc là une «petite faiblesse humaine», consistant à voler à notre collectivité quelque chose qui pourrait rapporter environ 2 milliards par année, soit probablement l'équivalant de la moyenne des déficits budgétaires de la Confédération durant les années 1990.

C'est de cela qu'il s'agit. C'est vrai que c'est un vol moins personnalisé que lorsqu'on va tirer le porte-feuille de quelqu'un dans la rue ou arracher le sac à une vieille dame, mais les gens qui commettent ces vols-là sont évidemment les riches, les nantis et les puissants, et ces gens-là volent la collectivité, détruisent des emplois qui pourraient être générés par les recettes de la collectivité, des emplois socialement bien plus utiles que ceux dans la gestion de fortune et ce type d'activité. C'est aussi, bien sûr, le type d'idéologie qui règne dans ces milieux de gestion de fortune, consistant à mettre en avant d'abord la share holder valueet les rendements maximums à court terme, qui ont constamment entretenu cette bulle économique dont on voit aujourd'hui l'écrasement, qui se traduit aussi par des pertes d'emploi innombrables, ailleurs et dans notre pays.

Mais l'affaire est évidemment bien plus grave que ce qui se passe en Suisse, elle l'est à l'échelle mondiale. Vous avez souvenir, Monsieur Halpérin, qui avez été président de la commission des droits de l'homme, de Mary Robinson, l'ancienne Haut-commissaire aux droits de l'homme, à qui nous avons plusieurs fois rendu hommage dans cette enceinte. J'ai ici un communiqué de presse qui indique que cette personnalité, cette personne qui a honoré de son passage ici notre République, vient d'être nommée présidente d'honneur d'une organisation non gouvernementale importante qui s'appelle Oxfam, que certains d'entre vous connaissent sans doute. Dans un rapport relativement récent - il date de moins de deux ans - Oxfam évalue qu'à l'échelle mondiale l'évasion et la fraude fiscale, dont sont complices les paradis fiscaux dont fait partie la Suisse, se montent en perte de recettes, notamment pour les pays du Tiers-Monde, à environ 50 à 70 milliards de dollars par an ! Et ça, ce sont effectivement des emplois détruits, et ça, c'est quelque chose de vraiment grave. Ils parlent ici des paradis fiscaux qui laissent de riches individus et compagnies échapper - et c'est bien là d'évasion dont on parle, Monsieur Halpérin ! - au fisc dans leur pays...

Le président. Il vous faut conclure, Monsieur le député.

M. Pierre Vanek. ... qui limitent la possibilité pour les gouvernements, particulièrement dans les pays pauvres, d'investir dans les services sanitaires et sociaux indispensables et dans le développement. Oxfam, cette ONG parfaitement sérieuse, indique encore que les pertes que j'évoquais à l'instant, dont une bonne part est due à l'activité couverte par le secret bancaire helvétique, équivaut à l'échelle mondiale à six fois le coût nécessaire pour la scolarisation de l'ensemble des enfants de ce monde qui n'y ont pas encore droit...

Le président. Monsieur le député, je vous prie de conclure dans les vingt secondes !

M. Pierre Vanek. ...et à trois fois le coût des soins de santé primaires pour l'ensemble de la population de la planète. C'est à cela qu'on touche lorsqu'on parle du secret bancaire, s'il on veut bien ne pas considérer que Genève est le centre et le nombril du monde et si on veut lever les yeux à l'échelle de ce pays et de cette planète, ce qui est bien la moindre des choses, Messieurs les chantres de la mondialisation...

M. Christian Bavarel (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, ce soir, nous ne parlons pas forcément de la levée complète du secret bancaire ! Il est certain que personne ne voudrait que son compte se retrouve sur Internet, ou qu'on divulgue à la presse le contenu de ce qu'il a sur son compte en banque. Ce dont il est question, c'est simplement de la collaboration avec les autorités d'autres pays sur certaines problématiques, principalement sur celle de l'évasion fiscale et de la fraude fiscale. Je vous rappelle que la majorité des pays qui nous entourent sont des démocraties. Nous sommes des démocrates dans ce parlement, et admettons que d'autres pays puissent appliquer d'autres lois et d'autres règles, lorsqu'elles sont définies de manière démocratique.

Quand vous payez un impôt - pour utiliser un langage que, peut-être, les gens de la droite pourront plus facilement comprendre - vous payez une sorte de loyer, pour utiliser les infrastructures d'un pays, jouir de sa sécurité, y vivre et y avoir des affaires prospères. Cet impôt ou loyer que vous payez est relatif à votre surface financière, et non pas la surface que vous utilisez, et il est plus ou moins proportionnel à votre revenu. Le fait de faire une fraude ou une évasion fiscale, c'est simplement voler ce pays et les gens, et violer les règles mises en place par ce pays-là. Si nous ne sommes pas des démocrates, nous considérons que les règles démocratiquement choisies par d'autres pays ne valent pas pipette et, dès lors, nous acceptons de fonctionner différemment.

Le problème que nous avons aujourd'hui est de se demander quelle est la qualité de nos banquiers genevois. Je crois en la très haute qualité de nos banquiers genevois. La majorité d'entre nous a des fonds placés dans les banques genevoises pour sa retraite et à travers son deuxième pilier. Je crois réellement qu'on peut avoir confiance là-dessus en nos banquiers genevois, et je ne suis pas sûr qu'il faille que nous vivions sur la triche ou sur autre chose. Je pense qu'il y a une expertise à Genève très bien tenue, je pense que la place financière genevoise est d'une très haute qualité bancaire, et qu'à partir de ce moment-là, on peut avoir une certaine confiance en leurs actions. Je vous rappelle qu'à l'heure actuelle, c'est la confiance qui tient notre économie. En économie, un billet de banques ne vaut que par la confiance que vous y mettez. Fonctionner avec des règles qui admettent que l'on triche, c'est courir le risque que nous arrivions à des situation telles que les Etats-Unis ont connues autour d'entreprises comme Enron. Je préfère que nous réintroduisions de la morale dans l'économie et que nous basions notre place financière sur des règles éthiques, de manière à lui assurer une pérennité.

Les Verts accepteront donc la deuxième invite de l'Entente sans aucun problème, puisqu'il s'agit de faire une étude. Nous rejetterons par contre la première invite ainsi que la résolution de l'UDC.

M. Christian Brunier (S). Mesdames et Messieurs les députés, faire croire, à travers votre projet, que les licenciements bancaires actuels ou prévisibles sont liés aux critiques nationales ou internationales contre le secret bancaire est une hérésie. Vous le savez très bien: ces coupes dans l'emploi sont le résultat de multiples fusions, de diverses restructurations et de placements boursiers plus qu'hasardeux.

Axer tout le marketing des banques suisses sur le seul critère du secret bancaire est très périlleux, parce que ce dernier est incompatible - et vous le savez très bien ! - avec l'intégration européenne que vous avez presque tous défendue, et parce qu'il est soumis aujourd'hui à des pressions internationales - de bonne ou de mauvaise foi - très fortes. Un jour ou l'autre, le secret bancaire sera fortement modifié, voire tombera. La place financière perdra donc son seul atout différenciateur. De ce fait, avancer le secret bancaire comme seul critère de qualité est très dangereux pour les banques suisses, d'autant plus qu'elles ont d'autres qualités qu'elles pourraient mettre en avant.

Notre but n'est naturellement pas de nier l'importance du secteur bancaire. Vous l'avez d'ailleurs lu hier dans la presse: le parti socialiste est très soucieux de la santé de ce secteur, fort important notamment pour l'emploi, puisque - je vous le rappelle - le secteur bancaire en Suisse et à Genève représente près de 10% des emplois. Evidemment, il n'est pas question non plus de se coucher devant les revendications des Britanniques qui, sous le couvert d'une soi-disant éthique, sont en train de discréditer la place financière suisse dans le seul but de revaloriser la place bancaire londonienne. Nous n'avons aucun conseil à recevoir de nos amis britanniques. Les lois sur le blanchiment d'argent en Suisse sont bien meilleures que les leurs. De plus, nos amis britanniques devraient passer un peu plus de temps à essayer de rendre un peu plus éthiques leurs îles, entre autres, qui sont de véritables paradis fiscaux, plutôt qu'à nous donner des conseils.

Les socialistes ne veulent pas non plus étaler sur la place publique les états financiers des comptes d'épargne des citoyennes et des citoyens. Les socialistes ne veulent pas non plus mettre en cause le devoir de discrétion de nos banquiers, mais ils veulent simplement que le secret ne couvre pas l'évasion fiscale et c'est là le coeur du problème. En effet, l'omission de déclarer certains revenus ou actifs n'est pas un délit en Suisse. La protection accordée à la fuite des capitaux au niveau du fisc est l'une des rares particularités de la Suisse qui couvre aujourd'hui l'évasion fiscale. La plupart des scandales politico-financiers ont des traces fiscales qui conduisent en Suisse. Ceci n'est tout simplement pas acceptable.

Selon un professeur d'histoire économique de l'université de Lausanne, sur les 5000 à 6000 milliards de francs gérés en Suisse, 600 à 700 milliards appartiendraient à de grandes familles du Tiers-Monde. Ceci représente tout simplement un manque à gagner pour les pays les plus pauvres de la planète de l'ordre de 12 à 15 milliards de francs. Ceci est dramatique pour l'équilibre financier et social de cette planète. Dans le pillage que vient de vivre l'Argentine - et vous le savez très bien, Mesdames et Messieurs les députés - il y a partout des traces d'évasions fiscales qui ruinent aujourd'hui ce pays. Après que les banques eurent utilisé le secret bancaire pour cacher une vérité historique, le président du Congrès juif mondial a prédit, lors de l'affaire des fonds juifs, la fin prochaine de cette institution si particulière du paradis financier helvétique. Ces quelques faits cités à titre d'exemples ne sont pas acceptables, même s'ils restent marginaux. Il est temps d'empêcher rapidement ces évasions fiscales, et d'assouplir progressivement le secret bancaire afin de le rendre compatible avec une adhésion européenne et avec une éthique que, je l'espère, nous souhaitons tous. C'est pourquoi la résolution et la motion qui nous sont présentées aujourd'hui ne pourront être votées par le parti socialiste.

Le président. Le Bureau vous propose de clore ici la liste des orateurs. Il reste douze personnes inscrites.

Mise aux voix, cette proposition est adoptée.

Mme Nicole Lavanchy (AdG). Les milieux d'affaires et les autorités fédérales mettent le poids sur un argument pour préserver le secret bancaire: ils affirment que le secret bancaire constitue un instrument important au service de la protection de la sphère privée. Cet argument appelle une première remarque: les milieux qui le propagent ont une curieuse conception de la protection de la sphère privée et de la liberté individuelle. Ce sont en effet les mêmes qui ont mis en place et justifié l'espionnage et le fichage systématique de centaines de milliers de personnes résidant en Suisse. 900 000 personnes étaient fichées à la fin des années 80 sur une population de 7 millions d'habitants. Le motif de ce fichage était l'utilisation par ces personnes de leur liberté individuelle pour militer dans un droit démocratique. Les fonctionnaires fédéraux commis à cette tâche étaient environ 30 dans les années 80. Ce chiffre est à comparer aux 15 employés que compte en 2000 la division d'enquête fiscale spécialement chargée à Berne de la lutte contre la fraude fiscale sur le plan fédéral.

Comme on l'a vu, le secret bancaire n'a rien à voir avec la protection de la sphère privée en général. Il vise à maintenir dans l'ombre, notamment à l'abri du regard du fisc, les activités des possédants, des détenteurs suisses et étrangers de capitaux, ainsi que de leurs sociétés. Bref, des couches qui ont à la fois la possibilité de frauder et pour qui cela vaut la peine. En ce qui concerne l'immense majorité des salariés, ceux-ci reçoivent de leur entreprise une fiche indiquant au centime près leur gain annuel, fiche qu'ils doivent remettre avec leur déclaration d'impôts aux autorités fiscales. Cela implique, d'une part, que leurs revenus sont connus bien au-delà de la sphère privée par leurs employeurs, chefs du personnel, comptables ou secrétaires. D'autre part, la sphère privée des contribuables est de toute façon protégée par le secret de fonction des employés du fisc. Si le secret bancaire était supprimé et si les contrôleurs fiscaux avaient le droit d'obtenir des renseignements bancaires afin de lutter contre la dissimulation d'impôts, cela ne les autoriserait pas à violer le secret de leur fonction en diffusant les informations recueillies.

Enfin, répétons qu'une part très élevée de la fortune étrangère conviée à la place financière suisse échappe au fisc des pays d'origine ou provient de responsables politiques corrompus, de crimes organisés ou encore de régimes dictatoriaux du Tiers-Monde. Le secret bancaire helvétique contribue donc à protéger le produit d'une gigantesque spoliation commise aux dépens de millions de salariés et de sans travail. En d'autres termes, le secret bancaire helvétique, comme d'ailleurs le secret bancaire des autres pays qui connaissent cette pratique, sert certes à préserver la sphère privée des possédants, des exploiteurs et des oppresseurs, mais il entraîne aussi des conséquences dramatiques sur la sphère privée de millions d'exploités ou d'opprimés en matière de revenus, d'emplois, de droits sociaux, de droits démocratiques, de libertés individuelles ou même de simple existence.

Par conséquent, on peut admettre que le secret bancaire relève effectivement de la liberté de l'individu ou des droits de l'homme, à condition de préciser qu'il s'agit des droits de l'homme riche, exploiteur et oppresseur.

M. Guy Mettan (PDC). Beaucoup de choses ont été dites ce soir sur le secret bancaire, des bonnes et des moins bonnes. On peut effectivement se poser la question: «Pourquoi diable défendre le secret bancaire ?» Je pense tout de même qu'il faut replacer le débat dans son contexte. Ce qui est en cause ce soir, c'est d'abord la défense de la place financière et des milliers de postes de travail qu'elle représente. C'est ça qui est important !

Qu'est-ce que le secret bancaire? Ce n'est pas un oukase divin tombé du ciel, ce n'est pas une décision issue d'un complot de quelques méchants capitalistes, non ! Le secret bancaire, c'est le fruit du travail de milliers de personnes pendant des dizaines d'années. Dans ce sens-là, il mérite notre considération, parce qu'il est un de piliers de cette place financière qui nous fait vivre. Je crois qu'on peut considérer le secret bancaire comme une matière première. La Suisse n'a pas de ressources naturelles, elle n'a pas de pétrole, ni de zinc ou de café, mais elle a son secret bancaire. Et une matière première, ça ne se brade pas, ça s'économise; ça ne se gaspille pas, ça se ménage. Dans ce cas-là, je ne comprends pas la position masochiste et d'autodestruction d'une partie de la gauche, qui voudrait qu'on brade une ressource naturelle qui a été construite au fil des décennies à la sueur de milliers de personnes. Vous voulez négliger cela, et pourtant c'est la réalité.

Deuxième chose: on l'a dit, le secret bancaire défend une certaine idée de la sphère privée. Or vous devez tout de même prendre conscience que cette sphère privée est de plus en plus menacée ! Elle est menacée par un pays qui se trouve être les Etats-Unis où, sous l'alibi de la lutte anti-terroriste, on est en train de sacrifier les valeurs de liberté et de l'individu. Et - j'ose le dire - le secret bancaire est aussi un instrument de la liberté individuelle. Par ailleurs, je pense qu'il est important que nous montrions que le secret bancaire et la place financière sont soutenus par des décisions démocratiques qui viennent de l'ensemble des cantons. Le Conseil fédéral doit négocier durement à l'échelle internationale, et c'est important que nous montrions que Genève, la deuxième place financière de Suisse, est aussi derrière lui, et que l'ensemble des Genevois sont conscients des enjeux.

Autre élément: le monde financier est actuellement en crise, et nous devons avoir le courage de défendre une situation ou des gens qui sont en difficulté. Vous, Messieurs et Mesdames de la gauche, vous vous battez pour des gens qui sont en difficulté. Il faut aussi reconnaître et avoir l'audace de dire qu'une branche économique traverse des difficultés, et c'est aussi de la responsabilité du monde politique d'intervenir pour la soutenir.

Reste encore la question morale. Elle est très importante et nous devons tous en être conscients. Je pense même que la Suisse doit avoir, dans le domaine moral, un rôle d'avant-garde. Mais il n'y a aucune raison que la Suisse soit plus morale que le reste de l'humanité ! C'est aussi une manière de dire «y en a point comme nous !» que de vouloir être encore plus moraux que tout le monde, encore plus moraux que les Anglais ou autres. Et on ne sait pas au nom de quoi nous devrions être plus moraux... Nous avons adopté une loi qui est considérée comme étant à l'avant-garde de ce processus de lutte contre le blanchiment, et les autres pays nous en sont reconnaissants. Nous devons être moraux, mais aussi moraux que les autres et pas forcément plus moraux qu'eux.

En ce qui concerne la résolution de l'UDC, on pourrait émettre des réserves à son endroit, mais il se trouve qu'elle va dans le bon sens, et c'est aussi dans cette perspective que nous la soutenons, tout comme la motion qui nous est proposée.

Mme Maria Roth-Bernasconi (S). Mesdames et Messieurs les députés, après avoir entendu M. Guy Mettan, j'aurais assez envie de dire «Saint secret bancaire, priez pour nous !» Il y a plusieurs mythes qui entourent le secret bancaire, mais je ne vais pas y revenir, car certains de mes préopinants en ont déjà parlé.

L'origine du secret bancaire fait aujourd'hui l'objet d'un débat et je vous conseille la lecture de l'excellent historien Peter Hug, qui s'est basé sur les archives fédérales et celles de l'ASP, et qui révèle que l'histoire du secret bancaire peut être totalement différente. Il y a un deuxième mythe, qui voudrait que le secret bancaire soit absolu. Or, nous savons aujourd'hui que ce n'est pas le cas: il est un peu comme un fromage d'Emmenthal. Le noyau dur du secret bancaire que nous aimerions encore protéger aujourd'hui concerne l'évasion fiscale. Par conséquent, il n'y a pour ainsi dire plus que l'évasion fiscale qui est encore protégée par le droit suisse. Il est faux de parler de la protection de la sphère privée des citoyens et des citoyennes honnêtes, qui n'ont rien à craindre d'une démarche qui permettrait de dévoiler les tricheurs qui placent leur argent en Suisse pour échapper au fisc de leur pays. Comme l'a dit très justement la présidente du Conseil d'Etat, «le refus de payer l'impôt est un acte profondément incivique, dont le résultat est contraire à l'éthique et à l'équité». Vous, Messieurs les radicaux et les UDC, vous qui voulez renforcer les mesures contre les incivilités, soyez cohérents ! Cette incivilité-là ne se voit peut-être pas dans la rue, mais elle est tout aussi répréhensible que celle que nous rencontrons de temps en temps sur la place publique.

Il y a un autre problème et je vous demande, Mesdames et Messieurs les députés, d'y être attentifs: j'ai l'impression que la démarche de l'UDC vise un seul but, celui de boycotter les négociations bilatérales. S'il est vrai que la Suisse fait actuellement des offres dans le cadre des négociations bilatérales, en proposant une éventuelle imposition à la source, elle ne veut pas pour le moment renoncer au principe de la double incrimination. L'évasion fiscale en Suisse serait donc toujours possible. Mesdames et Messieurs, cette position-là n'est pas celle du parti socialiste. Pour nous, l'aboutissement des négociations bilatérales est primordial. En effet, rompre ces négociations en argumentant que le secret bancaire en matière d'évasion fiscale - et en cette matière-là uniquement - n'est pas négociable, c'est jouer avec le feu et mettre en danger les autres branches économiques, tout aussi importantes en Suisse que le secteur bancaire. M. Jeannerat l'a dit, 25% concernent le secteur bancaire, mais qu'en est-il des autres secteurs ? Pour ces autres secteurs, les bilatérales sont indispensables pour que leurs produits puissent accéder sans discrimination ou taxes douanières aux marchés européens. Certains industriels l'ont même compris et le disent aujourd'hui.

A Genève non plus, nous ne vivons pas uniquement du secteur bancaire ! S'il n'est pas étonnant que l'UDC se cabre lorsqu'on parle d'ouverture vers l'Europe, en acceptant de ne pas cautionner les tricheurs vivant dans les pays voisins, je trouve irresponsable de la part de représentants de l'économie de défendre la position suisse, qui met en danger la construction européenne. Hypothéquer le bien-être général et le savoir-vivre d'un pays, compromettre sa réputation - et c'est ce que ferait l'inscription du secret bancaire dans la Constitution suisse - et hypothéquer également les relations de bon voisinage afin de préserver les intérêts d'une seule branche, même rémunératrice, serait vraiment trop cher payé.

Les ouvriers licenciés, les paysans, les familles qui voient leur pouvoir d'achat diminuer parce que les produits suisses sont toujours plus chers que ceux de l'étranger ne vous remercieront pas, Mesdames et Messieurs les représentants de l'économie ! Et comme le dit très justement mon camarade et ancien collègue de la FTMH Jean-Pierre Ghelfi, économiste, une nation, c'est quand même autre chose qu'une société par action. Je vous prierai donc au moins de ne pas accepter la résolution de l'UDC, elle est extrêmement mauvaise pour l'image de la Suisse. Soyez lucides ne serait-ce que par rapport à cela.

Mme Sylvia Leuenberger (Ve). Je serai brève, car le temps, c'est de l'argent... Si la fraude ou l'évasion fiscale ne représente qu'une toute petite partie des avoirs bancaires en Suisse, alors des accords et négociations avec l'Europe pour lever le secret bancaire ne doivent pas poser problème, sauf pour les gens ou les sociétés qui trichent. La levée du secret bancaire sur demande d'entraide judiciaire ne peut inquiéter les avoirs provenant de gains légaux, ni les gestionnaires respectueux des règles déontologiques. Si notre prospérité dépend effectivement de ces avoirs bancaires qui redoutent la pleine lumière et la transparence, alors la stabilité et la force de notre place financière ne sont qu'une vaste farce. Si elle ne repose que sur des fonds monétaires qui, dans d'autres pays ou même ici, ont créé la misère, du chômage, des faillites ou l'épuisement des ressources naturelles, voire la guerre, alors cette richesse n'est pas du tout une assurance de stabilité. Les conséquences de l'enrichissement de notre place financière par de l'argent qui a contribué à semer la pagaille ailleurs se manifestent par l'arrivée massive de gens qui ont souffert de ces troubles, et qui amènent avec eux un cortège de problèmes sociaux à régler.

Ainsi, il est indéniable qu'un rééquilibrage économique par la levée du secret bancaire ne serait qu'un juste retour des choses. Etant donné qu'il reste toutes sortes d'inconnues sur ces aspects financiers, comme l'a dit mon collègue Bavarel, nous souscrivons quand même à la deuxième invite qui demande d'évaluer et d'étudier l'importance quantitative et qualitative de la place financière genevoise.

M. Robert Iselin (UDC). Je voudrais en premier lieu remercier mon collègue le député Mettan de son exposé parfaitement clair et parfaitement évident. D'autre part, à l'adresse de M. Vanek, je voudrais simplement citer un personnage encore connu de ma génération mais qui n'est peut-être plus connu de la vôtre, M. Antoine Pinay, ancien ministre des finances et ancien Premier ministre de la République française, qui disait: «Dieu soit loué pour les banquiers suisses qui ont sauvé la fortune française privée, socialiste ou pas.»

Je voudrais dire ici que je comprends bien la gauche pure et dure, qui entend faire des citoyens du monde entier des serfs taillables et corvéables à merci. La Suisse n'est pas là pour être le collecteur d'impôts d'Etats étrangers qui assassinent leurs citoyens ! L'UDC votera la motion de l'Entente, même si ce parlement ne devait pas accepter sa résolution.

M. Jean Spielmann (AdG). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, en entendant tout à l'heure parler de morale, je me suis souvenu du texte qu'avait rédigé le directeur général du Crédit Suisse et qui disait ceci, en ce qui concernait ce qu'il appelait la pseudo-morale: «Nous, banquiers, n'avons pas la moindre raison de nous préoccuper de ce thème de la moralité, qui revient régulièrement à la surface comme une épidémie, comme la malaria. Une fois, cela s'appelle la Grèce, une fois le Portugal, une autre fois le Chili, c'est une affaire de mode. Si nous voulons donner du travail à nos gens, et en même temps contribuer à développer l'économie mondiale, nous ne pouvons absolument pas aborder des sujets pseudo-moraux.»

Voilà les orientations qui sont prises, et permettez-moi donc d'intervenir sur le fond. Je veux bien entendre ce discours, curieux dans la bouche d'un élu démocrate-chrétien, mais il faut savoir ce dont on parle. Le même député a parlé de la sueur des gens qui ont fait des économies pour les placer dans nos banques. Eh bien, parlons-en ! Je crois que, plutôt que de la sueur de ceux qui ont travaillé pour placer de l'argent, on pourrait parler du sang de tous ceux qui ont été les victimes de leurs pratiques... La liste est relativement longue - je l'ai faite de mémoire - et va de Trujillo au Shah d'Iran, de Marcos à Duvalier, du scandale de l'Iran Gate à celui de Mme Kopp, de Strösser au Paraguay, Noriega, Menem, Abacha, Traoré, Salina, Mobutu, Butto et Suharto, sans parler des fonds de Russie et de Yougoslavie aujourd'hui, du Brésil et d'autres pays encore. La liste serait beaucoup plus longue si j'avais les références écrites.

Mesdames et Messieurs, comment pouvez-vous décemment parler de protéger l'emploi et le travail en acceptant de tels fonds dans notre pays et en jouant, pour nous et pour le monde entier, un rôle détestable qui pose problème à tout le monde ? Je veux bien croire que, sous la pression internationale, un certain nombre de modifications aient été faites pour lutter contre l'argent sale, ainsi que - on commence à en parler un peu - pour lutter contre le terrorisme, mais il n'empêche que c'est toujours dans nos places financières que l'on vient rechercher des renseignements lors d'attentats. C'est également le cas pour la lutte contre la drogue, contre la criminalité et contre les marchands d'armes... La plupart des personnes citées tout à l'heure ont une caractéristique commune: elles viennent de pays du Tiers-Monde auxquels nous fournissons de l'aide humanitaire et, plutôt que de s'en servir pour faire prospérer leur pays, ces personnes-là détournent l'argent public et l'argent des fonds sociaux pour le déposer dans nos banques. Et c'est ce secret bancaire-là que vous voulez sauver au nom de l'emploi ? Evidemment, on n'abordera pas la question de la morale, cela a été bien précisé tout à l'heure.

Permettez-moi de vous dire, Mesdames et Messieurs les députés, que votre analyse est fausse. La pression va encore augmenter; du côté de l'Angleterre et des Etats-Unis, ces pressions se font d'abord parce qu'ils veulent éliminer un concurrent, qu'ils sont jaloux de notre place financière et de la qualité avec laquelle nous rendons service à tous ces dictateurs venus d'autres pays, et qu'ils aimeraient bien prendre une partie de ces biens, sans se préoccuper bien sûr de leur provenance ou de la morale cachée derrière tout ça. Mais cette pression vient aussi de l'OCDE, elle vient aussi de l'Europe, des pays du Tiers-Monde et de tous ceux qui ont vu, au cours de ces dernières années, la Suisse changer. Cette Suisse, auparavant riche de ses exportations, de la qualité de son artisanat, du travail de ses citoyens avec aussi d'autres éléments plus folkloriques comme le chocolat ou autres produits de qualité; aujourd'hui, la Suisse est considérée dans le monde entier comme le lieu de l'argent sale, le lieu des banques, le lieu où s'articulent tous les marchés de la drogue, tous les trafics d'armes, et où vient se réfugier l'argent des dictateurs du monde entier. Peut-on continuer comme ça et espérer avoir une place dans le monde de demain - que j'espère beaucoup plus solidaire et beaucoup plus ouvert sur le Tiers-Monde - avec ce que nous faisons et ce que vous défendez aujourd'hui avec le secret bancaire, qui est une insulte quotidienne et permanente aux peuples du Tiers-Monde ? Est-ce sur cette base que nous devons forger notre avenir ?

Mesdames et Messieurs, vous faites fausse route ! Vous ne pourrez pas cacher ces réalités plus longtemps. Elles ont déjà explosé au grand jour depuis longtemps. Aujourd'hui, la seule politique raisonnable est celle de la transparence ! Il s'agit d'assurer la qualité de la gestion, de participer à la lutte internationale contre le crime, quelle qu'en soit sa nature, qu'il soit lié à la drogue, aux armes, à l'argent sale ou aux détournements de fonds publics. Il faut travailler avec l'Europe, avec les pays progressistes et avec les pays qui se développent, dans une optique de transparence. Vous voulez assurer le secret, alors que c'est le contraire de la transparence, c'est le mensonge à la place de la vérité, c'est - comme l'a dit le président du Crédit Suisse - ne pas avoir de moralité, c'est aller dans un trou dans lequel vous ne faites que vous enfoncer. Heureusement, Mesdames et Messieurs les députés de l'UDC qui avez déjà réussi à faire passer ces idées dans quelques cantons, il faudra un vote du peuple pour modifier la Constitution suisse. Et ce vote sur la proposition d'inscrire le secret bancaire dans la Constitution permettra un débat intéressant et important, sur la base duquel nous pourrons dénoncer un certain nombre de vos agissements et cette duplicité qui consiste à vous faire passer pour des démocrates transparents et moralement responsables alors que vous faites exactement le contraire. Ceux qui ce soir voteront pour le secret bancaire sont des soutiens directs à la liste de toutes les personnes que j'ai nommées tout à l'heure.

Mme Jocelyne Haller (AdG). Je ne serai pas longue, car beaucoup de choses ont déjà été dites, mais j'aimerais simplement revenir sur la question de l'emploi. Afin d'étayer le secret bancaire, les milieux d'affaires et les autorités fédérales soulignent qu'environ 120 000 personnes sont employées par les banques et les sociétés financières helvétiques. Les cercles bancaires affirment que ces emplois seraient menacés par la disparition du secret bancaire. Ce catastrophisme est fallacieux. En fait, la gestion de fortune ne génère que peu d'emplois. La banque de Martin Ebner, par exemple, qui gérait des dépôts pour un montant d'environ 46 milliards en l'an 2000, emploie en tout et pour tout 20 personnes. On estime que les banquiers privés administrent actuellement environ 10% de la fortune gérée en Suisse. En 1999, 34 000 personnes étaient employées dans ce secteur. A supposer qu'en cas de suppression du secret bancaire, la moitié de ces fonds serait retirée des établissements helvétiques, cela signifierait qu'environ 17 000 ou 20 000 emplois seraient supprimés. Or, on peut spéculer à notre tour sur le fait que si les pressions sur Berne étaient assez fortes pour obliger à abandonner le secret bancaire, il est probable que ces pressions contraindraient les autres paradis fiscaux à en faire de même. Dès lors, on peut en conclure que peu de capitaux quitteraient la Suisse. On s'approcherait alors plutôt d'un risque de suppressions d'emplois de l'ordre de 8 000. Certes, ce serait une perte d'emplois conséquente et alarmante. Néanmoins, permettez-nous de nous interroger sur le degré de sincérité des milieux bancaires lorsqu'ils se préoccupent de leurs employés, si l'on considère qu'ils ont eux-mêmes supprimé dans leurs établissements 8 000 emplois entre 1990 et 1999.

M. Pierre Vanek (AdG). J'aimerais rajouter encore deux ou trois choses dans ce débat. Premièrement, l'idée est systématiquement répandue que l'on combat le blanchiment d'argent sale et les activités criminelles, mais que l'évasion fiscale - M. Halpérin l'a dit la dernière fois et le réitère dans cet opuscule de la Chambre de commerce que j'ai cité - ne serait pas quelque chose de grave ou relèverait à la limite de la liberté individuelle ou de faiblesses humaines tout à fait compréhensibles et qui devraient être couvertes par notre législation. Or j'insiste sur ce que mon collègue Pagani a déjà dit: le secret bancaire couvre les procédés et les circuits utilisés pour blanchir de l'argent sale, qui sont largement les mêmes que ceux employés pour couvrir les vols au profit des nantis et au détriment des collectivités que sont la fraude et l'évasion fiscales. Je cite Bernard Bertossa: «L'argent gris de l'évasion et de la fraude suit souvent les mêmes canaux que l'argent noir du crime». On ne peut pas combattre vraiment l'un, sérieusement, au-delà des gesticulations, sans combattre l'autre.

Par ailleurs, je rappelle que l'une de ces résolutions ou motions - je vous avoue que je n'en ai pas regardé le texte de près - appelle à un soutien au Conseil fédéral dans son activité sur ces questions. Rémy Pagani l'a aussi dit: on lisait dans la presse cette semaine que justement en matière de blanchiment on opérait des coupes claires dans les moyens mis à disposition à l'échelle fédérale pour la lutte contre cette activité. Se lancer maintenant dans un soutien au Conseil fédéral signifierait aussi, sur cette question, soutenir ces coupes qui sont évidemment inadmissibles. En effet, une chose c'est la loi, autre chose, l'essentiel, c'est de la faire appliquer...

J'aimerais encore insister sur un point: je trouve surréaliste et saumâtre d'entendre M. Iselin, tout à l'heure, venir au nom de l'UDC nous faire la leçon en disant que nous voudrions réduire l'ensemble de la population de ce monde à des serfs taillables et corvéables à merci. De ce point de vue-là, il peut regarder du côté de sa main droite: nous voyons M. Schifferli qui, lors de notre dernière session, était le porte-parole de la défense du secret bancaire au nom des droits humains ou des droits individuels ou des droits de la personne. Est-ce bien ce que vous avez dit, Monsieur Schifferli ? Cela figure aussi dans votre texte. Or M. Schifferli est un apologue du général Pinochet par exemple, qui n'était pas un partisan particulièrement éclairé des droits de l'homme, ni sur les plans économiques, ni sur les plans politiques, ni sur les plans sociaux, ni sur aucun autre plan. C'est donc une mascarade ! Une mascarade que d'entendre ici l'UDC s'élever en faveur du secret bancaire au nom de la défense des droits de l'individu ou de la personne. L'UDC se pose volontiers en parti des petites gens, en l'occurrence on voit bien qu'il est le parti qui défend le vol que constituent l'évasion et la fraude fiscales, le vol au profit des super-riches et des milliardaires qui ne manquent pas dans les rangs de l'UDC et parmi ses bailleurs de fonds. C'est de cela qu'il s'agit.

Bien entendu, il y a une première raison, tout élémentaire qui fait que cette affaire du secret bancaire ne concerne pas les droits de l'immense majorité des gens, y compris à Genève: c'est tout simplement parce que la majorité des gens n'ont pas en banque des montants faramineux dont ils auraient intérêt à cacher l'existence, par exemple à l'administration fiscale. La véritable matière première de ce pays, Monsieur Mettan, c'est la qualité du travail de ces salarié-e-s qui n'ont pas d'actions ni d'intérêt dans cette affaire de défense du secret bancaire.

Ensuite, j'aimerais dire aussi ceci: Monsieur Mettan encore, vous demandiez pourquoi nous devrions être plus blancs ou meilleurs que les autres. Mais il ne s'agit pas du tout de cela ! «Le Temps», dans un article du mardi 5 novembre, évoquait les plans fiscaux du gouvernement allemand - appuyé par des Länder où ce sont les démocrates-chrétiens qui sont aux manettes - qui entendait obtenir un certain nombre de rentrées fiscales supplémentaires à l'aide précisément de la transparence fiscale sur les avoirs des Allemands déposés dans les banques. Selon les partisans du secret bancaire en Allemagne et opposants à cette mesure, on assisterait suite à celle-ci à un exode massif de fonds allemands en direction d'oasis fiscales voisines, la Suisse en tête. Autrement dit, appuyer et continuer à couvrir le secret bancaire en Suisse, ce n'est pas juste une question morale, c'est une question concrète; on est par exemple concrètement en train de torpiller un certain nombre de mesures prises par le gouvernement allemand pour redresser les finances publiques et, là aussi, il y va d'emplois et des intérêts de la collectivité qui sont en jeu.

Enfin, j'aimerais revenir sur une question. J'évoquais tout à l'heure l'ONG Oxfam qui parlait de dizaines de milliards détournés des collectivités publiques à travers le monde, particulièrement dans les pays de Sud. Dans le communiqué de cette organisation dont la présidente d'honneur est Mary Robinson, il est dit qu'on a récemment stigmatisé un certain nombre de petits paradis fiscaux annexes comme Jersey, les îles Caïman, les Bahamas ou les Seychelles, mais qu'on ignorait peut-être volontairement, mais à tort, des centres tels que Londres, New York, Singapour, Hong Kong et la Suisse - et vous avez eu raison de les mettre sur le même plan, en évoquant la question de leur concurrence - qu'il faut maintenant dénoncer. Cette ONG le fait, et elle le fait à juste titre, parce qu'il s'agit effectivement de moyens qui permettent d'assurer une santé élémentaire à des millions de personnes dans le monde, d'assurer une scolarisation à des enfants, qui sont détournés. Ce qui est dit ici, c'est que se sont ces centres-là qui devraient être nommés, blâmés et transformés: « They should be named, shamed and changed.» Nous sommes ici pour refuser vos résolutions, pour nommer, pour faire honte, et pour tenter de changer cette question du secret bancaire, comme le parti socialiste d'ailleurs avait voulu le faire avec une initiative qui avait été refusée en 1984. Ce combat-là doit continuer, il est central du point de vue de la gauche, et nous ne le lâcherons pas.

M. Pierre Schifferli (UDC). Je voulais simplement dire que j'étais déçu de l'attitude de M. Vanek. Nous pouvons débattre du sujet qui est à l'ordre du jour, sans procéder au type d'insultes et d'attaques personnelles auxquelles il s'est livré. Je pense que je n'ai pas de leçons à recevoir de la part de gens qui ont défilé derrière les drapeaux des Khmers rouges, ceux-là mêmes qui ont mené au génocide de 2 à 3 millions de Cambodgiens, Monsieur Vanek. C'est tout ce que j'ai à vous dire. Et les discours que nous avons entendus aujourd'hui de l'extrême-gauche sont totalement navrants, c'est du Jurassic Parc idéologique, qui remonte à la fin du XIXe siècle. Vous êtes complètement déphasés ! Monsieur Spielmann, concernant votre liste de personnages politiques étrangers qui ont placé de l'argent en Suisse, on a justement découvert leurs fonds car il y a une législation, parce qu'on a pu les attaquer. Et il se trouve qu'à titre professionnel, il y a deux ou trois cas parmi ceux que vous avez mentionnés dont je m'occupe personnellement du côté des parties plaignantes, des parties civiles qui ont réussi à faire bloquer ces comptes grâce à notre législation et même, parfois, grâce à la collaboration des banquiers, ainsi qu'à l'activité de nos juges d'instruction qui sont très efficaces dans ce domaine.

Je pense que vous mésestimez complètement ce qui se fait dans la réalité en Suisse. C'est en Suisse que, par exemple, des fonds Abacha ont été découverts et bloqués, et la Suisse va renvoyer ces fonds au Nigéria, tandis que les Anglais n'ont encore strictement rien fait. Vous êtes donc complètement à côté de la réalité, c'est un discours de propagande qui semble remonter à l'époque où MM. Brejnev ou Staline, que vous admiriez à l'époque, étaient encore au pouvoir.

Le président. Monsieur Spielmann, vous n'avez pas été mis en cause, la parole est à M. Marcet.

M. Claude Marcet (UDC). M. Michel Halpérin, lors de la dernière séance, a parlé brillamment du rapport entre angélisme et stupidité. (Brouhaha. Le président agite la cloche.)Pour tous ceux dans ce Parlement qui veulent plomber le secret bancaire au nom de l'angélisme social-international, je vais compléter quelque peu son propos...

M. Jean Spielmann. Si on ne veut pas me donner la parole, eh bien je vais la prendre !

Le président. Monsieur Spielmann, vous vous taisez.

M. Claude Marcet. Monsieur le président, j'ai été éduqué, donc je laisse volontiers la parole à M. Spielmann s'il veut dire quelque chose.

Le président. Monsieur Marcet, je vous prie de continuer.

M. Claude Marcet. Je prétends que certains anges dans ce parlement ne se rendent pas très bien compte que nous sommes en situation permanente de guerre économique. Dans cette guerre, tous les coups se donnent ouvertement ou de manière souvent beaucoup plus perfide. Les pays européens nous envient notre puissance financière et nous attaquent par tous les moyens pour l'affaiblir, les Anglais les premiers. C'est leur jeu, ils ont raison de le faire et je ferais comme eux, d'autant plus si en face il n'y a que des ventres mous et des enfants de choeur. Les Américains, beaucoup plus pragmatiques que certains idéologues dogmatiques qui siègent dans ce parlement, attaquent tous azimuts en matière économique et tirent sur tout ce qui bouge qui serait contraire à leurs intérêts. Si la Suisse est dans leur ligne de mire - voir l'affaire des fonds juifs - ils ne vont pas réduire leur pression au titre que nous sommes petits et sympas. Ils ne vont pas nous louper, et c'est ce qu'ils ont fait dans l'affaire desdits fonds juifs, car ceux-ci n'étaient en fait que l'habit de bal d'un autre combat, plus économique celui-là, l'affaiblissement de nos banques et de notre système financier. Cette pratique pragmatique, hors de tout angélisme, menée souvent avec le plus profond cynisme, la plus grande hypocrisie, leur a permis de devenir la première puissance économique de ce monde, partant la première puissance militaire de ce monde, et finalement la première puissance politique de ce monde, cette dernière découlant tout naturellement des deux premières. A leur place, j'aurais fait exactement comme eux, surtout si en face de moi, je n'ai que des nains de jardin !

La prééminence de l'économique sur le politique est un fait, et cela ne changera pas. De tout temps, c'est la puissance économique, conséquence d'une forme permanente d'agressions en tous genres, qui a créé la puissance politique, jamais l'inverse. Les systèmes économiques collectivistes et socialistes purs et durs où le politique voulait dicter les règles de l'économique ont tous lamentablement foiré, amenant la misère partout où ils se sont installés.

Le secret bancaire est l'un des piliers importants de notre réussite. Il va donc de soit que c'est sur ce pilier que les attaques étrangères fondent, et pas avec des cailloux, mais avec des obus renforcés. Que l'on ne vienne pas ici me dire, pour justifier notre lâcheté et pour nous inviter à baisser nos culottes, que nous cachons la fraude fiscale étrangère ! Je rappellerai que si les fonds étrangers sont venus, c'est bien souvent parce que les Etats étrangers pratiquaient et pratiquent toujours une fiscalité confiscatoire. C'est aussi une forme de vol ! Et c'est pour éviter ce vol que ces fonds sont venus chez nous. Si cette fiscalité confiscatoire étrangère n'avait pas existé, jamais probablement notre système bancaire n'aurait atteint l'envergure et la renommée qu'il a eues et jamais de facto il n'aurait aiguisé aujourd'hui autant de volontés étrangères pour le détruire. (M. Marcet est interpellé par M. Spielmann)Si, demain, notre système bancaire devient une passoire fiscale, les fonds étrangers partiront ailleurs, et il ne restera à la Suisse que ses yeux pour pleurer sur une certaine partie de sa richesse d'antan.

Aussi, aux anges et à ceux qui aiment bien profiter de la puissance économique actuelle de ce pays, je dis adieu les acquis sociaux, et retour au boulot, case départ, mais pas dans le style de travail auquel on assiste actuellement, et, bien évidemment, plus aux mêmes conditions salariales et sociales connues aujourd'hui. Aux anges, et aux autres qui aiment bien profiter de la puissance économique de ce pays, je leur dis de faire très attention avec le secret bancaire. Le problème de la poste aujourd'hui, c'est peut-être le problème de la banque demain mais, cette fois, avec l'avenir de ces dizaines de milliers de collaborateurs, avec l'avenir de notre puissance financière, partant l'avenir de nos entreprises et de leurs collaborateurs, et finalement l'avenir des acquis sociaux qui pourraient bien se réduire comme peau de chagrin. Démontez donc nos acquis économiques à tous, et vous démonterez aussi vos acquis sociaux.

A bon entendeur, salut !

M. Michel Halpérin (L). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, les quelques interventions de députés de l'Alliance de gauche étaient une illustration de ce que j'avais commencé à vous dire lors de notre précédente séance. Nous avons eu des discours qui auraient peut-être pu s'expliquer par l'incompétence, mais généralement les incompétents se taisent. Lorsqu'ils parlent, il faut supposer soit qu'ils se prennent pour des gens compétents, soit qu'ils se livrent à leur exercice favori qui consiste à créer des amalgames, ce à quoi nous avons assisté tout à l'heure. Vous me pardonnerez, par souci de brièveté, de ne pas entrer dans le détail de ces interventions, sinon pour deux types de remarques.

Lorsqu'on nous propose la transparence à l'égard du monde entier comme une vertu cardinale, je me demande si cette proposition s'étend par exemple à la Chine, à l'Irak, à l'Algérie, au Chili de Pinochet autrefois ou à la défunte URSS, ou s'il faut lever le secret bancaire à partir du moment où celle-ci n'est plus là pour financer le parti communiste suisse.

Deuxième question à propos des amalgames: on nous explique que le secret bancaire serait la source de l'ensemble des maux actuels du monde, notamment dans les pays du Tiers-Monde ou d'autres, défavorisés par les exportations de capitaux. Je rappelle que les exportations de capitaux sont généralement la traduction du peu de confiance qu'un certain nombre de gens ont dans leur propre pays; ce n'est pas nous qui créons la méfiance, c'est peut-être nous qui en bénéficions. J'ai toujours été très frappé de constater que la France, après quatre siècles de contrôle des changes, y a finalement renoncé avec le plus grand bonheur, puisque dès ce moment-là les exportations de capitaux ont cessé. Je prétends quant à moi qu'on ne gagne pas la confiance par la brutalité. Mais ce n'est pas vraiment le sujet sur lequel je voudrais m'arrêter.

Ce soir je voudrais dire simplement deux ou trois mots à propos des réflexions éthiques de MM. Rodrik et d'autres parmi les socialistes, puisque je crois que sur le discours économique tout a été parfaitement dit par les précédents intervenants, notamment MM. Jeannerat, Mettan, Marcet et d'autres. Je crois que sur le plan de l'éthique, il ne faut pas commettre d'erreur d'appréciation. Personne, et en particulier pas moi, n'a soutenu ici que l'évasion fiscale était une vertu, ni même qu'elle était anodine, ni encore qu'elle était indifférente du point de vue moral - mais après tout chacun a le droit de fixer ses échelles de valeurs comme il l'entend - mais pas non plus du point de vue législatif ou juridique. Il se trouve qu'il faut être très mal informé ou très incompétent pour imaginer que l'évasion fiscale n'est pas réprimée par les textes légaux. L'évasion fiscale est interdite et elle est réprimée. La seule question est de savoir de quelle façon elle est réprimée. Dans notre pays, pour nos citoyens, elle est réprimée par un système d'amendes. C'est pour cela qu'on dit qu'elle n'est pas un délit, mais une contravention. L'évadé fiscal qui est attrapé dans son exercice d'évasion est puni - et c'est légitime - et il est puni par là où il a péché, c'est-à-dire par l'argent. Dans d'autres pays, y compris dans des pays du cercle voisin, les mêmes évadés fiscaux sont punis par des peines de prison. La question qui se pose est donc la suivante: pouvons-nous traiter autrement les étrangers qui sont en visite chez nous, y compris en visite bancaire, que par le traitement que nous nous réservons à nous-mêmes ? La réponse est non, évidemment. La question que vous posez sur la levée du secret bancaire en matière d'évasion fiscale est celle-ci: faut-il, dans notre pays, permettre désormais aux administrations fiscales de s'adresser directement aux banques pour connaître la situation de chacun d'entre nous ? Faut-il, dans la foulée, permettre en Suisse, comme on le fait paraît-il en France, en Belgique ou aux Etats-Unis, qu'on envoie des escouades tôt le matin dans nos appartements pour vérifier à quoi ressemble nos relevés de comptes ou nos carnets de notes ? (Protestations.)En France, cela se pratique beaucoup; en Suisse, cela ne se pratiquait pas jusqu'à présent, du fait même que l'évasion fiscale est une contravention et non un délit.

Je dis aux députés de gauche que la question qui se pose est de savoir le type de relations qu'ils veulent nouer entre les administrés de ce pays et les collectivités publiques dont nous sommes. Si vous voulez un pays dans lequel le rapport entre le citoyen et l'Etat soit un rapport tendu et conflictuel, continuez sur votre voie, vous êtes en très bon chemin. Si, comme moi, vous pensez qu'on gagne plus par la confiance et par des relations correctes entre administration et administrés, vous changerez d'idée. Mais je ne me fais pas d'illusion sur la capacité de MM. Spielmann et Pagani à changer d'idée. Par contre, j'ai quelques espérances, du fait des voix discordantes que j'ai entendues au sein du groupe socialiste ou des Verts, pour penser que cette sagesse-là pourrait leur venir. Quant aux libéraux, ils ont conscience qu'il n'y a rien de plus important qu'une réflexion sur les rapports entre administrés en administration, et ils ont fait le choix d'une qualité de bon niveau. (Brouhaha et protestations. Des députés réclament le silence.)Le secret bancaire est un instrument par lequel nous mesurons la qualité des rapports entre administrés et administration, c'est la raison pour laquelle le groupe libéral votera les deux textes qui vous sont proposés ce soir.

Le président. Mesdames et Messieurs les députés, je mets aux voix la motion 1486 par le vote électronique. (Chahut, claquements de pupitres.)Monsieur Pagan, le débat est clos !

M. Jacques Pagan. Nous avons droit à des explications !

Le président. Non. Asseyez-vous, Monsieur Pagan ! Vous n'avez pas été mis en cause... Je suspends la séance!

La séance est suspendue à 22 h 25.

La séance est reprise à 22 h 35.

Mise aux voix à l'appel nominal, la motion 1486 est adoptée par 50 oui contre 34 non.

Appel nominal

Mise aux voix à l'appel nominal, la résolution 465 est adoptée par 45 oui contre 34 non et 1 abstention. Elle est renvoyée aux Autorités fédérales.

Appel nominal