République et canton de Genève

Grand Conseil

P 1304-A
10. Rapport de la commission des pétitions chargée d'étudier la pétition concernant la levée de l'embargo contre le peuple irakien. ( -)P1304
Rapport de Mme Christine Sayegh (S), commission des pétitions

Le 4 septembre 2000, la Commission des pétitions, présidée par Mme la députée Louiza Mottaz, a traité la pétition 1304 relative à la levée de l'embargo contre le peuple irakien et tendant à demander aux Autorités cantonales d'intervenir avec fermeté auprès des Autorités fédérales en vue d'obtenir la levée d'embargo/sanctions contre le peuple irakien - embargo + uranium appauvri = génocide.

Audition de M. Lazare E. Abboud

La séance de la commission commença avec l'audition d'un des pétitionnaires, M. Lazare E. Abboud qui a déclaré, en introduction, que l'embargo contre l'Irak est incompatible avec la tradition humanitaire de la Suisse. Il a rappelé le rôle de la Suisse et de Genève sur le plan humanitaire, se référant à l'image de la Genève internationale, l'esprit de Genève, siège de la Société des Nations puis siège de l'ONU pour l'Europe et dépositaire des Conventions de Genève.

M. Abboud croit dans le potentiel du rayonnement de Genève et déplore que la cité de Calvin ne se soit toujours pas donné les moyens d'avoir une vision globale de sa vocation internationale.

Citant le rapport sur la politique extérieure du Conseil fédéral de 1993, il en a énuméré les objectifs, à savoir : paix, droits de l'homme, prospérité commune et préservation du milieu naturel.

M. Abboud rappelle que l'Irak constitue le berceau des trois religions monothéistes et que cette région est à l'origine du développement de notre civilisation. Il s'insurge contre la destruction de ce pays et contre les souffrances intolérables que cet embargo inflige à la population civile irakienne. S'appuyant sur les Conventions de Genève, il en rappelle le précepte fondamental, à savoir que les civils doivent être épargnés en cas de conflit. Il souhaite contribuer grâce à cette pétition à rendre le Conseil fédéral attentif à cette exigence. Il a d'ailleurs également adressé une pétition à M. le conseiller fédéral Joseph Deiss en date du 10 juillet 2000.

Le pétitionnaire se présente comme un homme de paix, qui entend faire usage de ses droits en tant que citoyen d'un Etat de droit pour dénoncer et contribuer à faire cesser l'embargo sur l'Irak, qui dure depuis 10 ans, et ses effets dramatiques sur tout un peuple.

Plusieurs commissaires ont attiré l'attention de M. Abboud sur les limites des compétences de la commission en la matière et lui ont expliqué le fonctionnement du Grand Conseil à ce sujet. L'auditionné n'a pas caché sa déception sur le peu de moyens mais ne se décourage pas. Il espère que ses interventions seront tout de même prises en considération et suivies d'effets.

Discussion et conclusions

Après un tour de table, il s'est dégagé une nette majorité pour envoyer cette pétition au Conseil d'Etat, ce d'autant plus que la question de la levée de l'embargo sur l'Irak est non seulement d'actualité, mais fait l'objet de discussions au niveau fédéral.

En conséquence, Mesdames et Messieurs les député(e)s, la Commission des pétitions, à l'unanimité (1 AdG, 1 DC, 1 R, 3 S, 2 Ve) moins une abstention (L) motivée par le fait que le parcours de cette pétition est incertain, vous recommande d'adresser cette pétition au Conseil d'Etat.

Pétition(1304)

concernant la levée de l'embargo contre le peuple irakien

Mesdames etMessieurs les députés,

Nous demandons aux Autorités cantonales :

d'intervenir avec fermeté auprès des Autorité fédérales en vue d'obtenir la levée d'embargo/sanctions contre le peuple irakien

Embargo + uranium appauvri = génocide

Débat

Mme Christine Sayegh (S), rapporteuse. Je rappelle simplement et humblement que la population civile - encore une ! - irakienne subit depuis dix ans des conditions de vie déplorables. C'est une atteinte sérieuse et grave aux droits de toute cette population, je pense en particulier aux enfants. Cette violation des droits internationaux a généré la démission du secrétaire général adjoint des Nations Unies qui était en charge de la coordination pour des conditions de vie minimales dans ce pays.

Je vous invite, bien évidemment, à renvoyer cette pétition au Conseil d'Etat. 

M. Luc Gilly (AdG). Effectivement et comme vient de le dire Mme Sayegh, un peuple souffre depuis plus de dix ans : le peuple irakien... Le peuple irakien se meurt - les enfants principalement - victime de l'embargo international que lui impose l'ONU, sanction scandaleuse et inhumaine infligée par les Nations Unies, sous la pression constante des gouvernements américain et anglais principalement. Plus de six mille enfants, Mesdames et Messieurs les députés, meurent encore chaque mois dans ce pays, privés de soins, de nourriture, victimes de graves maladies dues aux diverses pollutions engendrées par la guerre !

Ce sujet est trop sérieux et trop grave, aussi je ne peux résister à vous lire un passage d'un texte paru dans le «Courrier» de ce mercredi, au sujet de l'Irak. Il concerne les enfants. On aimerait sauver les enfants sur nos routes, mais est-il acceptable que des milliers de gamins meurent depuis dix ans, victimes et de Saddam Hussein et du complot anglo-américain ?

Je cite : «Les enfants malades de l'uranium, les centrales d'épuration des eaux ayant été détruites, les épidémies liées à l'hygiène telles que le choléra, l'hépatite, la fièvre typhoïde, sont en recrudescence, de même que les cancers. Les chimiothérapies ne sont plus possibles. Les dépressions et les affections touchant la thyroïde sont légion. Maladies rénales, infections respiratoires, hypertensions, diabètes et gastro-entérites sont mortels. Le système immunitaire affaibli à cause des bombardements à l'uranium appauvri ne permet plus aux patients de résister. Les enfants payent un lourd tribut à l'embargo par une nette augmentation des malformations. A l'hôpital pédiatrique de Bagdad, l'aile des petits cancéreux offre un spectacle de désolation. Sous les yeux des parents, ils meurent en silence. En France, on peut en sauver quatre sur cinq. Ashra al Sadoun, rédactrice du journal «The Bagdad Observer» explique que ce ne sont pas un demi-million d'enfants qui sont morts depuis le début de la guerre du Golfe comme l'écrivent nos médias, mais un million et demi.» Tout cela mérite une action... (Brouhaha.) ...et j'aimerais rappeler, et si possible être entendu ou écouté cinq minutes...

M. Claude Blanc. Ecoutez !

M. Luc Gilly. ...que les raids aériens de destruction des Anglais et des Américains continuent régulièrement chaque semaine sur ce pays dans la plus grande indifférence internationale, de même que dans l'indifférence de nos médias, à part le «Courrier» cette semaine. Ces sanctions n'ont donc plus rien à voir avec l'agression de Saddam Hussein au Koweit. Les plus grandes violations des droits humains infligées viennent donc de l'extérieur, et cela au nom des Nations Unies !

M. Abboud, signataire de la pétition qui nous occupe aujourd'hui, rappelle l'urgence de mettre fin à cette situation inacceptable et, surtout, les objectifs que la Suisse devrait poursuivre maintenant si elle entend respecter ses engagements dans sa politique extérieure. C'est-à-dire : prévention et promotion de la paix, faire respecter les droits humains, enfants compris et en priorité, prospérité commune et préservation du milieu naturel. Nous sommes loin du compte dans tout cela, et le maintien de la paix ne peut pas seulement être l'apanage de la Swisscoy au Kosovo ni des futurs engagements armés que la Suisse pourra mener à l'étranger si le référendum contre cette nouvelle loi est refusée par le peuple suisse !

Il est donc indispensable et vraiment urgent maintenant que le Conseil d'Etat transmette sans équivoque son soutien à cette pétition, afin que M. Joseph Deiss, conseiller fédéral, ministre des affaires extérieures, agisse réellement au niveau international pour que cesse cette barbarie d'un autre âge. Tout cela à cause de cet embargo qui dure et qui perdure ! 

Mme Vérène Nicollier (L). Ne soyons pas hypocrites ! Si nous sommes tous conscients et affligés par la souffrance des populations civiles en Irak, nous savons aussi que ce n'est pas uniquement l'embargo décidé par l'ONU qui est la cause de cette souffrance.

Nous savons que la cause véritable de la pauvreté, de la détresse, c'est la dictature, entre autres, exercée dans ce pays de façon éhontée. Nous savons aussi que le programme «Oil for food» - pétrole contre alimentation - comporte des modalités qui ne sont pas toujours respectées par l'Irak. Nous savons que les experts chargés d'exercer un contrôle sur les lieux de création d'armes de destruction massive sont fort mal reçus, si ce n'est carrément mis à la porte, et pour cause.

Nous savons aussi que le population qui souffre ne reçoit pas toujours ce qui est prévu qu'elle reçoive et que ce sont les mauvaises poches qui se remplissent au détriment de celles des populations civiles.

Cependant, notre parlement ne se réunit pas ici pour faire la politique de l'ONU. Notre parlement soutient la paix et les conventions de Genève. Notre parlement doit savoir raison garder, et, s'il veut soutenir le rayonnement international de Genève, il doit maintenir son rang et son rôle de porte-parole de la population genevoise et laisser aux instruments de paix que sa cité abrite le soin de jouer le rôle de médiateur, de pacificateur, de distributeur de soins et d'éléments permettant d'améliorer les conditions de vie du peuple affligé.

Je n'ignore pas le rapport remarquable et affligeant du CICR intitulé «Irak, une décennie de sanctions». Il résume en quelques mots dans son introduction les conséquences de ces sanctions :

- détérioration des conditions de vie;

- inflation;

- bas salaires poussant chacun à des procédés dégradants pour survivre;

- manque de nourriture;

- manque d'eau potable;

- manque de médicaments.

Je l'ai déjà dit, nous sommes conscients de cette situation dramatique. Je suggère donc d'adresser cette pétition à la commission des Droits de l'Homme, nouvellement créée par notre parlement.

Sans entraver les travaux et les décisions d'un organe international dont nous ferons sans doute bientôt partie - je l'espère - notre commission des Droits de l'Homme pourrait suggérer notamment une augmentation des efforts humanitaires dans cette région défavorisée. 

M. Jean-François Courvoisier (S). Les motifs de cette pétition me tiennent particulièrement à coeur, c'est pourquoi je tiens à intervenir.

Tout d'abord, je regrette que M. Abboud, le pétitionnaire que nous avons auditionné, ait semblé davantage préoccupé de se donner de l'importance que de la triste situation du peuple irakien... Il a aussi surestimé les possibilités de pression de notre commission sur la politique du Conseil fédéral et l'influence du Conseil fédéral sur les décisions des dirigeants de l'OTAN.

Je rappelle que notre président bien-aimé, M. Adolf Ogi, a signé en automne 1996, à Washington, l'adhésion de la Suisse au Partenariat de la paix de l'OTAN. M. Ogi, avec une naïveté infantile, est revenu tout fier de la considération dont il a joui aux Etats-Unis... (Exclamations.) L'OTAN est une émanation de la Guerre froide entièrement soumise aux Etats-Unis. M. Ogi a bien expliqué que ce partenariat n'était pas un traité, mais une initiative politique qui ne met pas notre neutralité en péril - ce partenariat a permis mille deux cents survols de notre territoire pour des opérations en Bosnie ! - et nous permet d'apporter ce que nous voulons.

La signature de cet accord incombait entièrement au Conseil fédéral, mais, par souci de transparence, il a été soumis à l'approbation des commissions de politique de sécurité des deux Chambres qui s'y sont montrées favorables.

Mes camarades socialistes du Conseil national n'ont pas protesté pour ne pas être du même côté que celui de M. Blocher. Aujourd'hui, le mal est fait... Et bien que ce partenariat ne nous oblige pas à intervenir contre notre gré, le fait d'être partenaires nous empêche d'être adversaires. Nous ne pourrons donc pas intervenir en faveur des Kurdes, des Palestiniens ou des Irakiens. Ce partenariat permet par contre aux Etats-Unis de prétendre que notre pays est solidaire de leurs interventions soi-disant humanitaires, mais qui ne sont destinées qu'au maintien de l'ordre.

Je cite une pensée de Romain Rolland : «Lorsque l'ordre c'est l'injustice, le désordre est un commencement de justice.» Nous comprenons très bien que dans leur désir de dominer le monde économiquement et militairement les Etats-Unis soient heureux que notre pays, dont les traditions humanitaires sont légendaires, fasse partie du Partenariat de la paix de l'OTAN. Nous servons ainsi de caution morale à toutes les atrocités commises au nom du maintien de la paix.

Je rappelle que M. Hans C. von Sponeck a démissionné de son poste de secrétaire général adjoint et coordinateur du programme humanitaire en Irak pour protester contre ce qu'il estime être une violation de la loi internationale des Nations Unies.

Il y aurait aujourd'hui peut-être une opportunité à saisir : celle d'envoyer une résolution au Conseil fédéral pour lui demander de prévenir la marionnette qui succédera au président Clinton que la Suisse se retirera du Partenariat de la paix de l'OTAN si le blocus de l'Irak et les bombardements continuent. Il est possible que cette menace ait un certain poids. Comme ce projet de résolution n'est pas à l'ordre du jour, nous ne pourrons pas le voter aujourd'hui, mais j'en parlerai à mon groupe pour le proposer lors d'une prochaine session, à moins qu'un autre député ou députée ne désire le reprendre à son compte.

Mais aujourd'hui l'essentiel est d'envoyer cette pétition au Conseil d'Etat.  

M. Luc Gilly (AdG). J'aimerais réagir aux propos que j'ai entendus des bancs d'en face...

Ecoutez, il y a encore un mois et demi des parlementaires qui siègent à Berne, dont un Genevois, Patrice Mugny, ont été interdits de vol pour se rendre en Irak dans le cadre d'une mission tout à fait ouverte et déclarée. Il est tout de même étonnant que les pays européens continuent à faire des blocages de ce type ! Et même si je souhaite aussi que nous soyons prochainement dans l'ONU, il n'est malgré tout pas interdit de critiquer cette institution quand elle dérape ! (Je vous signale que si nous votons sur l'ONU c'est parce qu'il y a des fous comme moi qui ont récolté je ne sais pas combien de milliers de signatures pour qu'on puisse le faire !)

Et j'aimerais encore rappeler à cette occasion que je me suis rendu avec la présidente, Mme Reusse-Decrey, en Turquie et que le train que nous devions prendre et qui devait traverser l'Europe pour envoyer un message de paix au Kurdistan a été interdit de voyage - de Bruxelles à Istanbul ! Finalement, nous avons dû nous y rendre en avion, et puis nous avons continué en autobus - mais je ne vais pas faire tout le trip de ce voyage... Tout cela pour dire qu'il y a aussi des blocages en Europe et des blocages en Suisse...

Il est bien normal, la Suisse n'étant pas encore dans l'ONU, qu'elle puisse faire entendre sa voix dans ce désastre qui continue jour après jour. La population est prise en tenaille entre Saddam Hussein, les restrictions de l'ONU et l'embargo. Il faut tout de même être plus intelligent et assouplir les mesures de restriction, plutôt que de se contenter de dire que c'est Saddam Hussein qui est fermé à tout dialogue ! On le sait très bien ! Et on sait très bien où passe l'argent ! (L'orateur est interpellé.) Oui, mais c'est à nous d'agir ! Ce n'est pas parce que M. Hussein ne veut rien savoir qu'il faut que nous restions les bras croisés ! 

La présidente. Bien ! Mesdames et Messieurs les députés, si j'ai bien compris, Mme Nicollier nous a proposé de renvoyer à nouveau cette pétition dans une commission, en l'occurrence celle des Droits de l'Homme.

Mise aux voix, cette proposition est rejetée.

(Contestations à l'annonce du résultat.)

La présidente. Non, non ! C'est bon ! (Exclamation de M. Dupraz.) Le Bureau est tout à fait d'accord avec mon analyse, Monsieur Dupraz ! Je mets donc aux voix le renvoi de cette pétition au Conseil d'Etat.

Mises aux voix, les conclusions de la commission des pétitions (renvoi de la pétition au Conseil d'Etat) sont adoptées.