République et canton de Genève

Grand Conseil

P 1174-A
12. Rapport de la commission des affaires communales, régionales et internationales chargée d'étudier la pétition pour un parlement romand. ( -) P1174
Rapport de M. Alberto Velasco (S), commission des affaires communales, régionales et internationales

La Commission des affaires communales, régionales, et internationales sous la présidence de M. Alain Etienne, s'est réunie le 24 novembre, 8 décembre 1998 et 5 janvier 1999 pour examiner la pétition 1174, déposée le 17 septembre 1997 auprès du Grand Conseil qui la transmise à notre commission.

Le département était représenté par M. E. Kronstein, directeur de l'Administration des communes, DIAE.

Introduction

La pétition, déposée par le Mouvement romand, demande aux Grands Conseils romands la création d'un Parlement et d'un Conseil des ministres romands, élus au suffrage universel, pour l'an 2000.

Le Mouvement romand, créé en 1959, pour défendre la langue et la culture française en Suisse, préconise aujourd'hui la création d'un organe politique romand, et plus concrètement une Romandie-région Europe.

Revendiquant des droits politiques plus étendus, notamment la mise en place :

d'une réelle concertation des gouvernements et parlements romands ;

d'un conseil économique et social romand ;

d'une Assemblée interrégionale des minorités (francophone, italophone et romanche) reconnue comme interlocutrice valable et égalitaire face à la communauté alémanique ;

la refonte des Etats par la création d'un sénat paritaire dans lequel les Latins et Alémaniques disposeraient d'une représentation égale ;

la création dans un deuxième temps, d'un Parlement romand élu au suffrage universel qui aura comme mandat de définir une politique commune relative aux questions qui touchent la Romandie dans son ensemble.

Certaines revendications ont été reprises ou sont en voie de l'être par l'initiative Vaud-Genève ou le FIR (Forum interparlementaire romand). C'est ainsi que l'initiative Vaud-Genève, lancée avec le propos d'opérer la fusion des deux cantons, s'est muée en une initiative « Oui à la région ». Quant au FIR, il planche en ce moment sur différentes structures possibles telles qu'un Conseil économique et social au niveau romand, une Assemblée prospective romande, réforme des gouvernements cantonaux.

C'est dire combien les idées développées par le Mouvement romand sont d'actualité et font partie du débat non seulement en Romandie mais dans le reste de la Suisse. C'est ainsi que l'on assiste à une volonté de rapprochement des cantons dits « primitifs », des états d'âme fusionnels dans le Nord-Ouest dans le souci de faire valoir leurs intérêts face au puissant Land du Bade-Wurtemberg et de l'Alsace dans l'hypothèse d'une Europe des régions. Il y a aussi l'Espace Mittelland et la région Rhin supérieur qui, transfrontalière, englobe des régions françaises et allemandes qui s'inscrivent dans un découpage imaginé de la Suisse en sept grandes régions.

On le voit, la fusion des cantons n'est plus un sujet tabou en Suisse, indépendamment du fait que l'on soit pour ou contre.

Une étude réalisée récemment au Crédit Suisse a mis en exergue qu'une Suisse découpée en 7 régions permettrait d'atténuer les différences économiques actuelles entre cantons, et conduirait à un nivellement de la croissance des revenus. Il semble que la marge de croissance annuelle entre les différents cantons qui, actuellement, varie de 0,8 % à 3,7 % se situerait, dans le cas de fusions par région, entre 1,3 % pour un Espace Mittelland et 2,7 % pour la Suisse centrale. Par contre, cette même étude montre qu'une région lémanique composée des cantons de Genève, Vaud et Valais aurait, malgré leur fusion, un taux de croissance annuel en-dessous de la moyenne suisse. On voit que ce débat, ou du moins sa justification, dépasse le cadre économique et doit se situer dans le cadre d'une Europe des régions. Ce n'est pas la taille d'une région qui importe, mais les synergies qu'elle peut développer. Enfin, il est important dans cette approche de ne pas mésestimer des critères tels que l'histoire, la géographie, les modes de fonctionnement ou les différentes cultures politiques des différents pays ou régions.

Travaux de la commission

Lors de ses travaux, la commission a auditionné :

MM. Alain Rouillet et Gérard Cuttat, respectivement président et membre du Mouvement romand.

M. M. G. Malinverni, professeur de droit constitutionnel à l'Université de Genève, accompagné de M V. Martenet.

Audition de MM. Alain Rouillet et Gérard Cuttat

M. Cuttat informe que le Mouvement romand a été fondé dans le but de défendre la langue et la culture française en Suisse et dresse plusieurs constats. Il remarque tout d'abord que la Romandie, minorisée dans tous les domaines et dépourvue de moyens institutionnels pour y remédier, se trouve menacée dans son existence même. Il remarque par ailleurs que les centres de décisions se concentrent de plus en plus en Suisse alémanique. L'identité romande apparaît également menacée, pas uniquement par la culture alémanique, mais aussi par l'infiltration d'un sabir anglo-saxon qui aliène la culture romande. A cela s'ajoute un risque de germanisation des régions frontalières à la Suisse allemande. On l'a notamment vu dans le Jura-Sud.

La Romandie pourrait être, selon le Mouvement romand, une région d'Europe.

M. Cuttat fait ensuite état des revendications du Mouvement romand, qui souhaite par ailleurs lutter contre les anglicismes et contre les américanismes apparaissant sur le plan national et international. Ce combat doit cependant s'effectuer en collaboration avec d'autres mouvements, d'Acadie, du Québec, de Bruxelles, du Val d'Aoste, de Wallonie et de France regroupés au sein de la Conférence des Peuples de langue française. Il est également favorable à l'introduction de quotas pour la chanson francophone à la Radio suisse romande et dans les radios locales. Il revendique en outre le maintien des quotas audiovisuels européens pour la télévision.

Par ailleurs, il indique que le Mouvement romand revendique également des droits politiques plus étendus et demande une concertation réelle et plus étendue des gouvernements et des parlements romands.

Il signale que le Mouvement romand revendique sur un autre plan le développement des relations européennes pour la Romandie. Ce développement pourrait se faire par le biais de la poursuite et du développement des collaborations transfrontalières avec les régions Rhônes-Alpes, Franche-Comté, le Territoire de Belfort et le Val d'Aoste, par la désignation d'un représentant romand permanent auprès des institutions européennes à Bruxelles et auprès des institutions spécialisées, notamment francophones, et enfin par la mise en place d'une Romandie, région d'Europe, bénéficiant d'une autonomie économique, budgétaire et politique au sein d'une Confédération helvétique rénovée.

M. Cuttat précise que ces différents constats et revendications figurent dans la charte du Mouvement romand, adoptée par l'Assemblée générale du 7 septembre 1996 pour remplacer le manifeste romand adopté le 13 novembre 1982 et ajoute que cette charte constitue une réponse du Mouvement romand à la consultation entreprise au sujet de la révision de la Constitution fédérale.

C'est au tour de M. Rouiller d'expliquer que la question romande est devenue d'une brûlante actualité au cours de ces deux dernières années. Des propositions, notamment celle de fusion des cantons de Vaud et de Genève, fusent de toutes parts. Outre cette actualité, le Mouvement romand s'inscrit dans une Europe en devenir où les régions prennent de plus en plus d'importance et vis-à-vis desquelles les cantons apparaissent de plus en plus perdus.

M. Rouiller évoque la problématique des concordats intercantonaux. Il constate que ces concordats ont montré quelques limites. Les exécutifs romands, prenant des décisions généralement en dehors de tout contrôle parlementaire, celui-ci apparaît dès lors important et primordial. Il relève le travail du Forum interparlementaire romand (FIR) qui a pris l'initiative depuis quelques années de se réunir et d'évoquer des problèmes communs.

Estimant que la proposition d'un Parlement romand élu au suffrage universel constitue la solution idéale, elle nécessitera néanmoins pour aboutir une révision de la Constitution fédérale et, de suggérer d'agir entre-temps par voie concordataire.

Enfin, M. Rouiller souhaite que la pétition du Mouvement romand soit traitée avec le projet de loi traitant des concordats et que l'idée du Parlement romand soit conservée comme un objectif futur.

En réponse à diverses questions, M. Rouiller indique que le Mouvement romand a pris connaissance de la proposition de MM. Pidoux et Ziegler, et, estimant préférable d'agir au niveau romand, il n'y est pas favorable. Quant aux relations entre le Mouvement romand et les différents parlements romands, il précise que cette pétition a été déposée auprès de tous les parlements romands et qu'il a reçu deux réponses à ce jour, l'une émanant du canton de Neuchâtel, l'autre du canton de Vaud.

Pour répondre à l'interrogation de la commission sur la légitimité qu'aurait la mise en place d'une assemblée constituante, dont les membres seraient désignés par les différents parlements, M. Rouiller signale l'exemple du FIR, où les députés romands ont décidé de leur propre chef, à l'initiative des cantons de Genève et de Vaud, de se réunir au sein du FIR, et tant que la Constitution fédérale ne sera pas révisée, il leur faudra toujours revenir auprès de leurs parlements respectifs. Quand à savoir, si le Mouvement romand entend élaborer une constitution intercantonale, M. Rouiller indique que cela n'est pas possible à court terme en raison du contenu de la Constitution fédérale.

Audition de M. G. Malinverni, professeur de droit constitutionnel à l'Université de Genève, assisté de M V. Martenet.

M. Malinverni trouve que la pétition présente un manque de clarté et de précision. Par exemple, s'agissant de la création d'un parlement romand, on ne définit pas quelles seraient ses compétences.

On peut concevoir deux types d'institutions parlementaires :

avec un pouvoir législatif ;

un pouvoir délibératif, sur le modèle de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe.

Si le parlement envisagé a un pouvoir législatif, dans quels domaines aurait-il ses compétences ? La pétition demande la création d'un conseil des ministères, c'est une notion étrangère au droit suisse. Si l'on vise également un pouvoir exécutif, on s'achemine vers la création d'une nouvelle entité supracantonale. Il y aurait alors une contradiction entre cette exigence et le second point des considérants.

Sa première conclusion est de dire que cette pétition est vague. En plus, vouloir prévoir cela d'ici l'an 2000 est difficile au niveau timing.

Ensuite, M. Malinverni aborde le problème de la conformité de cette pétition au droit fédéral. Partant de l'idée que le Parlement romand serait élu avec un pouvoir législatif et un Conseil des ministres élus au suffrage universel (mais on n'en est pas sûr), il remarque que, malgré le fait qu'il n'y a pas dans la Constitution une disposition interdisant la collaboration intercantonale, la fusion de cantons, etc., néanmoins, elle vise toute une série de limites, comme par exemple :

que la structure de la Confédération est fixée par la Constitution, soit la Confédération et les cantons. Si l'on voulait créer un nouveau niveau de pouvoir, il faudrait que ce soit prévu dans la Constitution préalablement à l'article 1 ;

que l'on pourrait se demander si la création de cette structure nouvelle ne serait pas considérée comme une alliance politique entre cantons. Or l'article 7 l'interdit ;

qu'à l'article 3 actuel, les compétences étatiques sont partagées entre la Confédération et les cantons. Si l'on ajoute une nouvelle entité, cela vient troubler l'équilibre existant et provoquerait une révision de l'article 3 de la Constitution.

Se référant aux obligations constitutionnelles énoncées, M. Malinverni, tout en soulignant que même si la proposition des pétitionnaires n'est pas impossible, attire l'attention du cadre de son application.

M. Malinverni en arrive à quelques considérations d'ordre politique. Ce projet exclut deux cantons romands, Valais et Fribourg, qui ont une minorité germanophone. Que deviendraient ces minorités lors de votes ?

En admettant que les cantons alémaniques désirent aussi créer un super canton, on aurait une Suisse divisée en trois cantons. Ce projet impliquerait la fin de la Confédération helvétique dans sa configuration actuelle. En effet, les frontières cantonales ne coïncident pas avec les frontières linguistiques.

En conclusion, M. Malinverni confirme que cette pétition manque de clarté ; pose des problèmes juridiques particuliers et que, en cas d'acceptation, elle impliquerait une révision totale de la Constitution. Enfin, il s'interroge sur le bien-fondé de l'opportunité politique d'une telle proposition.

Ensuite, M. Malinverni répondant a un certain nombre de questions posées par les commissaires, aborde le projet de fusion Vaud/Genève pour dire que la proposition de fusion pose moins de problèmes que la création d'une nouvelle structure. Sur le fait, que ce parlement romand pourrait permettre une adhésion plus rapide de la suisse à l'Europe, M. Malinverni ne voit pas en quoi ce processus accélérerait le processus d'intégration. Par contre, le risque avec une telle structure, c'est que la Romandie veuille jouer un rôle autonome au sein de l'Union européenne, et que les démarches soient retardées par le débat qui s'instaurerait si cette entité était mise en discussion.

S'agissant de l'Europe et de l'adéquation des structures actuelles de la Suisse, il voit que l'intégration se fait au détriment des Etats, mais en même temps il se produit une prise de conscience des régions en tant que telles. Le risque pour la Suisse, c'est que des cantons trop petits devront peut-être fusionner et s'insérer dans des régions. Il est vrai que la Suisse, en tant que modèle d'un Etat confédéral, peut être une référence pour l'Europe. En réponse au problème du contrôle parlementaire, posé par la mise en place de concordats, il relève deux aspects :

a) le problème des parlements cantonaux sur le concordat ;

b) les cas où les concordats instituent des entités avec un pouvoir législatif (ex. contrôle des médicaments).

Enfin, M. Malinverni verrait une possibilité qui consisterait à ce que le canton fasse une réserve au concordat. Il conçoit que les cantons perdent un peu de la maîtrise sur la matière réglementée.

A la question de savoir ce qu'il reste des idées développées par M. D. de Rougemont, M. Martinet répond que D. de Rougement « défendait des régions culturelles et non politiques ». Il a de la peine à concevoir une identité romande.

Résultat des travaux des Parlements vaudois et neuchâtelois

(Voir rapports en annexe)

Le Commission des pétitions du Grand Conseil vaudois, tout en admettant irréaliste la solution proposée par les pétitionnaires, vu que pour légitimer un « pouvoir romand » il faudrait l'ancrer dans la Constitution fédérale, en modifier les articles 6 et 7 ou interpréter l'article 7, a décidé malgré tout, de la renvoyer au Conseil d'Etat afin qu'il la soumette à la Commission des affaires extérieures pour étude.

Le Commission des pétitions et des grâces du Grand Conseil neuchâtelois, constatant d'une part que la création d'un parlement romand ne ferait qu'alourdir nos institutions et d'autre part son incompatibilité avec notre Constitution fédérale, a décidé de proposer le classement de cette pétition.

Discussion

A la suite de ces auditions, certains commissaires, considérant l'intérêt du débat soulevé par cette pétition, émettent le souhait d'auditionner le Conseil d'Etat, le Forum interparlementaire romand et des membres du Comité pour l'Union de Vaud-Genève. Par contre, d'autres commissaires estimant avoir fait le tour de la question, le côté irréalisable de cette pétition, et considérant que les renseignants permettant de répondre à cette pétition ont été apportés, décident de s'opposer à toute nouvelle audition et de finaliser les travaux.

Soumise aux voix,

la proposition de procéder à l'audition du Conseil d'Etat est rejetée par :

6 oui (3 S, 2 Ve, 1 AdG)

6 non (3 L, 2 R, 1 DC)

1 abstention (AdG)

Commentaires du rapporteur

Il est regrettable que la commission n'est pas cru nécessaire de continuer les travaux, ou du moins débattre sur la faisabilité des différentes propositions qui nous étaient soumises, et qui sont débattues à l'heure actuelle au sein d'autres forums. C'est quand même paradoxal que la fraction qui s'est élevée contre l'escamotage du débat au Grand Conseil sur la fusion entre le canton et la ville de Genève, ait considéré celui de la région romande comme non avenu.

Car Mesdames et Messieurs les députés, s'il est vrai qu'une petite République peut, si elle en accepte l'ambition, être mieux armée politiquement qu'une entité plus large créée pour de ternes raisons technocratiques, ou par désoeuvrement politique, il est non moins vrai, que du point de vue de l'ouverture européenne, la création d'une Romandie citoyenne, qui ne soit pas réduite à une addition de cantons ou celle d'une région genevoise, mais ouverte à des constructions transfrontalières, revêt une autre importance.

Afin d'alimenter la réflexion et le débat sur le thème des fusions et régionalisation, qui est à ne pas en douter un des sujets dont nous aurons à débattre dans un futur proche, des textes sont annexés qui, par leur contenu, intéressant à plus d'un titre, permettront à ceux d'entre nous qui le souhaitent de s'enrichir sur ce débat.

Ces textes, qui traitent de la fusion ou union de Genève-Vaud, abordent aussi, de manière critique, la question de la régionalisation.

Soumis au vote,

le dépôt de cette pétition sur le bureau du Grand Conseil est accepté à l'unanimité de la commission.

Ainsi, la Commission des affaires communales, régionales et internationales vous invite, Mesdames et Messieurs les députés, à bien vouloir accepter le dépôt de cette pétition sur le bureau du Grand Conseil.

Une foutaise : la fusion Genève-Vaud

Texte de Pascal Holenweg,

Politologue et ex-conseiller municipal de la Ville de Genève

" Et qui devient Seigneur d'une cité accoutumée à vivre libre et ne la détruit point, qu'il s'attende d'être détruit par elle, parce qu'elle a toujours pour refuge en ses rébellions le nom de la liberté et ses vieilles coutumes, lesquelles ni par la longueur du temps ni pour aucun bienfait ne s'oublieront jamais.

Et pour chose qu'on y fasse ou qu'on y pourvoie, si ce n'est d'en chasser ou d'en disperser les habitants, ils n'oublieront point ce nom ni ces coutumes "

(Machiavel)

Or donc, un politicien vaudois prématurément (et contre son gré) rangé des voitures officielles, a eu cette idée digne du génie des lieux qu'il hantait naguère : proposer la fusion des cantons de Vaud et de Genève.

Relayé complaisamment par quelques media ayant accoutumé de confondre gadget

politicien et débat politique, le projet de Philippe Pidoux (et quelques autres, sortis du même caveau ou sans doute pressés d'y entrer à leur tour) meuble désormais les jachères médiatiques. Certains radicaux genevois voulaient un Gouverneur de Genève ? Pidoux leur propose un préfet, fait passer son pétard pour un big bang -et le microcosme tout ébahi de suivre, en tentant de nous faire prendre cette foutaise pour un enjeu. Car il s'agit bien d'une foutaise, ainsi que l'argumentation déployée (comme se déploie le décor d'un théâtre) l'illustre. Pourquoi ce bricolage d'un "canton du Léman" à partir de Genève et de Vaud ? Pour réformer réellement les institutions de ce pays, ou même des deux cantons concernés ? Surtout pas. Mimer un changement pour n'avoir pas à l'assumer : vieille ruse de l'immobilisme, que de braire à la modernisation de l'ordre auquel on s'agrippe. Alors, ce "canton du Léman", pour quoi faire ? Pour perdre du temps certainement, mais encore ?

Pour constituer une entité régionale capable de surmonter l'obsolescence des cantons et de répondre à quelques uns des défis auxquels les institutions politiques sont confrontées ? Mais c'est un nouveau canton qu'on nous propose de créer, estampillé comme tel, non moins obsolète que ceux que l'on aura pour le créer empilés l'un sur l'autre. Et c'est en coupant Genève de sa région naturelle, transfrontalière, en l'embourbant un peu plus dans la suissitude, qu'on prétend fonder une région...

Pour atteindre une supposée "taille critique" face à Zurich en particulier et à la Suisse alémanique en général, et se mettre à l'aune européenne pour satisfaire au désir (réel ou supposé) d'intégration des citoyens de ce coin de pays ? Mais une fusion "lémanique" serait alors insuffisante, et c'est d'une fusion romande dont il devrait alors être question... Le concept même de taille critique, purement arithmétique (comme son cousin xénophobe, le fameux seuil de tolérance à l'immigration) n'a guère de sens économique, social ou institutionnel -on ne voit pas en effet que de petits espaces institutionnels soient par leur petitesse particulièrement défavorisés, s'ils ne le sont pas pour d'autres raisons : Le Luxembourg ne se porte pas trop mal, qu'une population inférieure à celle de Genève n'empêche pas d'être l'un des Etats fondateurs et acteurs de l'Union européenne, quand il convient ici de se lamenter sur le refus des Suisses d'y adhérer ; l'Islande pèse d'un poids politique supérieur à celui de la région Rhône-Alpes dix fois plus peuplée qu'elle, quand il convient ici de ne pas sécher les larmes d'un certain 6 décembre; ces deux pays sont au surplus membres de l'ONU, quand il convient de stigmatiser le refus helvétique d'en être aussi. D'ailleurs, la petitesse de Genève et de Bâle ne fut, ni n'est en rien une entrave à leur rayonnement. Une petite République peut, si elle en accepte l'ambition, être mieux armée politiquement qu'une entité plus large créée pour de ternes raisons technocratiques, ou par désoeuvrement politique.

Mais si la création d'un hypothétique "canton du Léman" est une foutaise, celle d'une Romandie citoyenne, qui ne soit pas réduite à une addition de cantons, ou celle d'une région genevoise, transfrontalière et dotée d'institutions politiques, seraient de (petites) révolutions... Inutile dès lors d'attendre des partisans de la "fusion" cantonale la moindre attention à l'égard de projets plus ambitieux que le leur : la vieille Suisse officielle et bourgeoise -dont ils sont, quelque posture qu'ils prennent- est construite sur la négation de la possibilité, et du droit même, de fonder le "fédéralisme" sur les communautés de culture et sur le dépassement des frontières, et elle ne craint rien tant que l'émergence d'une Romandie citoyenne... sinon celle des villes, et celle de volontés concrètes de dépasser les frontières.

Une fusion vaut l'autre, et celle de Genève et Vaud sort du même tonneau que celle du canton et de la Ville de Genève, quelque grimace que firent les partisans de la première lorsque ceux de la seconde sortirent (brièvement) du bois : il s'agit toujours de refuser d'admettre que l'urgence genevoise est à la construction de sa région avec la France voisine, et non au rafistolage du cantonalisme.

Faudrait-il alors fusionner Genève et Vaud pour mettre en commun les infrastructures de deux cantons particulièrement liés ? Mais Genève a de ce point de vue moins de problèmes à régler avec Vaud qu'avec la Haute-Savoie (et l'Ain) -et quitte à fusionner, le faire avec nos voisins français nous ouvrirait du moins les portes de l'Union européenne... si une telle fusion était concevable. Du moins l'effort de surmonter la frontière, de créer des institutions transfrontalières démocratiques, de concevoir Genève comme une région et non plus comme un canton, est-il autrement plus urgent que l'empilage institutionnel "valdo-genevois".

Du point de vue de l'ouverture européenne, le "canton du Léman" n'a d'ailleurs strictement aucun intérêt (sauf, bien entendu, pour les opposants à cette ouverture. ) La représentation politique des villes (et non des cantons), l'affermissement des communes, l'invention d'institutions politiques romandes, la construction de régions transfrontalières, sont d'une toute autre importance, y compris pour l'Europe elle-même, dont le possible "fédéralisme" a tout à gagner -et d'abord une légitimité- à se construire autrement que par une nouvelle centralisation. Or de tout cela, le bricolage pidolo-zieglérien nous éloigne. Faire de deux cantons un seul ne relève que d'un réflexe de centralisation sans projet politique. A qui propose une fusion de cantons, il convient de répondre par la proposition d'une alliance des villes (à commencer par celles de Genève et d'Annemasse...), et par l'invitation à regarder une carte, à y comparer la " frontière ", toute virtuelle, de Genève avec Vaud et la frontière, bien réelle celle-là, de Genève avec la France, et à se demander laquelle de ces deux frontières, l'illusoire ou la concrète, celle qui n'est qu'une gène ou celle qui est une séparation, il faut tenter, d'abord et surtout, de surmonter.

S'agit-il en fusionnant Genève et Vaud de "remettre à zéro" les compteurs d'une histoire qui aurait cruellement séparé deux entités au destin unitaire ? Mais Vaud et Genève n'ont jamais formé une entité politique commune, Genève ayant été plus longtemps République indépendante que canton suisse, et Vaud plus longtemps bailliage bernois qu'Etat confédéré. Vaud n'étant devenu canton que par la grâce des armes françaises, et Genève par la peur que la Révolution inspira à son oligarchie, leur fusion aurait-elle pour raison (encore que la raison n'ait pas grand-chose à y voir- la pérennité des nostalgies de deux vieilles droites inconsolables des anciens régimes ?

Ne nous propose-t-on pas aussi une fusion pour faire des "économies" de fonctionnement des services publics ? Même sur ce terrain-là, la fusion est une foutaise : il n'y aurait pas moins d'élèves dans les écoles "communes", de détenus dans les prisons "communes" ou de malades dans les hôpitaux "communs" que dans leurs actuels équivalents "séparés", et il ne pourrait donc n'y avoir moins d'enseignants, de gardiens, de soignants qu'en péjorant les conditions d'enseignement, de détention ou de soins, et/ou celles de travail et de salaire de celles et ceux qui ont ces tâches à assurer. On se permettra en outre d'exprimer quelque doute sur la rationalité d'un exercice consistant à additionner deux précarités budgétaires pour accoucher de l'équilibre des finances publiques : "Nous avons deux Etats en faillite, incapables même de payer les salaires de leurs fonctionnaires", déclarait Pidoux (comme celui qui veut noyer son chien déclare qu'il a la rage)... avant que de proposer la fusion de ces deux faillites en priant pour qu'il en émerge une miraculeuse prospérité.

On voit mal, au surplus, comment les régions périphériques du canton de Vaud pourraient se sentir "portées" par un projet lémano-lémanique (ne concernant d'ailleurs qu'une seule rive de notre mare commune); on ne voit pas mieux ce qu'une telle fusion "lémanocentrique" de deux cantons déjà dominants en Romandie pourrait apporter au Jura, à Neuchâtel, au Valais et à Fribourg; et on ne voit pas du tout comment une telle fusion pourrait accroître les droits démocratiques.

A nous faire prendre une vessie médiatique pour un débat politique, on n'obtient pour seul résultat que celui de rendre encore un peu plus irréelles les interventions politiciennes, et opaques leurs intentions. Les enjeux auxquels nous sommes confrontés, les questions que ces enjeux nous posent, l'urgence de leur donner une réponse, sont pourtant d'une toute autre nature, et d'une toute autre importance, que le gadget de la "fusion", lequel pourrait au fond n'avoir d'effet, sinon de but, que celui de nous faire perdre le temps nécessaire à répondre aux problèmes réels :

Quelles réponses régionales apporter à la crise du travail salarié ?

Quelle politique sociale régionale adopter pour assumer la redécouverte de la pauvreté ?

Comment intégrer dans les lois et les pratiques des services publics les changement des normes sociales et des règles individuelles de comportement ?

Quel accès direct des villes assurer à la décision politique fédérale, sans passer par l'archaïque niveau cantonal?

Quelle participation à l'intégration et à l'invention d'une démocratie européenne?

Quelle solidarité avec la périphérie du "monde riche" ?

Quels moyens de maîtriser le développement technologique, économique et social ?

Quel élargissement et quel approfondissement régional de la démocratie (c'est-à-dire du contrôle des institutions et des pouvoirs politiques parles citoyens) ?

A aucune de ces questions, à aucun de ces enjeux, à aucune de ces urgences la création d'un "canton du Léman" n'apporte la moindre réponse, ne donne la moindre consistance, n'offre la moindre solution -nul ne demandant à un fétiche d'être un outil. Il est vrai que tant qu'on amusera les foules, on n'aura pas les chômeurs de Nyon, les pauvres de Lausanne et les immigrés de Genève sur le dos. Ni, surtout à l'esprit les problèmes qu'ils révèlent.

Au fond, c'est sans doute à cela que sert ce genre de propositions : de leurre, de dérivatif ou de bruit de fond. Mais c'est à tout autre chose qu'il nous importe de nous livrer : à une critique des institutions politiques, qui soit une critique de leurs racines même, et non un toilettage de leurs apparences -une critique qui fasse émerger un mode nouveau d'organisation collective, et des propositions de réformes institutionnelles (nous disons bien "réforme", non "toilettage") respectant deux principes, l'un de légitimité et l'autre d'organisation : le principe de la souveraineté populaire et celui de la subsidiarité étatique.

La souveraineté populaire, d'abord: il ne s'agit pas seulement de proclamer qu'un pouvoir politique ne doit rien pouvoir faire sans l'acquiescement des citoyens, mais aussi et surtout de concevoir que l'acquiescement ou le mandat de la majorité n'oblige que cette majorité elle-même, et donc que celles et ceux dont le choix est autre que celui de la majorité ont un droit égal à celle-ci, et tout aussi fondamental, à concrétiser leur choix, si minoritaire -voire solitaire- qu'il soit.

La subsidiarité étatique ensuite: c'est poser comme règle que toute compétence publique est d'abord celle du plus "bas" (c'est-à-dire du plus proche) niveau de l'organisation politique; que l'Etat central n'a, ni ne doit avoir, de pouvoir que celui que lui concèdent les cités et les communes, qui elles-mêmes ne doivent avoir de compétences que celles que leur abandonnent les citoyens. Chaque acteur politique n'abandonnant au niveau de décision supérieur que ce que lui-même n'est pas en mesure d'assumer, le contrôle démocratique peut alors s'exercer pleinement, car le plus directement possible. On sait bien en effet que les possibilités de contrôle démocratique direct sont inégales selon que l'on se situe au niveau municipal, national ou continental., et l'on sait l'urgence que revêt la représentation politique des villes ( mais ne serait-ce pas pour éviter d'avoir à y venir que l'on s'amuse encore à bricoler l'obsolète niveau du canton, comme si passer de 26 micro-Etats à 25 allait régénérer le "fédéralisme" suisse , ou comme si démanteler la Ville de Genève pouvait renforcer la démocratie genevoise ?)

Ainsi voit-on à quoi un exercice de réforme institutionnelle peut et doit aboutir : non à rénover les formes anciennes d'exercice de l'autorité politique et de la responsabilité collective, mais à en changer fondamentalement. Ouvrir un débat sur un changement des institutions politiques, c'est ouvrir un débat sur ce qui fonde ces institutions. Les mots de ce débat sont souvent de vieux mots (République, citoyens, contrat social...) -mais les réalités qu'ils revêtent et les enjeux qu'ils révèlent sont bien d'aujourd'hui; d'entre ces réalités, l'affadissement de la démocratie n'est pas la moins inquiétante, et nous pouvons pressentir à quoi mène cet affadissement : à l'emprise de populismes d'autant plus efficaces qu'ils useront sans retenue de l'invocation rhétorique à ce qu'ils nient en réalité -la démocratie, précisément, qui présuppose une remise en question permanente des mythes nationaux et de leur héritage.

La question institutionnelle est bien autre chose, et bien plus, qu'une rénovation des appareils de pouvoir, des structures administratives et des répartitions de compétences : elle est une redéfinition des règles du jeu politique à partir des droits individuels et collectifs fondamentaux. C'est en quoi, et seulement en quoi, elle nous intéresse. Il importe par conséquent de proposer autre chose, et bien plus, que l'aimable bidouillage lémanique dont une partie de la droite et quelques lambeaux de la gauche "moderniste" se sont fait un étendard.

Nous avons à relever trois défis institutionnels : faire exister les villes comme institutions politiques fondatrices de l'Etat fédéral, et de l'intégration de cet Etat dans l'Europe; créer une entité régionale transfrontalière; faire exister politiquement la Romandie. A ces trois défis institutionnels s'en ajoute un quatrième, social celui-là :

ouvrir la démocratie à toutes celles et ceux qui en sont exclus, ne serait-ce que parce qu'ils sont " étrangers ".

Les césures entre la Romandie et la Suisse alémanique d'une part, entre la Suisse urbaine et la Suisse rupestre (c'est-à-dire se rêvant encore comme telle) d'autre part, entre la Suisse des " indigènes " (réels ou mythifiés) et la Suisse de ses habitants, enfin, sont constitutive de ce pays. Au fond, c'est la capacité de la Suisse à nier sa propre réalité et à masquer ses propre divisions qui lui a permis de construire un édifice institutionnel "fédéral" en additionnant des souverainetés cantonales dans le même temps où l'on refusait les communautés de culture et les réalités urbaines : ici, l'héritage médiéval se porte d'autant mieux qu'on en use pour refuser les réalités présentes. La structure cantonale est politiquement obsolète ? Peu importe, puisqu'elle est idéologiquement utilisable : fusionnons donc les cantons pour renforcer le cantonalisme ; la très grande majorité de la population de ce pays vit dans les villes et les grandes communes urbaines ?

Peu importe, puisque le mythe reste d'une Suisse paysanne et rupestre: accrochons-nous aux cantons pour nier les villes. De ce fétichisme cantonaliste, l'immobilisme a tout à gagner, et la volonté de réforme tout à perdre -à commencer par du temps.

Le refus de la réalité présente est la condition du maintien de la réalité passée. La première, cependant, pèse lourd. L'inconfortable question de l'inexistence institutionnelle de la région genevoise est ainsi posée par le fait même que cette région existe bel et bien géographiquement, socialement et culturellement. Il en va d'ailleurs de même de la Romandie. Faire de deux cantons romands un seul ne changera strictement rien à cette contradiction, sauf à l'aggraver encore un peu plus, et à retarder le moment de sa résolution.

Jusqu'à aujourd'hui, peut-être parce qu'ils étaient conscients de la fragilité réelle de l'édifice helvétiqu, les Genevois, face à la nécessité de construire leur région en surmontant ses frontières, et les Romands, face à la possibilité de construire une Romandie politique, se sont abstenus de tout ce qui aurait pu remettre en cause l'équilibre suisse et, si peu que ce soit, l'ébranler : leur adhésion rationnelle et calculatrice à cet assemblage leur paraissait préférable à toute autre solution -la "question jurassienne" n'a été finalement posée que par les seuls Jurassiens, sans les Romands, parfois malgré eux, voire contre certains d'entre eux, et la " question romande " n'a jamais été posée qu'à la marge. C'est pourtant bien de la région et de la Romandie dont il doit être question aujourd'hui, et de leurs institutions politiques à créer, représentant les habitants de la région et les Romands et contrôlée par eux.

La région ne saurait se construire, ni la Romandie exister dans la Suisse, qu'à la condition, précisément, pour l'une de se construire et pour l'autre d'être plus qu'un concept abstrait résumant "six cantons ayant en commun l'usage du français". Ici s'expriment à la fois l'exigence de l'intégration à l'Europe et celle d'un fédéralisme renouvelé. Ces deux urgences ne sont pas contradictoires l'une de l'autre, mais elles le sont toutes deux du cantonalisme -et donc de la constitution d'un " nouveau " canton par l'addition de cantons " anciens ", l'addition de deux anciennetés ne produisant guère qu'une ancienneté plus lourde.

Genève ne peut faire l'économie de la construction de sa propre région, transfrontalière, ni la Romandie l'économie de sa propre existence. Or la "fusion" de Genève et de Vaud entraverait lourdement, et durablement, la construction de la région transfrontalière, autant que celle de la Romandie politique, laquelle doit à tout prix éviter que s'établisse en son sein un rapport déséquilibrant et fragilisant de centre à périphérie. C'est à cette condition que la Romandie pourrait avec les régions françaises voisines, participer pleinement de la construction d'une Europe des villes et des régions. On est là bien loin, parce que bien plus haut, du "canton du

Léman". S'il y a nécessité de créer la région genevoise et de faire exister la Romandie, la réalité est qu'on se contente encore de vouloir accoucher d'un canton du Léman, et qu'il suffit amplement à certains modernistes de carton-pâte de proposer que l'on procède à des fusions de cantons (ou d'une commune et d'un canton) comme l'on fusionne des entreprises, des chambres de commerce, des offices postaux ou le Journal de Genève et le Nouveau Quotidien.

Quant aux Genevois, le travail de réforme de leurs propres institutions reste à faire, à commencer par la révision globale de leur constitution (avec ce qu'elle implique, soit l'élection d'une constituante). Il s'agit d'obliger l'ensemble des acteurs sociaux et politiques de la République à jouer le rôle auquel il leur arrive, rhétoriquement, de prétendre mais dont ils semblent avec une belle obstination fuir les contraintes : le rôle "d'inventeurs" d'une nouvelle démocratie, élargie aux domaines et aux personnes que sa forme actuelle ignore.

A ce travail aussi les foutaises fusionnelles valdo-genevoises sont une entrave. Nous éloignant de la région et de l'Europe, elles nous empêcheraient aussi de réformer, en profondeur, nos propres institutions. Le mime du changement se fait toujours pour retarder le changement.

Nivôse 208 (Janvier 2000)

FUSION VAUD-GENEVE : REFLEXIONS CRITIQUES

Martial GOTTRAUX

Député au Grand Conseil Vaudois  

Introduction

L'analyse du projet est basée sur les échos de presse ainsi que sur le document : "Union Vaud-Genève", argumentaire publié par l'Association Union Vaud-Genève, novembre 1998.

1. LES CONSTATS

Le projet de fusion des cantons de Vaud et de Genève se base sur un certain nombre de constats portant sur les conséquences du morcellement cantonal actuel. L'énoncé de chaque constat est suivi d'une brève appréciation, en

encadré.

a) Les territoires cantonaux actuels n'ont pas les dimensions requises pour la production de services publics efficients et produits de façon économique.Cette affirmation est tout à fait exacte, pour une fraction des prestations publiques. Encore faut-il observer que l'optimalité territoriale varie selon les prestations publiques et que ce problème se pose dans les limites des cantons actuels ET entre régions et cantons. L'optimalité territoriale varie par ailleurs selon le développement technologique et ne peut enfin être considérée comme le critère exclusif d'un découpage territorial.

b) Le morcellement cantonal représente un obstacle à une politique de développement et de promotion économique et culturelle.

Cette affirmation est vraisemblable, pour une partie des activités économiques. Il faut alors relever que la seule création d'une région ne constitue de loin pas une condition suffisante de promotion économique. Il est nécessaire, de surcroît, de créer des conditions cadres favorables, une coordination de l'offre et de la promotion, dans le domaine touristique par exemple. La réalisation de ces conditions est politiquement sensible si l'on songe au fait qu'une coordination régionale en matière économique et de pôles de développement implique l'existence d'une fiscalité harmonisée si l'on veut éviter les surenchères interrégionales, y compris au sein d'un canton Enfin, et le cas de Genève le démontre, la création d'une unité territoriale de grande taille n'est pas requise pour les activités financières et nombre de prestations de service.

c) Le découpage actuel débouche sur une complexité administrative abusive et coûteuse, et aboutit à multiplier les instances décisionnelles.

Ici encore, cette affirmation est vraie, tout au moins si l'on se situe au plan de la recherche d'une meilleure efficience économique et administrative. Il faut néanmoins considérer le fait que la multiplicité des organes cantonaux et communaux est un facteur important favorisant l'intégration sociale et la vie civique. "Moins d'élus, mais davantage d'émulation" est un objectif dont la réalisation peut engendrer des effets pervers, par exemple au plan de la stabilité sociale.

d) L'organisation cantonale est une réalité historiquement et culturellement dépassée. C'est ainsi que le sentiment d'appartenance communautaire de la population ne se confond pas forcément avec le découpage territorial cantonal : "En fait, les cantons suisses tranchent à l'intérieur de régions plus vastes aux facteurs de cohésion plus affirmés".(Point 1.4, argumentaire)

L'affirmation précédente mériterait de longs développements. Constatons simplement qu'elle repose sur une vision simpliste de l'identité sociale. Cette dernière s'ancre essentiellement dans les espaces sociaux quotidiens, lesquels sont fort variables d'une catégorie sociale à l'autre. Ce qui est nommé par l'appartenance communautaire à une ville, région, pays ne correspond pas aux limites territoriales au sein desquelles se construisent les identités individuelles. Ajoutons que ces dernières s'élaborent de plus en plus sur la base d'autres référentiels que celui d'une territorialité politique. On ne peut vraisemblablement pas attendre d'un nouveau canton un développement du sentiment d'identité régionale. On peut du reste se demander si un tel objectif est souhaitable si l'on songe au fait que des effets pervers sont, ici encore, possibles. La Romandie engendrera-t-elle un "effet de Wallonie"? Un tel risque doit être pris en considération.

Par ailleurs, s'il est vrai que les frontières cantonales sont historiquement arbitraires, il en va de même de toutes les limites nationales. Ces dernières sont culturellement et politiquement construites. La "Romandie" ou "Suisse Occidentale" ne fait pas exception à cette règle.

e) Les dispositifs actuels de collaboration inter cantonale sont trop complexes et débouchent sur un déficit démocratique.

Cette affirmation est exacte, comme nous l'avons vu, par exemple, lors de la tentative de mise en place du RHUSO. On peut cependant ajouter que ce problème est plus général. Au déficit démocratique en matière inter cantonale répond actuellement la crise des rapports entre les législatifs et les exécutifs, bien illustrée dans le canton de Vaud par le problème posé par le contrôle de gestion des hospices cantonaux. Voudrait-on être attaché à la démocratie que les DEUX problèmes sont alors à résoudre.

f) Au plan national, la représentation des cantons au Conseil des Etats ne permet pas d'assurer une bonne représentation des intérêts régionaux.

Il est évident que la représentation actuelle des cantons au Conseil des Etats est déséquilibrée, en faveur des petits cantons, et que de nouvelles solutions doivent être définies pour assurer la présence des régions au niveau fédéral. On peut donc, ici encore, partager les préoccupations des initiants.

g) La création de régions "fortes" et homogènes est complémentaire d'une ouverture de la Suisse sur l'Europe.

On peut effectivement observer que le développement des régions est symétrique de la construction européenne. Il convient cependant de s'interroger sur l'origine de ce phénomène. On n'oubliera pas à cet égard qu'il est moins marqué dans des pays ayant soumis l'adhésion à la CEE à référendum et qu'il apparaît ainsi au moins partiellement comme une forme de réaction à une centralisation politique et administrative mal contrôlée démocratiquement. Par ailleurs l'idée de "régions fortes" relève d'une variété de "fédéralisme concurrentiel", conception politique dont on peut se prévaloir mais dont les coûts sociaux peuvent être importants. Notons ici qu'une telle vision des régions est étrangère aux orientations socialistes.

Conclusion

La plus grande partie des constats sur lesquels se fondent les initiants sont pertinents. D'autres (conception de l'identité régionale ; fédéralisme concurrentiel) doivent être sérieusement nuancés. Ajoutons que ces constats ne sont pas nouveaux. Reste alors bien évidemment à évaluer la pertinence des solutions proposées. Une autre remarque : Bien que, dans ce domaine, les sensibilités soient diverses, on ne peut s'empêcher de relever le caractère très pessimiste de l'évaluation portée par les initiants sur la situation helvétique actuelle. On relève des termes tels qu'"essoufflement, résignation", etc... dont l'usage relève plus de la proclamation que de l'analyse sérieuse. Cette dernière impliquerait un listage validé des effets des dysfonctionnements institutionnels absent de l'argumentaire de l'Union Vaud-Genève. Il est alors facile d'opposer aux initiants le fait que, dans nombre de domaines, la Suisse, malgré des structures obsolètes, se comporte plutôt mieux que nombre de pays environnants. Que l'on songe par exemple à l'intégration des étrangers, la politique de sécurité, de l'environnement, de l'énergie, ainsi que la bonne tenue générale des indicateurs économiques.

On est enfin frappé par le caractère prophétique et grandiloquent de l'argumentaire, ainsi que par une vision très organiciste de l'Etat, vision au demeurant idéologiquement très conservatrice. Nombre de réactions (dont la mienne) agacées s'expliquent sans doute par cette absence de modestie et de simplicité des auteurs, qui prennent alors le risque du ridicule.

2. LES PROPOSITIONS

Je reprends ci-dessous les principaux éléments de la proposition de l'Union Vaud-Genève et livre quelques réflexions critiques.

2.1. Le film des événements

La fusion Vaud-Genève nous est présentée comme un moyen transitoire permettant de résoudre les problèmes vus plus haut, le scénario aboutissant progressivement à la mise en place de 7 ou 8 régions permettant un "fédéralisme revivifié". Le film des événements est le suivant :

a) L'initiative vaudoise est lancée (20 janvier) et aboutit.

b) L'initiative genevoise est lancée et aboutit.

c) Dans l'intervalle, on peut imaginer qu'un ou plusieurs cantons romands s'intéressent à la nouvelle région et que des initiatives soient lancées dans ce sens.

d) Les initiatives passent en votation populaire et une Constituante est élue. In extremis, de nouveaux cantons pourraient rejoindre la Constituante.

e) A l'issue de ses travaux, la Constituante présente la constitution du nouveau canton en votation populaire. Le nouveau canton est né.

f) Un élan est ainsi donné en faveur d'une régionalisation plus générale, culminant avec la création de quelques régions et une modification des institutions fédérales (Conseil des Etats).

Un tel scénario est-il vraisemblableÊ? On ne peut l'exclure. Mais il y a lieu de tenir compte des risques et remarques suivants :

a) En lançant son initiative en deux phases (janvier et septembre), l'Union prend évidemment un risque. Au cas où l'initiative n'aboutirait pas dans le canton de Vaud, le processus est interrompu et, semble-t-il, de façon irréversible ou pour longtemps. On voit donc que tout le poids de l'opération pèse initialement sur les épaules des citoyens vaudois. Pourquoi cette solution ? Nous ne trouvons pas de réponse dans l'argumentaire. Constatons donc simplement que les initiants prennent un risque au départ de leur opération, jouant ainsi en quelque sorte à "quitte ou double". Ce risque est cependant limité : il semble vraisemblable que l'initiative aboutira.

b) On peut penser que, dès l'instant où l'initiative vaudoise aurait abouti, la récolte de signatures dans le canton de Genève ne posera pas de problèmes. Avec, cependant, un autre risque : les opposants au nouveau canton auront tout intérêt à "durcir" la campagne genevoise, ce qui risque d'envenimer le climat politique.

c) Il est vraisemblable que, durant la campagne, des mouvements d'opposition se manifesteront, à la périphérie du canton de Vaud, dans le Nord Vaudois particulièrement. Par ailleurs, nul ne peut prédire l'effet de l'aboutissement de l'initiative sur les relations régionales et inter cantonales. Un risque, impossible à évaluer, existe que les cantons et les régions gèlent partiellement leurs relations avec Vaud et Genève, et ce à raison de leur position à l'égard de la région "forte" ainsi dessinée et des réactions de leur population à cet égard. Il s'agit donc d'un nouveau risque inhérent à cette campagne.

d) Avant les votations, il est possible que certains cantons veuillent rejoindre le "train en route", comme le proposent les initiants. On ne peut, en tout état de cause, imaginer que les autres cantons romands resteront les "bras croisés". Les réactions, cependant, pourront prendre les formes suivantes :

- Initiatives et adhésion au projet d'Union.

- Clivages et oppositions régionales, en particulier au plan linguistique, dans le canton du Valais par exemple.

- Recherche d'autres formes de regroupements, en dehors de l'Union projetée,

ce qui comporte bien évidemment une logique de concurrence et n représente pas une bonne condition de collaboration inter cantonale et régionale. Ici encore, donc, le scénario projeté risque de ne pas être conforme au

déroulement des faits.

e) L'issue des votations sur les initiatives dépendra fortement (outre des éléments conjoncturels imprévisibles) de la dynamique engendrée par les réactions des autres cantons et régions, ainsi, bien sûr, que de l'opposition interne. Il est douteux, pour ne considérer que cette éventualité, que la fiction d'un projet qui se situe "au-delà des affrontements partisans" tienne le coup en cas de détérioration du climat social et économique. Pour nombre de citoyens, cette votation aura la signification d'une sorte de plébiscite relatif à leurs conditions de vie et de travail. Il en irait bien sûr peut-être autrement si les initiants étaient moins discrets sur ce qu'ils entendent réaliser dans le nouveau canton, notamment en matière fiscale, dans le domaine de l'emploi et de la protection sociale. Le risque est donc que le projet échoue en votation populaire, du fait du cumul d'oppositions diverses.

f) Les initiants, partisans en l'espèce d'une conception "enzymatique" de la politique, estiment que la fusion Vaud-Genève sera le coup d'envoi d'un redécoupage régional au plan helvétique. Les choses se dérouleront-elles selon cette vision ? Il est impossible de le dire. À supposer que de nouvelles régions se créent, on ne peut exclure que certaines d'entre elles soient très spécialisées et concentrent un pouvoir économique disproportionné par rapport à d'autres, ce qui comporte le risque d'affrontements régionaux. On notera ici le fait que les initiants lient explicitement leur projet à une vocation européenne de la Suisse. En arrière-fond du débat sur la régionalisation se situera donc celui sur

l'Europe. On prend donc ici le risque de faire échouer - ou de différer - une adhésion européenne, du fait des difficultés liées à un redécoupage de la Suisse en régions.

La mise en évidence des risques précédents est volontairement pessimiste. Mais peut-on prendre de tels risques sans jouer à l'apprenti sorcier ? Cette question semble fondamentale, et d'autant plus que, comme nous le verrons

plus bas, des alternatives moins risquées existent.

2.2. Une Union efficienteÊ?

Rationalisation de la production des services publics, grâce à des économies d'échelle ;

Simplifications juridiques et administratives ; Promotion économique et culturelle ;

Le tout avec un meilleur contrôle parlementaire. Tels sont les avantages que comporteraient la fusion Vaud-Genève et, plus encore, la création d'une région de Suisse Occidentale. On ne peut nier qu'un élargissement des limites cantonales serait de nature à faciliter, dans certains domaines, une production plus efficiente des services publics. Il convient cependant de nuancer sérieusement cette affirmation, laquelle repose sur ce que j'appelle le " mythe de la territorialité optimale ", soit l'idée qu'il est possible de définir des espaces territoriaux optimaux pour la production des prestations publiques.

a) Une optimalité à géographie variable

Dans la réalité, l'optimalité territoriale est à géométrie variable, selon les prestations publiques. Certaines peuvent être réalisées dans des espaces réduits (épuration des eaux), d'autres requièrent des collaborations au niveau régional (élimination des déchets), plusieurs, enfin, ne peuvent être assumées de façon efficace et économique hors d'une organisation inter cantonale, voire nationale (sécurité, équipements hospitaliers de pointe, universités, etc...). C'est dire que la fusion Vaud-Genève ne permettra que partiellement de déboucher sur une meilleure efficience. Dans quels domaines ? Les auteurs de l'argumentaire citent volontiers la création de pôles de développement, l'offre de soins hospitaliers, la promotion touristique et la culture. Or il faut constater que, dans chacun de ces domaines, une collaboration romande existe ou est requise. On se trouve dès lors face à l'alternative suivante :

- Soit la seule fusion Vaud-Genève se réalise et, dans ce cas, l'exigence de collaborations régionales et inter cantonales, quoique un peu moins forte, subsistera et requerra les mêmes accords et concordats jugés si insatisfaisants par les initiants. Mais on peut alors penser que cette collaboration s'effectuera dans de moins bonnes conditions politiques puisque les autres cantons, soit auront, en réaction au poids de Vaud-Genève, cherché à conclure des accords avec d'autres partenaires, soit seront réticents à jouer le rôle de "cinquième roue du char" face au nouveau canton. De quel poids pèsera par exemple l'Université de Fribourg face à une structure universitaire lémanique unifiée ?

- Soit la région de Suisse Occidentale se réalise et l'exigence d'accords inter cantonaux est alors, il est vrai, substantiellement réduite, le problème à résoudre étant alors surtout celui de la répartition des compétences à l'intérieur de la nouvelle entité, par analogie avec la démarche vaudoise ETACOM, mais sur une plus grande échelle. La réalisation de ce terme de l'alternative dépend bien évidemment du fait que les risques évoqués dans la section précédente (2.1) soient surmontés. On notera alors qu'un cas de figure assez désastreux serait celui de la création d'une nouvelle région formée de trois des cantons actuels, par exemple Vaud, Genève et Fribourg. Un tel état de fait rendrait la collaboration intercantonale sans doute plus difficile encore qu'elle ne l'est aujourd'hui.

b) La fiction de la contiguïté territoriale

Le projet de fusion Vaud-Genève s'inscrit dans une vision conservatrice, ou tout au moins dépassée de la relation entre la territorialité et la souveraineté politique. L'objectif "d'agrandir les frontières" d'un territoire contigu a dominé l'histoire européenne de ces derniers siècles. La mondialisation et le développement des technologies de l'information rendent aujourd'hui cette idée obsolète. Le véritable problème d'un contrôle démocratique est aujourd'hui celui de la maîtrise de décisions transversales aux frontières nationales et régionales, en particulier en matière économique. On constate par ailleurs que les organismes économiques et culturels s'organisent au plan national et international, à partir d'implantations extrêmement réduites. Un exemple : les instituts universitaires spécialisés tissent aujourd'hui leurs relations au plan mondial, la proximité géographique d'autres organismes semblables ne jouant qu'un rôle mineur dans leurs stratégies. La fusion Vaud-Genève est en porte-à-faux par rapport à cette évolution, aussi bien s'agissant de la création d'une territorialité optimale que du contrôle démocratique.

c) La simplification administrative

Les initiants ont raison de constater que l'existence de multiples législations et procédures cantonales compliquent singulièrement la production et l'accès aux prestations publiques. La fusion Vaud-Genève serait-elle de nature à résoudre ce problème ? En partie, oui, mais beaucoup moins que ne l'imaginent les partisans de l'Union. Il faut en effetconsidérer les faits suivants :

- On ne saurait, en premier lieu, confondre une unification et une simplification administrative, comme le démontre par exemple l'inextricable complexité des procédures administratives dans un pays comme la France. Dans de nombreux domaines (aménagement du territoire, fiscalité, droits sociaux et du travail, etc...) la complexité actuelle n'est pas la conséquence du fédéralisme, mais l'expression administrative des rapports de forces et

divergences d'intérêts entre groupes sociaux.

- Il est abrupt d'affirmer que la multiplicité administrative inter cantonale découragerait fortement l'innovation et la promotion économique. La recherche de conditions, cadres favorables par les entreprises repose sur la prise en considération de facteurs au sein desquels la procédure administrative joue un rôle mineur, la rapidité des procédures étant essentiellement recherchée, ce qui nous ramène à notre première remarque.

- Il est assez piquant de constater que les initiants évoquent à plusieurs reprises les opportunités de développement culturel qui seraient rendues possibles par la fusion Vaud-Genève, alors que le rôle des pouvoirs locaux est prédominant dans ce domaine. L'offre culturelle du bassin lémanique est, en quantité et qualité, comparable à celle d'une ville comme Paris, pour un bassin de population très inférieur. D'autres réalisations (le développement d'une véritable industrie cinématographique en particulier) impliquent une échelle beaucoup plus grande que Vaud-Genève, Suisse Occidentale, voire Confédération.

- Constatons enfin que c'est sur le plan suisse (la LHID est typique à cet égard) que des efforts de coordination législative doivent être entrepris. Cette évolution comporte bien évidemment le risque d'une "communalisation" des cantons. Leur avenir ne se situe alors plus tellement dans l'illusion d'une souveraineté politique que dans le maintien et le développement d'une capacité "entrepreneuriale", laquelle doit être garantie dans le cadre d'une redéfinition des tâches entre cantons et Confédération. Les chantiers ne manquent pas, si l'on songe à la politique des transports, de

l'environnement, de la promotion touristique, culturelle et économique, pour ne prendre que quelques exemples. L'union Vaud-Genève peut, dans cette perspective, être comprise comme une forme de "fuite en arrière", face à des réalités que les initiants se refusent vraisemblablement à considérer en face.

S'il semble incontestable que la fusion Vaud-Genève permettrait, dans quelques domaines, d'augmenter l'efficience des services publics ainsi que des simplifications juridico-admistratives, cette proposition ne répond de loin pas aux défis qui sont adressés aujourd'hui aux régions, aussi bien par la tendance à la centralisation politique au plan fédéral que par l'existence de pouvoirs extraterritoriaux non contrôlés politiquement. La proposition des initiants comporte dès lors le risque de masquer les véritables problèmes, au profit de quelques avantages sectoriels.

3) DEMOCRATIE ET CITOYENNETE

Les initiants attendent de la fusion Vaud-Genève un regain de l'intérêt pour la chose publique, une démocratie "revivifiée", un meilleur contrôle parlementaire des décisions de l'exécutif. Ils estiment par ailleurs que la promotion de la régionalisation, loin de desservir l'existence d'identités locales, pourrait au contraire les renforcer. "Les Gruyériens sont-ils moins gruyériens parce que le canton de Gruyère n'existe pas interpellent-ils, après J.-P. Gattoni (le Matin du 02.09.98), point 4.1.

Leur confiance en leur projet est en outre renforcée par les résultats de sondages qui démontrent que l'idée de la fusion recueille la sympathie des populations concernées et de celles des cantons voisins. Autant d'affirmations qui méritent analyse.

3.1. Le malentendu de l'identité.

a) Un ancrage social du sentiment communautaire

Comme suggéré plus haut (1d), l'identité individuelle ne se forge pas forcément dans les espaces territoriaux valorisés par les individus. Pour l'essentiel, les identités - positives ou négatives - se construisent au travers des pratiques sociales, où qu'elles s'établissent. On peut alors comprendre que les gens nomment les espaces dans lesquels se déroulent ces pratiques en recourant aux catégories qui leur paraissent les plus légitimes. L'espace politique est l'un des critères accordant cette légitimité, parmi d'autres, et peut-être aujourd'hui moins que d'autres. L'identité des gens, en outre, se définit non seulement eu égard à des critères spatiaux mais, aussi, sociaux, sexuels, et sur bien d'autres catégories encore. C'est ainsi que l'on peut estimer être "jeune" avant d'être "suisse". On sait par ailleurs que les gens se définissent d'abord par une appartenance locale puis, par cercles territoriaux plus étendus : suisses, puis européens par exemple. Mais puisque l'ancrage social du sentiment communautaire est toujours basé sur des pratiques sociales locales, il se trouve que tout se passe comme si toute attaque, à quelque niveau de territorialité qu'elle se situe, était vécue comme une menace sur l'identité personnelle. Nous l'avons bien constaté, par exemple, s'agissant de l'affaire des fonds en déshérence : les attaques "américaines" contre la Suisse ont pu provoquer d'autant plus d'indignation (et de sentiment d'injustice) de la part de certaines personnes que c'est leur projet de vie individuel qu'elles percevaient comme menacé puisqu'elles croyaient bon de l'inscrire dans une appartenance nationale.

Ce bref rappel me semble nécessaire pour comprendre quelques conséquences possibles du projet d'union Vaud-Genève.

b) Des résistances à prendre au sérieux

On peut bien sûr se gausser des préoccupations relatives aux identités régionales, par exemple en se demandant si, après la création du nouveau canton, ."le Vaudois va-t-il soudain devenir frondeur et le Genevois "déçu en bien" (point 4.1 de l'argumentaire). Plus sérieusement, il est vraisemblable que le futur canton ne rencontrera pas d'opposition de la part d'une importante fraction de la population qui a su - ou pu - construire son identité de façon flexible ou dont les pratiques sociales s'inscrivent déjà au sein d'une territorialité inter cantonale. Il se trouve alors que ce sont probablement les "petites gens" qui, aussi bien dans le canton de Vaud que de Genève, percevront la fusion comme une menace identitaire. Ces personnes, en effet, sont celles dont l'ancrage identitaire est le plus local, celles, aussi, qui sont culturellement moins favorisées pour modifier les catégories qu'elles utilisent pour nommer leur sentiment d'appartenance communautaire. On peut alors, bien sûr, au nom du principe de la majorité, passer par-dessus cette réalité. C'est exactement une question de philosophie humaine et politique. On peut alors penser qu'il y aurait d'autant plus de légèreté à ne pas prendre en considération cette frange de la population qui pourrait être inquiétée par le projet de fusion, que d'autres solutions sont possibles, à un moindre coût humain.

c) D'abord des pratiques sociales et politiques nouvelles

Tout le problème est en effet de savoir si la population est culturellement "prête" à basculer vers un nouveau niveau de territorialité politique, quelles que soient par ailleurs les critiques adressées à ce dernier (voir section 2). À cet égard, nous dit-on, les sondages sont favorables. Certes. Mais c'est imprudemment que les initiants se fient à la "validation Miauton" puisque de tels sondages ne nous disent rien sur les déterminants des réponses Les personnes qui, par exemple, croient sérieusement que leurs problèmes professionnels, fiscaux, de logement seront résolus par la création du nouveau canton risquent d'être cruellement déçues. Toute nouvelle idée bien vendue peut être comprise comme une solution pour celles et ceux qui vivent dans l'incertitude. Les initiants ont-ils sérieusement confronté leur projet aux attentes exprimées par la population, y compris lorsqu'elle manifestait quelque sympathie pour leur projet? On peut d'autant plus en douter que ce dernier nous est présenté comme transversal à l'ensemble des débats actuels, dans le domaine des finances publiques, de la politique de l'emploi, etc.on peut opposer à cette démarche une orientation telle que ce serait par la mise en place de pratiques citoyennes et de collaboration inter cantonales nouvelles que, peu à peu, se produirait comme un affaiblissement de l'exigence des limites territoriales actuelles. De

telles pratiques existent déjà largement et peuvent encore être développées. J'y reviendrai dans la dernière section de ce texte.

d) "Pérennité des traditions et des comportements" (argumentaire, 4.1)

Les initiants sont rassurants. La fusion Vaud-Genève ne changera rien "aux traditions, aux comportements, aux coutumes, au climat (sic !), au paysage, au folklore, aux loisirs."(Argumentaire, 4.1).

Ici encore, les initiants sont pour le moins optimistes. Une culture locale se greffe généralement sur des pratiques économiques et sociales spécifiques à une région. L'évolution économique actuelle va largement dans le sens d'une destruction des productions locales, de la sociabilité et de la culture qui lui sont associées. Ni le canton de Vaud, ni celui de Genève n'ont pu et voulu enrayer l'inéluctable progression de la culture Migros et McDonald. Il en ira de même pour le nouveau canton. On ne saurait mieux mettre en évidence la perte de souveraineté du pouvoir politique cantonal, incapable aujourd'hui, pour ne prendre que cet exemple, de défendre et de valoriser les productions agricoles locales. On ne peut d'une part vouloir (et illusoirement) créer les conditions cadres d'une Silicon-Valley lémanique et, d'autre part, prétendre assurer la pérennité des traditions et des comportements. Reste bien sûr la possibilité (l'allusion à la Gruyère est typique à cet égard) de vendre une culture morte comme produit touristique...

Autre chose, bien sûr, serait d'articuler la création d'un nouveau canton à des projets précis susceptibles de valoriser le patrimoine culturel et économique de la population de Suisse Occidentale. C'est du reste dans cette direction que se dirigent les initiants dans leur section 4.2 : "Pour un nouvel Elan.". Ils n'offrent cependant pas la démonstration du fait que le nouveau canton est la condition NECESSAIRE des projets qu'ils valorisent. Pourquoi, par exemple, faudrait-il attendre la fusion Vaud-Genève pour créer des appellations d'origine contrôlée (AOC) de produits locaux ?

3.2) De la curiosité de l'électorat...

"En cas de régionalisation, "la sélection serait plus compétitive. On peut supposer alors que la curiosité de l'électorat augmenterait d'autant" (Beat Kappeler in l'Hebdo, cité in Argumentaire, point 4.4).

S'agissant de relancer l'intérêt de la population pour la chose publique, la réflexion des initiants peut être résumée comme suit :

- Le désintérêt actuel pour le pouvoir politique résulte de sa faiblesse et de son incapacité à résoudre les problèmes sociaux et économiques.

- La fusion Vaud Genève permettra de renforcer le pouvoir cantonal.

- Dès lors ce dernier sera en mesure de démontrer son efficacité

- Dès lors la population s'intéressera davantage à la vie politique.

À cela s'ajoute le curieux argument de Beat Kappeler: L'intérêt de l'électorat serait directement proportionnel à l'intensité de la compétition politique.

Ces propositions, ici encore, doivent être pour le moins nuancées.

a) Une féconde EmulationæÊ?

Commençons par la théorie "kappelerienne". L'idée que la centralisation politique facilite une sélection des meilleures compétences relève d'une vision darwinienne du pouvoir qui n'a, à ma connaissance, été vérifiée par personne. On peut tout aussi bien soutenir que la rareté des mandats facilite les combines, la démagogie et que des considérations de stratégie électorale peuvent l'emporter sur le souci du bien public. Il serait sans doute cruel pour les initiants de leur opposer l'exemple de nombre de prétendus politiciens "compétents et professionnels" qui, en Europe ou Outre Atlantique, se caractérisent au contraire par une profonde irresponsabilité.

Cette conception ne peut par ailleurs que faciliter la "politique spectacle", chère, déjà, il est vrai, à quelques élus cantonaux et nationaux. Plus grave: Elle véhicule des relents de "New Public Management", l'électeur-client étant relégué au rôle de consommateur de prestations publiques, l'expression de sa satisfaction prenant la forme d'un vote périodique ou étant identifiée par sondages. Nous sommes très loin d'une conception qui, au contraire, vise à responsabiliser le citoyen en le rendant dans la mesure du possible acteur de la production et de l'organisation des prestations publiques, aux niveaux communal, cantonal et national. Le fourmillement actuel de mandats publics semble agacer les initiants. On peut au contraire le considérer comme un important capital de responsabilité citoyenne, qui n'est sans doute pas pour rien dans la stabilité sociale que connaît la Suisse. On voit que derrière le projet d'Union se profile le débat sur la professionnalisation de la vie politique et son corollaire: l'exclusion d'un grand nombre de citoyens de la vie publique. Un débat que l'on ne peut alors confondre avec celui relatif à la création de nouvelles formes de territorialité régionale.

b) De nouveaux rapports de confiance

Le constat d'un désintéressement de la population à l'égard du pouvoir politique est banal. Les initiants attendent un renversement de cette tendance, consécutif à l'augmentation du poids politique de la région et de la confiance qui serait induite par le fait que les prestations publiques seraient améliorées et que de "grands projets" seraient menés à bien.

Il s'agit de sympathiques déclarations d'intention dont nous ne pouvons que prendre acte puisque aucun projet précis ne nous est présenté. Constatons par ailleurs qu'on voit mal pourquoi la fusion Vaud-Genève pourrait inverser une tendance qui se fait jour actuellement au sein des deux cantons et qui va dans le sens d'une remise en question des acquis sociaux. Les bénéficiaires de l'Aide Sociale Vaudoise et du RMR perdrons en moyenne quelque 10 % de leur pouvoir d'achat en 1999. Les compléments d'assistance, y compris pour personnes travaillant à temps complet sont de plus en plus nombreux. Est-ce à de telles réalités que les initiants entendent répondre? Ils n'obtiendront alors la confiance de l'électorat que s'ils s'engagent à réaliser aujourd'hui dans les cantons actuels ce qu'ils entrevoient demain

par la grâce de la fusion.

Ajoutons encore que le désintérêt pour la chose publique est fortement associé au fait que, et d'autant plus que la conjoncture économique est difficile et que la population vit dans une forte insécurité, les citoyens éprouvent un sentiment d'impuissance, d'impossibilité de changer les choses.

Il est remarquable de constater que la même impression prévaut dans les rapports des parlementaires cantonaux à l'égard des exécutifs. Dans le canton de Vaud, par exemple, il est exclu que les députés soient en mesure de contrôler sérieusement l'organisation sanitaire. On voit mal comment une centralisation politique pourrait améliorer cette situation.

La construction d'une nouvelle identité régionale n'est possible que si la population dispose de la possibilité d'ancrer ses pratiques sociales au sein d'un nouvel espace, et ce y compris sur le plan politique. Il s'agit déjà d'une réalité pour nombre d'habitants de Vaud et de Genève. Il convient alors de ne pas rejeter d'un revers de main cette frange de la population, souvent modeste, qui reste attachée aux entités cantonales actuelles. On ne peut, par ailleurs, attendre d'une professionnalisation accrue de la vie politique un regain de l'intérêt et de la confiance des citoyens, et d'autant plus que les partisans de l'Union ne donneraient pas la preuve, ici et maintenant, qu'ils sont déterminés à résoudre les problèmes économiques et sociaux qui se font jour dans chacun des cantons candidats à la fusion.

4. VERS D'AUTRES SOLUTIONSÊ?

Comme nous l'avons vu dans la première section de ce texte, nombre de constats des initiants relatifs à la nécessité d'une meilleure collaboration interrégionale sont pertinents. La fusion Vaud-Genève constitue alors une solution insuffisante et potentiellement génératrice d'effets pervers à ce problème. Nous pourrions néanmoins nous en satisfaire si d'autres moyens n'étaient possibles.

Quatre solutions alternatives sont rapidement examinées par l'Argumentaire:

Le maintien du statut quo

L'adaptation interne

Les collaborations multiples (concordats par exemple)

L'étage supplémentaire (création de nouvelles régions)

Les critiques adressées aux deux premières ainsi qu'à la quatrième solution semblent fondées. Il est vrai que ni le maintien du statut quo, ni des solutions internes aux actuels cantons ni la création d'un étage institutionnel supplémentaire ne sont adéquats.

Les propositions du FIR (Forum interparlementaire romand), ainsi que celle formulée par l'auteur (communautés à but spécial) sont rapidement

"expédiées"avec deux arguments: Elles conduiraient à un fourmillement complexe d'une multitude d'accords inter cantonaux et souffriraient d'un déficit démocratique. Les communautés à but spécial, en outre, déboucheraient sur un affaiblissement progressif du pouvoir cantonal. Il est finalement satisfaisant, aussi bien pour l'auteur de ce texte que

pour les représentants du FIR, que leurs positions soient à ce point caricaturées que l'on peut soupçonner les initiants d'être en panne d'arguments. Sans entrer dans les détails, ce texte étant essentiellement centré sur une critique du projet d'Union, il convient tout de même de rétablir quelques faits.

a) Multiplicité des accords inter cantonaux

Le projet du FIR ne débouche pas en fait sur un grouillement d'accords inter cantonaux. Il faut bien voir ici le fait que la formule du concordat ne serait utilisée que pour des accords substantiels, portant sur des tâches importantes comme la sécurité, l'enseignement, l'offre sanitaire, voire la fiscalité et la coordination des régimes sociaux. D'autres collaborations peuvent être promues par le biais de dispositifs moins lourds, conventions par exemple. Ce pourrait être le cas s'agissant de l'élimination des déchets, de protection ciblée de l'environnement, etc...

L'idée de communautés à but spécial ne conduit pas non plus à la multiplication d'instances nouvelles. Ce seraient au plus trois à quatre communautés qui pourraient être créées, dans le domaine de la scolarité, de l'offre de soins, en particulier. Ajoutons que des concordats viendraient compléter le dispositif, par exemple dans le domaine de la sécurité.

b) Tel est pris...

Comme vu dans la première partie de ce texte, la fusion Vaud-Genève ne supprimera la nécessité d'accords inter cantonaux qu'entre les deux cantons actuels. Plusieurs accords, voire concordats devront être conclus entre les cantons romands, voire au-delà. Le nouveau canton devra donc bien pratiquer la politique que ses initiants jugent impraticable, sauf à se refermer sur lui-même.

Il est vrai que la création d'une région de Suisse Occidentale, à terme, permettrait de diminuer considérablement le nombre d'accords inter cantonaux. Cependant, comme nous l'avons vu, la fusion Vaud-Genève comporte

le risque de handicaper la réalisation d'un tel objectif.

c) Un autre chemin...,

Soulignons encore le fait que, ni dans l'esprit du FIR, ni dans celui de l'auteur, les solutions préconisées ne constituent une fin en soi.

L'objectif de fusions inter cantonales, voire de la création de régions plus vastes est possible et souhaité. C'est alors la voie à suivre qui est différente.

Le projet du FIR comporte l'avantage de permettre d'administrer la preuve de l'efficacité de la coordination inter cantonale, AVANT et comme CONDITION de fusions éventuelles. On démontre l'utilité de la collaboration avant d'en tirer des conclusions institutionnelles. À ce titre, ce projet est plus respectueux des sensibilités cantonales et permet "en douceur" d'envisager les mêmes solutions que celles des initiants. Il en va de même de la création de communautés à but spécial qui permettent à la population de se familiariser, sur des sujets touchant à sa vie quotidienne, avec une pratique démocratique exercée au niveau de deux ou de plusieurs cantons.

d) Le déficit démocratique

Les initiants ont raison d'affirmer que la solution de concordats inter cantonaux, même avec une délégation permanente des élus de chaque canton, comporte le risque d'un déficit démocratique. Notons que ce risque ne sera pas absent non plus des concordats que devra passer le nouveau canton, en cas de fusion Vaud-Genève et que la conception du mandat politique défendue par nos "unionistes" n'est guère rassurante, comme nous l'avons vu plus haut. Ce n'est alors qu'une piètre consolation que de constater que, dans les cantons actuels déjà, on constate un déficit démocratique important. Ni la population, ni même les parlementaires n'ont de prise réelle sur les décisions prises par l'exécutif, dans de nombreux domaines. Pire: on constate l'émergence d'un pouvoir administratif qui a lui-même tout à gagner de la mise en oeuvre de conceptions relevant soi-disant du NPM, ce qui lui permet d'élargir son autonomie par un assouplissement du cadre législatif et budgétaire, les résultats de prétendus "questionnaires de satisfaction" pouvant alors offrir une base de légitimité qu'il est alors possible d'opposer à la représentativité parlementaire, voire même à l'exécutif. Ce que nous pourrions appeler le "syndrome de la démocratie Miauton" appelle une réforme en profondeur des institutions politiques, avec ou sans Vaud-Genève.

Notons que la solution de communautés à but spécial prête moins le flanc à la critique, s'agissant des droits démocratiques. Les initiants relèvent à juste titre que cette option comporte alors le risque de déboucher sur des réalisations mal coordonnées avec les autres tâches de l'Etat. Ce serait alors précisément la fonction d'un concordat inter cantonal que de préciser le cahier des charges de telles communautés, ce qui permettrait de tenir compte d'un souci de coordination. Les communautés, par ailleurs, restent soumises au contrôle cantonal. Cette solution, enfin, au même titre que celle du FIR (avec laquelle elle est compatible) permet une transition démocratique et en douceur vers un redécoupage régional.

LA DEFENSE DE L'IDEE D'UNE FUSION VAUD-GENEVE MERITAIT SANS DOUTE MIEUX QU'UN ARGUMENTAIRE VERBEUX ET EMPREINT D'UNE FIEVRE SCRIPTURALE FRISANT LA NAIVETE. RESTE UNE INTENTION, CERTAINEMENT SINCERE, MAIS INCONTESTABLEMENT PORTEUSE D'EFFETS PERVERS. ON NE PEUT QUE SOUHAITER, DANS CES CONDITIONS, QUE SI LES INITIANTS MAINTENAIENT LEUR PROJET, LA POPULATION SOIT SERIEUSEMENT INFORMEE DES RISQUES ET DES ILLUSIONS QUI LUI SONT PROPOSEES.

10 janvier 1999

Débat

M. Alberto Velasco (S), rapporteur. Je n'ai pas grand-chose à ajouter à mon rapport, si ce n'est que les travaux ont été raccourcis, ce qui est bien dommage.

En effet, nous aurions pu inviter le FIR, qui est soutenu par notre Bureau, entre autres, qui nous aurait donné des explications sur les nouveaux développements sur lesquels ils travaillent. Nous aurions pu nous intéresser bien davantage à l'espace Mittelland, à tous ces développements qui se font aujourd'hui en Suisse. Nous aurions également pu mener une réflexion au niveau de la région, mais les travaux n'ont malheureusement pas été poursuivis.

Et, c'est vrai, nous avons voté un peu trop rapidement - mais tout de même à l'unanimité - le dépôt de cette pétition sur le bureau du Grand Conseil. En ce qui me concerne, j'aurais peut-être voté différemment aujourd'hui et renvoyé, vu les circonstances et les développements actuels en Suisse, cette pétition au Conseil d'Etat... 

M. Alain Etienne (S). Cette pétition s'inscrit dans le cadre de la réflexion qui est actuellement menée en matière de régionalisation. La proposition qui nous est faite consiste à reconnaître la Romandie comme une région d'Europe.

Nous regrettons, par rapport à l'importance de ce débat, qu'une majorité de la commission - certes par égalité de voix seulement - n'ait pas jugé utile de poursuivre ce travail de réflexion par d'autres auditions. Je le regrette. Si cela avait été le cas, nous aurions pu avoir aujourd'hui un débat plus nourri. Malgré cela, je tiens à remercier le rapporteur d'avoir mis un certain nombre de textes en annexe de son rapport. En fait, dans cette affaire, il me semble que chacun dit qu'il faut ouvrir le débat, tout en voulant en garder l'initiative !

Nous avons toutefois été sensibles aux arguments développés par M. Malinverni, professeur de droit constitutionnel à l'université de Genève, lors de son audition devant la commission. Cette pétition semble en effet poser des problèmes juridiques : si elle est acceptée, il faudra changer la constitution. En fait ici deux idées s'affrontent : soit la fusion soit la création d'une nouvelle entité supracantonale !

Dans ces conditions, nous avons voté le dépôt de cette pétition sur le bureau du Grand Conseil. Les socialistes tiennent cependant à saluer l'initiative du Mouvement romand d'avoir pris part avant l'heure au débat sur la régionalisation. 

Mises aux voix, les conclusions de la commission des affaires communales, régionales et internationales (dépôt de la pétition sur le bureau du Grand Conseil à titre de renseignement) sont adoptées.