République et canton de Genève

Grand Conseil

PL 8299
32. Projet de loi de MM. Jean-Marc Odier, Bernard Lescaze et Claude Blanc modifiant la loi de procédure civile (E 3 05) (suppression de la conciliation obligatoire). ( )PL8299

Le GRAND CONSEIL de la République et canton de Genèvedécrète ce qui suit :

Article 1

La loi de procédure civile, du 10 avril 1984, est modifiée comme suit :

Art. 50 Procédure de conciliation (nouvelle teneur)

1 Toute demande susceptible d'être jugée en dernier ressort par le Tribunal de première instance est soumise à un essai préalable de conciliation devant le juge de paix, sauf exception prévue par la loi.

2 Toute demande susceptible d'être jugée en premier ressort par le Tribunal de première instance peut être soumise à un essai préalable de conciliation devant la Chambre de conciliation de ce tribunal, sur simple demande de l'une des parties, sauf exception prévue par la loi.

Art. 51 Exceptions (nouvelle teneur)

L'essai préalable de conciliation ne peut avoir lieu dans les cas suivants :

Art. 52 Requête de la tentative de conciliation facultative (nouvelle teneur)

1 Le demandeur sollicite une tentative préalable de conciliation par des conclusions préalables prises dans l'assignation.

2 Le défendeur peut solliciter la tenue d'une audience de conciliation par lettre adressée au greffe, dans un délai de 10 jours à compter de la réception de l'assignation.

3 Le défendeur doit être domicilié en Suisse ou y avoir élu domicile s'il requiert l'essai préalable de conciliation.

Art. 53 Abrogé

Art. 58 Abrogé

Art. 59, al. 1 (nouvelle teneur)

1 Le greffier cite les parties dans les 3 jours, par lettre recommandée, à comparaître dans un délai de 10 jours francs et de 15 jours au plus et adresse en même temps à la partie défenderesse une copie de l'assignation ou de la requête et lui fait savoir qu'elle peut prendre connaissance au greffe des pièces déposées par la partie demanderesse. Les frais de convocation sont prélevés sur l'émolument acquitté par la partie demanderesse. En cas de conciliation, le juge détermine par qui ces frais doivent être supportés. En cas de non-conciliation, ils sont compris dans les dépens mis à la charge de la partie qui succombe.

Art. 64 En cas d'échec de la conciliation (nouvelle teneur)

En cas d'échec de la conciliation, la cause est retournée au juge auquel la cause a été attribuée.

Art. 65 Abrogé

Art. 68, lettre e (nouvelle)

Art. 72, al. 1 et 3 (nouvelle teneur)

1 Le dépôt, en main du greffier, de l'original de l'assignation emporte introduction de la cause en justice et lie l'instance.

3 S'il s'agit d'une demande soumise à l'essai préalable obligatoire de conciliation, la cause n'est réputée avoir été valablement liée entre les parties et introduite en justice que sous réserve des dispositions qui régissent la conciliation.

Article 2 Entrée en vigueur

Le Conseil d'Etat fixe la date d'entrée en vigueur de la présente loi.

Article 3 Dispositions transitoires

Les causes déposées en conciliation avant l'entrée en vigueur de la présente loi seront soumises à l'essai préalable de conciliation selon la procédure prévue par l'ancien droit. En cas d'échec de cet essai de conciliation, elles pourront être introduites en justice selon les règles prévues par l'ancien droit.

Article 4 Modification d'une autre loi (E 2 05)

La loi sur l'organisation judiciaire, du 22 novembre 1941, est modifiée comme suit :

Art. 18 (nouvelle teneur)

Toute cause dont la somme en litige est supérieure à 8'000 F peut être soumise à une tentative de conciliation devant la Chambre de conciliation du tribunal siégeant en Chambre du conseil, selon les conditions et la procédure prévue par la loi de procédure civile.

EXPOSÉ DES MOTIFS

1. Partie générale

1.1 Bref historique

Le canton de Genève connaît actuellement un système où l'essai préalable de conciliation est en principe obligatoire avant l'introduction en justice d'une cause civile.

Cette institution a toutefois eu dans le passé des fortunes diverses. C'est la législation révolutionnaire qui a introduit à Genève l'essai obligatoire de conciliation. François Bellot avait comme idéal une magistrature destinée à prévenir les procès et à les terminer à l'amiable. Il est toutefois vite apparu que cette procédure n'était malheureusement qu'une vaine formalité. C'est ainsi que l'essai obligatoire a été transformé en essai facultatif dès 1816. En 1819, l'obligation de la conciliation préalable a été rétablie, mais seulement pour les procès entre époux ou entre les descendants ou les ascendants. En 1904, l'essai de conciliation obligatoire a été étendu aux causes susceptibles d'être jugées en dernier ressort. Quelques années plus tard, la loi de procédure civile (LPC) du 13 novembre 1920 a généralisé l'essai obligatoire de conciliation, le Tribunal de première instance devenant la juridiction de conciliation pour les causes susceptibles d'être jugées en premier ressort.

Le législateur a maintenu l'essai obligatoire de conciliation lors de la révision de la LPC du 10 avril 1987. L'essai obligatoire de conciliation fit alors l'objet d'une remise en question, mais son maintien fut décidé au motif que, statistiquement, seule la moitié des demandes déposées en conciliation étaient introduites par la suite.

1.2 Bref comparatif intercantonal

Une étude des textes légaux de plusieurs cantons révèle de fortes différences dans les systèmes existants : certains cantons connaissent la conciliation obligatoire dans des domaines précis et aucune conciliation pour le reste, d'autres connaissent un régime de conciliation facultative. Un canton (Bâle-Ville) a supprimé toute tentative de conciliation.

1.3 Situation actuelle à Genève

Les principales dispositions réglant actuellement l'essai préalable de conciliation sont les art. 10 et 18 de la Loi sur l'organisation judiciaire (LOJ), ainsi que les art. 50ss LPC.

En substance, la loi actuelle prévoit le principe d'un essai préalable obligatoire de conciliation, avec les exceptions visées aux art. 51, 52 et 53 LPC (essai facultatif, exemption et dispense en cas d'urgence). Au niveau pratique, quatre juges du Tribunal de première instance sont chargés des conciliations ordinaires.

Chacun des quatre juges chargés des conciliations ordinaires siège à tour de rôle une fois par mois à raison de trois heures environ. Quatre à six affaires sont convoquées par quart d'heure, soit soixante affaires par période en moyenne. Les affaires sont convoquées avec un intervalle de cinq minutes.

Le Juge de paix est également chargé de traiter les conciliations, dans le domaine de compétence qui lui est réservé par l'article 10 LOJ.

La modification de la LPC intervenue le 1er janvier 2000, suite à l'entrée en vigueur du nouveau droit du divorce, a déjà supprimé l'essai préalable de conciliation pour les procédures de divorce, séparation de corps et annulation du mariage (cf. l'art. 383 LPC).

1.4 Critique du système actuel

Aujourd'hui, compte tenu de l'organisation décrite ci-dessus et de la surcharge de travail des juges, force est de constater que, tout comme cela s'était produit à l'époque révolutionnaire, l'essai obligatoire de conciliation est devenu une vaine formalité, une sorte de passage obligé presque toujours inutile avant de pouvoir aller de l'avant dans la procédure au fond.

En pratique, l'essai préalable de conciliation se résume actuellement à un coup de tampon sur une demande en justice, les juges conciliateurs ne pouvant pas, faute de temps et de moyens, assumer réellement la fonction qui leur est dévolue. A cela s'ajoute une perte de temps pour le plaideur qui, d'emblée, ne voudrait pas ou ne pourrait pas s'arranger. Certes, les statistiques démontrent qu'un certain nombre de causes déclarées non conciliées ne sont jamais introduites devant le Tribunal. Toutefois, cette situation tient bien plus au montant de l'émolument d'introduction de la demande qu'au mérite de la procédure de conciliation.

Cette constatation vaut tant pour les affaires de famille que pour les autres affaires du ressort du Tribunal de première instance, en particulier les demandes en paiement. Le nouveau droit du divorce a déjà tenu compte de cette situation de fait et l'essai préalable de conciliation a été abrogé pour les affaires de famille depuis le 1er janvier 2000. Il convient maintenant d'adapter la LPC également dans les autres domaines de compétence du Tribunal de première instance.

Supprimer toute possibilité de tentative de conciliation préalable serait néanmoins regrettable car, sous l'angle des principes, une telle institution peut garder une utilité pour prévenir certains procès.

Cela implique toutefois que les magistrats en charge puissent faire réellement office de juges conciliateurs, ce qui n'est actuellement pas le cas.

Il faut relever que la conciliation devant le Juge de paix paraît, quant à elle, plus efficace pour les causes pour lesquelles il est compétent (les causes jugées en dernier ressort), probablement en raison de leur nature et du souci d'économie de procédure qu'une faible valeur litigieuse peut parfois induire. La procédure actuellement en vigueur devant le Juge de paix ne devrait donc pas être changée.

Quant à l'obligation de saisir au préalable la Commission de conciliation en matière de baux et loyers pour tous les litiges relevant du droit du bail, cette obligation ne saurait être remise en question, s'agissant d'une institution de droit fédéral.

1.5 Principales modifications proposées

Augmenter les moyens en temps et en ressources du juge conciliateur serait peut-être une solution. Aller dans cette voie procède néanmoins de l'utopie eu égard à l'état des finances publiques. Une autre et meilleure solution existe : réduire le nombre de causes à traiter en conciliation, sans aller jusqu'à supprimer l'essai préalable de conciliation, afin que les juges conciliateurs puissent faire correctement leur travail en n'ayant à s'occuper que des affaires réellement susceptibles d'être conciliées. C'est vers ce but que tend le projet de loi qui vous est soumis.

Le projet propose de rendre la conciliation facultative devant le Tribunal de première instance. Elle n'aurait lieu qu'à la demande de l'une des parties. Des mesures sont prévues pour éviter les demandes de conciliation purement dilatoires.

Un accroissement des cas conciliés sera sans aucun doute constaté, avec comme corollaire la diminution des causes attribuées aux juges du fond.

Les modifications proposées concernent principalement la LPC, mais aussi l'article 18 LOJ.

2. Commentaire article par article

2.1 Modifications de la loi de procédure civile (LPC)

Art. 50, al.1 PL

Il faut réserver l'essai de conciliation obligatoire par devant le Juge de paix, puisque l'expérience démontre que les critiques émises ici ne valent pas, pour différentes raisons, pour les causes qui sont du ressort de cette juridiction.

Art. 50, al.2 PL

Pour les causes susceptibles d'être jugées en premier ressort par le Tribunal de première instance (art.18 LOJ), l'essai préalable de conciliation doit à l'avenir être requis par la partie demanderesse ou la partie défenderesse : c'est l'essai préalable de conciliation facultatif. Ceci aura pour conséquence une économie de procédure à double titre :

le juge conciliateur ne sera plus saisi de causes dans lesquelles aucune des parties n'est prête à concilier ;

le juge conciliateur pourra approfondir sa connaissance du dossier à l'avenir, et du fait de l'intention exprimée par l'une des parties de tenter de concilier, l'essai de conciliation retrouvera sa raison d'être.

Art. 51 PL

La loi actuelle (art. 52 LPC) prévoit des cas pour lesquels l'essai préalable de conciliation n'est pas possible, car l'issue du litige échappe à la seule volonté des parties. Il s'agit des causes jugées par la Cour de Justice statuant en instance unique ainsi que les causes soumises à la procédure sommaire et celles relevant du titre XVI, chapitres IV et VII LPC (mesures protectrices de l'union conjugale, divorce, séparation de corps et annulation du mariage).

Art. 52 PL

La forme requise pour solliciter l'essai préalable de conciliation varie en fonction de la partie dont la requête de concilier émane :

le demandeur peut la formuler par des conclusions préalables prises dans son assignation (art. 52, al.1 PL) ;

le défendeur disposera d'un délai de dix jours dès réception de l'assignation pour solliciter la tenue d'une audience de tentative de conciliation, par simple lettre adressée au greffe du Tribunal de première instance (art. 52, al. 2 PL).

Soulignons que seul un défendeur domicilié en Suisse ou y ayant élu domicile pourra requérir l'essai préalable de conciliation (art. 52, al. 3 PL), ceci, pour éviter tout caractère dilatoire de la démarche (la lenteur des procédures de notifications à l'étranger est notoire).

Abrogation de l'art. 53 LPC

L'art. 53 doit être abrogé. Il prévoit la dispense de l'essai préalable de conciliation en cas d'urgence. Le nouveau système proposé prévoit toutefois la signification immédiate de l'assignation à comparaître devant le Juge chargé de trancher le différend. Ce n'est que si le demandeur a requis l'essai préalable de conciliation que celle-ci est tentée. Dans une telle hypothèse, il doit être réputé avoir écarté l'existence d'une urgence. Le défendeur peut bien entendu solliciter la tenue d'une audience de tentative de conciliation, ce qui aura pour effet de ralentir le cours de la procédure, mais s'il s'avère qu'il en a fait un usage dilatoire, il pourrait être sanctionné selon les dispositions de la LPC visant le plaideur téméraire.

Abrogation de l'art. 58 LPC

L'art. 58 LPC sera abrogé. Etant donné la suppression de l'essai préalable obligatoire de conciliation, seul s'appliquera désormais l'art. 72 LPC qui a trait à l'introduction des causes en justice. Il faut préciser dans cet article que le dépôt au greffe de l'assignation lie l'instance (art. 72, al. 1).

Art. 59 LPC

L'art. 59 LPC demeure inchangé, à l'exception des dispositions concernant les frais de convocation en conciliation. Ceux-ci seront à l'avenir compris dans l'émolument de greffe acquitté par le demandeur.

Art. 64 LPC

L'art. 64 LPC concerne l'introduction de la cause en cas de non conciliation. Il doit être abrogé en ce qui concerne les conciliations facultatives, mais sa teneur doit être reprise dans les dispositions concernant uniquement les conciliations obligatoires devant la Justice de paix (art. 68 al. e PL).

Dans le projet de loi, il n'est plus question pour le juge conciliateur de délivrer l'autorisation de citer, puisque la cause a déjà été introduite par le dépôt de la demande. La cause ne pourra donc plus se périmer si elle n'est pas introduite dans les 30 jours après l'échec de la tentative préalable de conciliation.

L'art. 64 PL (nouvelle teneur) prévoit donc simplement qu'en cas de non conciliation de la cause, celle-ci sera retournée au juge chargé du fond auquel elle avait initialement été attribuée.

Abrogation de l'art. 65 LPC

L'art. 65 LPC doit être abrogé. Il n'y aura en effet plus de défaut du demandeur à l'audience de conciliation. Si c'est lui-même qui a requis l'essai préalable de conciliation, il subira les conséquences de son absence, soit le renvoi par le juge conciliateur du dossier au juge chargé du fond. Si le défendeur fait défaut alors que c'est lui qui avait requis l'essai préalable de conciliation, la cause retournera aussi au juge du fond, mais une amende pourra sanctionner l'éventuel comportement dilatoire du défendeur.

Art. 68 à 71 LPC

Le chapitre III traitant de la procédure de conciliation devant le Juge de Paix ne subira aucune modification (art. 68 à 71 LPC), sous réserve de la reprise de la teneur de l'art. 64 LPC à l'art. 68, let. e LPC.

Art. 72 PL

L'art. 58 LPC étant abrogé, seul l'art. 72 LPC s'appliquera concernant l'introduction des causes en justice. L'art. 72, al. 1 LPC prévoit que le dépôt au greffe de l'assignation lie l'instance. L'art. 72, al. 3 LPC est modifié de manière à ce qu'il ne s'applique plus qu'aux causes soumises à l'essai préalable de conciliation. Le nouveau droit du divorce a déjà conduit à modifier la teneur des art. 379ss LPC. Il n'y a pas lieu d'y revenir dans le cadre du présent projet de loi.

2.2 Modification de la loi sur l'organisation judiciaire

Art. 18 PL

Le nouveau système nécessite seulement une modification de l'art. 18 LOJ. Cet article prévoira, en lieu et place d'un essai obligatoire, la faculté de soumettre le litige à une Chambre de conciliation siégeant en Chambre du Conseil.

Ce projet est renvoyé à la commission judiciaire sans débat de préconsultation.