République et canton de Genève

Grand Conseil

M 898-A
11. Rapport de la commission des droits politiques chargée d'étudier la proposition de motion de Mmes et MM. Christian Ferrazino, Gilles Godinat, René Longet, Olivier Lorenzini, Liliane Maury Pasquier, Laurent Rebeaud, Roger Beer et Janine Berberat concernant l'étude sur l'abstentionnisme et définition d'une stratégie d'ensemble. ( -) M898
 Mémorial 1994 : Développée, 1071. Commission, 1079.
Rapport de Mme Fabienne Bugnon (E), commission des droits politiques

Renvoyée le 28 avril 1994 en commission des droits politiques et du règlement pour examen, la motion 898 a été mise à l'ordre du jour de nos séances du 25 mai et du 12 juin 1994 sous les présidences alternées deMmes Anne Chevalley, présidente, et Fabienne Bugnon, vice-présidente.M. René Kronstein, directeur de la division intérieure du département de l'intérieur, de l'environnement et des affaires régionales, ainsi que M. Patrick Ascheri, chef de service des votations et élections, ont assisté aux deux séances et ont rédigé plusieurs notes que vous trouverez en annexe à ce rapport. M. le conseiller d'Etat Claude Haegi a également participé à une partie de nos travaux.

Cette motion fait suite à la motion 898 sur le même sujet refusée par notre Grand Conseil en date du 16 décembre 1993, aux motifs que ses invites étaient trop vagues et le texte trop imprécis et qu'elle s'adressait à une commission du Grand Conseil et non pas au Conseil d'Etat. La motion 888 était présentée par M. René Longet, la motion 898 a été cosignée par un représentant de chaque groupe politique; les motionnaires ont pris soin d'apporter les corrections demandées et malgré cela, lors du débat en séance plénière, une majorité de députés a préféré renvoyer cette motion en commission.

But de la motion

Elle pose le problème de la participation aux votations et aux élections ou plutôt de la non-participation d'une majorité de citoyennes et citoyens. Lors du débat de préconsultation l'auteur a rappelé quelques chiffres qui démontrent que l'on peut difficilement prévoir les taux d'abstention ou de participation, ceux-ci étant plutôt «en dents de scie» et variant principalement en fonction du sujet à voter. Ainsi on se rappelle par exemple le taux de 73,5% de participation le 6 septembre 1992, vote de triste mémoire, ou, plus ancien, le taux de 72% en juin 1970 pour l'initiative sur les étrangers, alors que l'on a connu des taux de participation dérisoires lorsque le sujet intéressait moins les électeurs ou était trop compliqué.

Concernant les élections, et c'est sans doute ce qui a principalement motivé les auteurs de la motion, le taux de participation de 33% du 17 octobre 1993 n'est pas très glorieux et les auteurs estiment par la voix de M. René Longet «qu'en rapport avec ce faible score que nous avons nous-mêmes suscité, nous devons nous interroger sur notre propre travail, sur la manière de le faire comprendre, sur notre attractivité en tant qu'institution» (Longet, Mémorial no 12, p. 10-73). Consolation tout de même pour les députés, on trouvera le record d'abstentionnisme, lors de la dernière élection des juges. Taux de participation 1,9% (!) et on se rappelle pourtant que les juges garantissent un des trois pouvoirs de notre République. L'auteur précisait également qu'un certain nombre de travaux étaient déjà en cours tant au département de l'intérieur, de l'environnement et des affaires régionales qu'à l'office cantonal de statistique et qu'au département des sciences politiques de l'université et que le but principal des invites de cette motion était que ces travaux et données soient rassemblés et permettent d'agir en fonction des résultats dans le sens d'une meilleure participation des citoyennes et citoyens à la vie civique de notre canton en particulier et de la Suisse en général.

Il semblait aux auteurs que le Conseil d'Etat pouvait se charger directement de cette tâche, mais celui-ci par la voix de son présidentM. Claude Haegi a préféré enjoindre le Grand Conseil de renvoyer cette motion en commission afin de déterminer très prècisément quel type d'étude le Grand Conseil souhaitait et par quels fonds il entendait la financer.

Travaux de la commission

La première séance consacrée à l'étude de cette motion a plutôt fait l'objet d'une discussion générale sur l'importance qu'il faut accorder à l'abstentionnisme et le cas échéant sur les moyens pour y remédier. La plupart des commissaires reconnaissant n'avoir pas les outils de travail nécessaires permettant de répondre à ce type de question et que l'université serait plus à même de mener à bien une telle étude qui se chiffrerait selon l'évaluation de M. Patrick Ascheri autour de 250 000 à 270 000 F.

La deuxième séance a fait l'objet de discussions plus élaborées, principalement en partant de la note rédigée par les services du département de l'intérieur, de l'environnement et des affaires régionales (annexe I) ainsi qu'un document du département des sciences politiques adressé à Mme Anne Chevalley, présidente de la commission, par M. Kriesi, professeur de politique suisse, et M. Urio, doyen de la faculté des sciences économiques et sociales, contenant une proposition pour un projet de recherche sur l'abstentionnisme dans la Ville de Genève (annexe II) ainsi qu'un courrier de l'association Mondial Contact (annexe III). L'importance a été mise en particulier sur la précision des invites à adresser au Conseil d'Etat et sur les moyens permettant d'éviter une charge financière supplémentaire au budget de l'Etat pour financer l'étude demandée. Par ailleurs, M. René Kronstein a informé les commissaires qu'une grande étude de comportement électoral était envisagée pour les élections fédérales de 1995, qu'elle porterait sur une dizaine de cantons, que son coût serait d'environ 1 200 0000 F et que le professeur Kriesi espérait que le Fonds National accepte de soutenir cette recherche.

Il a ajouté également «que l'enquête du professeur Girod (en 1991) avait été menée avec beaucoup de rigueur et que ses conclusions restaient sans doute valables».

Un commissaire objecte tout de même que la société a changé et qu'un inventaire plus argumenté des causes et surtout des remèdes est nécessaire. Parmi les remèdes, par exemple l'instruction civique n'est pas suffisamment prise en compte. Une motion allant dans ce sens a d'ailleurs été renvoyée au Conseil d'Etat en avril 1994.

D'autres commissaires font la proposition de s'adjoindre les services d'un étudiant au chômage ou de proposer le sujet d'étude comme travail de mémoire à un étudiant afin de réduire au maximum le coût.

M. Claude Haegi, présent lors d'une partie de la séance, confirme à la commission que le Conseil d'Etat n'est pas très favorable pour réaliser l'étude demandée. Il n'en a pas les moyens et pense également que les conclusions ne seraient pas très différentes de celles du professeur Girod.

En revanche, il est particulièrement favorable à agir au niveau de l'information aux électrices et électeurs et à faciliter au maximum les procédures de vote. Le développement du vote par correspondance et l'ouverture d'un second local pour les votes anticipés font sentir leurs effets. L'amélioration de l'information dans la correspondance est en cours et la création d'une ligne téléphonique directe au moment des scrutins est envisagée. Il assure que le Conseil d'Etat se montrera actif dans ce domaine. Il estime en conclusion que la motion fait double emploi avec les travaux déjà entrepris.

Il propose à la commission de demander à l'université de bien vouloir - à titre gracieux - faire parvenir aux députés les renseignements complé-mentaires dont elle dispose.

Conclusion et vote de la commission

Suite au débat et à l'intervention du Conseil d'Etat, les commissions ont procédé à deux votes différents. Premièrement ils ont accepté par 10 voix et3 abstentions le principe de la motion.

Deuxièmement, après s'être mis d'accord sur le libellé, les commissaires ont adopté la motion suivante à l'unanimité.

LE GRAND CONSEIL,

considérant :

- que moins de 40% des citoyennes et citoyens se sont rendus aux urnes les 15, 16 et 17 octobre dernier pour l'élection au Grand Conseil;

- que de manière générale, les taux d'abstention sont très importants dans notre canton, mettant en péril, à la longue, le bon fonctionnement de la démocratie,

invite le Conseil d'Etat

à examiner la possibilité de confier à l'université le soin de rédiger une étude - à titre gracieux - sur le problème de l'abstentionnisme à Genève et les moyens d'y remédier, en se basant sur les éléments scientifiques dont elle dispose.

Les pistes énoncées en page 2 de la motion initiale (annexe IV) font figure d'exposé des motifs.

La commission des droits politiques et règlement du Grand Conseil vous prie, Mesdames et Messieurs les députés, de bien vouloir adresser au Conseil d'Etat la motion selon son nouveau libellé.

ANNEXE I

ANNEXE II

ANNEXE III

ANNEXE IV

Secrétariat du Grand Conseil

Proposition de Mmes et MM. Roger Beer, Janine Berberat, Christian Ferrazino, Gilles Godinat, René Longet, Olivier Lorenzini, Liliane Maury Pasquier, Laurent Rebeaud

Dépôt: 17 février 1994

M 898

PROPOSITION DE MOTION

Etude sur l'abstentionnisme et définition d'une stratégie d'ensemble

LE GRAND CONSEIL,

considérant :

- que moins de 40% des citoyennes et citoyens se sont rendus aux urnes les 15, 16 et 17 octobre dernier, pour l'élection du Grand Conseil;

- que, de manière générale, les taux d'abstention sont très importants dans notre canton, mettant en péril, à la longue, le bon fonctionnement de la démocratie,

invite le Conseil d'Etat à faire procéder à une étude d'ensemble sur les causes de l'abstentionnisme qui se manifeste dans les scrutins dans notre canton et à formuler des propositions en vue de revitaliser les processus démocratiques.

A cette fin, seront examinés, plus particulièrement, notamment les points suivants:

- les motivations de base des citoyennes et citoyens par rapport à l'usage de leurs droits civiques et le potentiel d'intérêt civique;

- les demandes en la matière;

- les mesures correctrices à mettre, le cas échéant, en oeuvre par les divers acteurs:

a) en matière d'organisation des scrutins;

b) quant au libellé des questions posées;

c) dans le domaine de l'information et des moyens de communication politique mis en oeuvre par les divers acteurs, en particulier les institutions représentatives elles-mêmes;

d) au moyen des possibilités qu'offrent les moyens de communication et d'informatisation modernes;

e) dans le domaine de la gestion du débat politique;

f) s'agissant des lieux et des modalités de ce débat;

- les corrélations socio-culturelles des phénomènes observés.

Débat

Mme Fabienne Bugnon (Ve), rapporteuse. Je souhaitais, de prime abord, ne rien ajouter à mon rapport, car, d'une part, je pense qu'il reflète les travaux de la commission des droits politiques et, d'autre part, comme précisé dans le rapport, cette motion n'aurait pas dû transiter par une commission mais être directement renvoyée au Conseil d'Etat.

Certains députés en ont voulu autrement, mais ils ont été obligés de constater que les commissaires ne disposaient pas des moyens nécessaires pour répondre aux invites de la motion. Dès lors, il était superflu d'engager un processus d'audition ou de longs travaux qui n'aurait pu aboutir qu'aux conclusions actuelles votées à l'unanimité.

Le passage en commission a permis aux uns et aux autres de s'exprimer sur la priorité à accorder maintenant, dans la situation actuelle des finances de l'Etat, un montant substantiel destiné à une étude qui n'amènerait pas forcément des conclusions différentes de celles auxquelles aboutissait le professeur Girod.

La motion ne ressort pas de la commission vide de son contenu, comme on a pu le lire. Elle procède simplement d'un constat de priorité financière que chacun d'entre nous peut évidemment remettre en cause. Par contre, la plupart des députés pensent que l'abstentionnisme est un réel problème et qu'il vaut la peine de chercher des pistes pour y remédier. C'est la raison pour laquelle, dans un premier temps, la commission a souhaité demander à l'université de rassembler les éléments scientifiques dont elle dispose dans ce domaine et de les fournir au Grand Conseil.

En parallèle, le Conseil d'Etat, et plus particulièrement le département de l'intérieur, s'est engagé à proposer différentes améliorations visant à faciliter l'exercice du droit de vote. Ces propositions sont inscrites dans le présent rapport. Rien n'empêche ensuite les députés de faire, par voie de motion, d'autres propositions visant, elles aussi, à donner l'envie aux gens d'aller voter, principalement d'ailleurs lorsqu'il s'agit d'élections.

Le libellé de la nouvelle motion à renvoyer au Conseil d'Etat a été élaboré par la commission et voté à l'unanimité. Je pense qu'il est important de préciser à l'intention de la presse, qui a considéré ce rapport comme une indifférence des élus envers les électeurs, qu'elle fait totalement fausse route. Au contraire, durant les quatre heures consacrées à l'étude de cette motion, il n'a été pratiquement question que des électeurs et des électrices et de la façon dont on pourrait leur rendre la vie politique plus attractive.

Cette motion doit être considérée comme un élément de la discussion à avoir autour du problème de l'abstentionnisme, et cette discussion est loin d'être close.

Mme Anne Chevalley (L). En ma qualité de présidente de la commission des droits politiques, je remercie Mme le rapporteur de son rapport qui reflète très fidèlement les travaux de la commission. Il est exact qu'un large échange d'opinions a eu lieu sur un sujet très difficile à cerner.

Comme l'ont rappelé quelques commissaires, plusieurs études ont déjà été menées et n'ont débouché que sur peu de solutions réellement efficaces. La dernière, comme l'a souligné Mme le rapporteur, est celle de M. R. Conrad, faite en 1984 et qui confirme les conclusions du professeur Girod de 1971.

L'abstentionnisme est un problème généralisé et notre Conseil d'Etat, contrairement à ce que prétendent d'aucuns, s'est penché sérieusement sur quelques solutions possibles. L'une a été l'instauration du vote anticipé, l'autre le vote par correspondance. Ce dernier a encore fait récemment l'objet de simplifications de procédure. Ces deux innovations ont apporté une légère amélioration de la participation aux urnes.

Le groupe libéral, quant à lui, n'est pas favorable à la motion 898 pour la raison principale suivante : pourquoi engager maintenant des frais d'étude considérables, plusieurs centaines de milliers de francs, que nous serions bien en peine de trouver, alors qu'une grande étude de comportement électoral est envisagée pour les élections fédérales de 1995 qui, selon les renseignements donnés par le département de M. Haegi, concernera dix cantons ? Attendons donc ces conclusions ! Après quoi, il sera judicieux de les étudier en commission et d'en tirer les enseignements nécessaires afin de prendre, le cas échéant, les mesures adéquates.

Par contre, le groupe libéral ne s'oppose pas à la motion par laquelle le Conseil d'Etat est invité à confier à l'université, à titre gracieux, une étude sur l'abstentionnisme et les moyens d'y remédier.

M. René Longet (S). Le travail en commission, et les propos de Mme Chevalley le confirment, a été pour moi une grande déception. Je remercie Mme Bugnon qui a tiré le meilleur parti possible des travaux de la commission. Il n'en reste pas moins que, dans la commission des droits politiques qui a étudié cette motion, ce problème qui nous concerne tous a été pris très à la légère. D'une manière générale, on continue à prendre trop à la légère le phénomène de l'abstentionnisme.

En commission, on a répété, surtout sur les bancs libéraux, que l'abstentionnisme n'est pas grave, qu'il a toujours existé, que c'est un choix personnel, que ce problème ne concerne pas les députés, que le fait que le Grand Conseil est élu dans l'indifférence générale n'est pas de notre ressort. Je ne partage absolument pas cette façon de voir qui nous mène droit à l'impasse.

Pour M. Haegi, qui nous a accordé l'honneur d'une petite visite, le département s'occupe de cette question. Il y remédie. Le vote par correspondance va être introduit. On a voté tout à l'heure le projet. Finalement, il ne voit pas ce que nous pourrions faire de plus ! D'ailleurs, le professeur Girod - je dirais à Mme Bugnon que ce n'était pas en 1991 mais en 1964 - a déjà tout dit. Et les conclusions de 1964 sont évidemment vraies trente ans plus tard ! Il n'y a aucun doute à avoir !

Malheureusement, les signataires de la motion n'étaient pas dans la commission. D'ailleurs, certains se sont évaporés. La signataire du parti libéral, Mme Berberat, a disparu des noms des signataires. J'ignore si cela résulte de sa volonté ! (Rires.) C'est pourquoi, aujourd'hui, la motion n'est plus cosignée par le parti libéral. J'en prends acte.

De manière générale, on a quelque peu tourné en rond dans la commission. La question était de savoir s'il fallait vraiment que l'on traite ce problème qui concerne finalement deux tiers de nos concitoyens. Pour ma part, je prétends qu'on doit s'en occuper. Et ce soir, c'est un peu l'heure de vérité pour ce Grand Conseil. En effet, on se plaint que le citoyen s'éloigne des autorités. Mais je dirais plutôt que ce sont les autorités qui s'éloignent du citoyen tant que le problème sera traité de la manière dont vous avez choisi de le traiter.

Ce faisant, nous oublions complètement le but de notre action, celle qui nous est rappelée à chaque début de séance, à savoir que nous sommes là pour le citoyen. Et, si le citoyen nous dit que ce que nous faisons ne l'intéresse pas, nous avons à nous sentir, comme on dit, interpellés par cette indifférence.

Lorsque nous avons parlé du projet de loi du groupe radical concernant les députés-suppléants, il a été dit que nous devons revoir le fonctionnement de nos institutions, rendre plus transparentes nos prises de décision et plus visibles nos motivations. Aujourd'hui, nous devons réagir par rapport à ce que le citoyen nous fait remarquer.

Il y a une année déjà, une demande a été formulée au moyen d'une première motion. Nous demandons maintenant que ce problème soit pris plus au sérieux. Cela nous concerne quant notre parlement est élu par un citoyen sur trois. Nous avons à nous interroger sur cette question.

Bien entendu, nous ne voulons obliger d'aucune façon les citoyens à voter. Mais ce non-dit recèle un message qui doit être décodé. Il est indispensable que la vie politique se rapproche de la base, que cette vie politique soit plus attractive, plus transparente, plus proche des préoccupations concrètes. Nous ne pouvons pas seulement demander aux électeurs de venir à nous parce que nous sommes les meilleurs. Nous avons un effort de communication et de rénovation à faire. Nous ne pouvons rester indifférents à ce que le citoyen nous dit. Une compréhension réciproque est indispensable. C'est pourquoi nous pensons que la préoccupation à la base de notre motion a été prise à la légère.

La motion résultant des travaux de la commission est une réponse à cette préoccupation. Malheureusement, elle a été vidée de sa substance. On lui a enlevé l'essentiel. Au lieu de soulever la question d'une étude et d'interroger les experts sur les raisons de cet abstentionnisme - l'étude du professeur Girod, en 1964, il y a trente ans, a effectivement nourri le débat durant de longues années - on se contente d'examiner la possibilité de confier éventuellement, à bien plaire, à l'université de soin de rédiger une étude, à titre gracieux. C'est un enterrement de première classe ! C'est se moquer du monde !

C'est pourquoi je vous propose de rétablir au moins le minimum du minimum, au moyen de deux amendements, si nous voulons respecter ceux qui se détournent de nous et qui nous transmettent ce message grave de leur désintérêt. Ce soir, nous avons la possibilité d'inviter le Conseil d'Etat à confier par exemple à l'université le soin de rédiger une étude sur le problème de l'abstentionnisme. Ne laissons pas cette opportunité nous échapper !

Nous vous proposons ainsi de supprimer les deux relativisations fumeuses, à savoir «...examiner la possibilité de...» et «...à titre gracieux...». Si l'université le fait dans le cadre de ses travaux usuels, nous en sommes très heureux. Mais si cette étude n'entre pas dans les travaux usuels et exige une rémunération, accordons-la ! La démocratie est ce qui nous est le plus cher. Elle ne peut être toujours gratuite. Demain «on rase gratis», c'est terminé ! Les votes populaires et les élections ne sont pas gratuits. (Commentaires.) On ne peut jouir de la démocratie sans qu'il ne nous en coûte rien. En exigeant, a priori, que cette étude se fasse nécessairement gratuitement, nous mettons un préalable abusif.

Si cette étude ne peut s'insérer dans le cadre des travaux courants, il faut consacrer le prix nécessaire pour comprendre le malaise à l'origine de l'abstentionnisme. Cette proposition de motion demande au Conseil d'Etat d'en faire l'étude. Ne biaisons pas l'étude au départ ! Demandons des choses claires et nous aurons des réponses claires. Demandons des choses floues et nous aurons des réponses floues. Ce soir, nous avons une option claire à prendre et, pour cela, je vous propose un amendement visant à supprimer ces deux relativisations. Ainsi nous donnerons un mandat clair à M. Haegi qui pourra le prendre ou le refuser. Il a toute latitude d'argumenter, mais ne commençons pas à couper déjà notre volonté à ce niveau-là. Montrons clairement que nous prenons les citoyens au sérieux et que nous voulons étudier le problème à fond.

M. Claude Haegi, président du Conseil d'Etat. Je comprends la déception de M. Longet qui, en effet, n'a pas convaincu les membres de la commission de la justesse de la démarche qu'il suggérait. Ce n'est d'ailleurs pas la première fois que M. Longet vit cette déception, car, depuis le début de la législature, se pose en lui toute une série de questions auxquelles il a peine à répondre. Il suggère que nous entreprenions des études confiées à des tiers, notamment l'université.

Monsieur Longet, ce que vous venez de dire est d'une certaine gravité. En effet, si les citoyens doivent être pris au sérieux, ils doivent l'être d'abord par les partis politiques ayant, de par leur engagement, la capacité d'intéresser la population. Vous avez la possibilité, dans le cadre de votre parti, de vivre l'engagement le plus complet pour convaincre les gens de se déplacer en plus grand nombre.

Ce n'est pas l'étude du professeur Girod, auquel vous vous référez à nombreuses reprises, qui a bouleversé le taux de participation. C'est bien de s'y référer. On savait ce qui motivait les gens, pourquoi ils n'allaient pas voter, mais leur comportement n'a pu être modifié. Pourquoi n'a-t-on pas pu modifier leur comportement ? Vous posez-vous quelques questions précisément au sujet de celles qui sont posées au corps électoral ? Sont-elles toutes de nature à susciter un intérêt tel que l'on ait envie de se diriger, en rangs serrés, vers les urnes ? Tel n'est pas le cas !

Dans ce canton comme dans ce pays, lorsqu'on pose des questions importantes, les électeurs et électrices se déplacent en nombre et apportent les réponses qui doivent être données.

Je me permets d'ajouter un élément pour une meilleure compréhension du taux de participation. On compare souvent celui de Genève ou celui de la Suisse avec les pays voisins. C'est différent ! En France, par exemple, les rôles électoraux ne sont pas composés de la totalité de ceux qui ont le droit de vote, mais seulement de ceux qui ont exprimé formellement le désir de l'exercer en s'inscrivant dans les rôles électoraux.

C'est une différence considérable, car, comme vous avez lu l'étude de M. Girod attentivement, vous vous êtes sans doute rendu compte qu'on a un pourcentage substantiel de gens qui ne votent jamais, que vous ne ferez jamais aller voter et qui, dans un pays comme la France, ne figurent pas dans les pourcentages qui sont pris en compte. Si nous avions les mêmes références que celles de la France, au lieu d'un taux de 40%, nous aurions une participation de plus de 50%, probablement de 55 ou 60%. Selon les questions qui sont posées, ce n'est pas forcément si mal.

En effet, j'ai confirmé à la commission qu'avec votre appui on continuerait de faire en sorte d'informer les électrices et électeurs de ce canton, de leur donner les moyens de voter dans les meilleures conditions possibles, ce que vous avez fait tout à l'heure en acceptant la généralisation du vote par correspondance. Nous faisons ce que nous avons à faire au niveau cantonal. Pour le reste, que les partis politiques jouent le rôle qui est le leur de façon à inciter les gens à voter d'une manière plus soutenue. Mais pensons également aux questions qu'on leur pose lorsqu'il s'agit de certains référendums ou votations qui, évidemment, ne suscitent pas le plus grand intérêt.

C'est pourquoi je crois que vous pouvez refuser l'amendement du député Longet, ce qui ne nous empêchera pas de dire ce soir, avec détermination, que nous sommes attentifs aux électrices et électeurs de ce canton. Mais ce n'est pas une étude universitaire qu'ils attendent, c'est un engagement différent. (Applaudissements.)

M. Dominique Hausser (S). M. Haegi n'a vraiment pas lu la proposition de motion originelle qui parle bel et bien des élections au Grand Conseil et pas des votations sur des sujets divers qu'ils soient communaux, cantonaux, nationaux, qu'ils proviennent de propositions d'une autorité exécutive, d'un référendum ou d'une initiative. Il est vrai qu'après l'étude de M. Girod en 1971, spécifique à Genève, il y a eu d'autres études menées souvent au niveau national et portant sur des votations et non des élections. Au sujet des élections, nous n'avons que peu ou pas d'informations scientifiques.

Cela étant dit, j'aimerais revenir sur deux aspects. Mesdames et Messieurs les bourgeois, (Eclats de rire.) vous venez de voter une loi sur l'université et je reprends de manière approximative les termes employés par la Dame du Conseil d'Etat. Elle a dit qu'il s'agissait non pas de renforcer... (Mme Brunschwig Graf manifeste sa désapprobation.) Attendez deux secondes avant de hocher la tête, Madame Brunschwig Graf ! (Manifestation.) Il ne s'agit pas de renforcer le contrôle de l'Etat sur l'université - c'est ce que vous avez dit, Madame Brunschwig Graf - mais de l' «autonomiser» pour ne pas dire la privatiser. Alors, lorsqu'on lit l'invite «à titre gracieux», c'est comme si l'on demandait à M. Gardiol de bétonner la rade à titre totalement gracieux ! (Rires, applaudissements.) Croyez-vous vraiment que cela soit réaliste pour relancer l'économie et la compétitivité... Vous rigolez un peu !

Enfin, je ne veux pas faire du français, mais «rédiger une étude», je ne comprends pas ce que cela veut dire ! Tout au plus, on «réalise» une étude, on «rédige un rapport» après avoir «effectué une enquête»... Donc je vous propose effectivement, d'une part, d'adopter l'amendement de mon collègue Longet. Il est modeste et ne reprend pas l'entièreté de la proposition originale. D'autre part, je propose comme amendement de remplacer le terme «rédiger» par «réaliser».

Mme Claire Chalut (AdG). M. Haegi a soulevé une question à mon avis intéressante concernant les gens qu'on ne fera jamais voter. Là réside précisément le problème. Une étude un peu approfondie, pourquoi pas une thèse d'étudiant, pourrait peut-être nous indiquer pourquoi des gens ne votent jamais ou presque jamais, c'est-à-dire pourquoi ils sont abstentionnistes. Un tel phénomène, lié à des causes et des situations sociales, a des effets considérables.

Rejeter le problème sur les partis qui feraient mal leur travail me semble une réponse insuffisante. Si le problème est effectivement complexe, c'est que l'on n'a pas de prise sur les citoyens, sur ce qui se passe au tréfonds d'eux, dans leurs tripes. Je pense qu'il faudrait promouvoir une thèse sur ce sujet. Il ne suffit pas d'évacuer le problème sous prétexte que les partis travaillent mal. Il y a autre chose à faire. Lorsqu'il y a des votations sur de bonnes questions - la Suisse sans armée, par exemple - beaucoup de personnes se déplacent. La participation a été très importante. Il suffit parfois de poser les bonnes questions.

Le président. L'amendement de M. Hausser consiste à remplacer «rédiger» par «réaliser».

L'amendement est mis aux voix.

Le résultat est douteux.

Il est procédé au vote par assis et levé.

Le sautier compte les suffrages.

L'amendement de M. Hausser est adopté par 61 oui.

Le président. Je mets aux voix l'amendement de M. Longet ainsi libellé :

«à confier à l'université le soin de réaliser une étude, le cas échéant, à titre gracieux...»

Cet amendement est rejeté.

Mise aux voix, la motion ainsi amendée est adoptée.

MOTION

concernant une étude sur l'abstentionnismeet définition d'une stratégie d'ensemble

LE GRAND CONSEIL,

considérant :

- que moins de 40% des citoyennes et citoyens se sont rendus aux urnes les 15, 16 et 17 octobre dernier pour l'élection au Grand Conseil;

- que de manière générale, les taux d'abstention sont très importants dans notre canton, mettant en péril, à la longue, le bon fonctionnement de la démocratie,

invite le Conseil d'Etat

à examiner la possibilité de confier à l'université le soin de réaliser une étude - à titre gracieux - sur le problème de l'abstentionnisme à Genève et les moyens d'y remédier, en se basant sur les éléments scientifiques dont elle dispose.

Les pistes énoncées en page 2 de la motion initiale (annexe IV) font figure d'exposé des motifs.

La commission des droits politiques et règlement du Grand Conseil vous prie, Mesdames et Messieurs les députés, de bien vouloir adresser au Conseil d'Etat la motion selon son nouveau libellé.