République et canton de Genève

Grand Conseil

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M 2530-B
Rapport du Conseil d'Etat au Grand Conseil sur la motion de Mmes et MM. David Martin, Caroline Marti, Nicole Valiquer Grecuccio, Thomas Wenger, Paloma Tschudi, Yvan Rochat, François Lefort, Salima Moyard, Grégoire Carasso, Marjorie de Chastonay, Alessandra Oriolo, Mathias Buschbeck, Frédérique Perler, Pierre Eckert, Isabelle Pasquier, Jean Rossiaud, Adrienne Sordet, Philippe Poget, Sylvain Thévoz, Delphine Klopfenstein Broggini, Léna Strasser, Katia Leonelli, Pierre Bayenet, Jean Burgermeister pour une politique de mobilité favorisant l'habitat sans voitures

Débat

Le président. Nous passons à l'examen de la M 2530-B; la parole est demandée par M. le député David Martin. Vous confirmez ?

M. David Martin (Ve). Je confirme, Monsieur le président, je vous remercie. Mesdames les députées, Messieurs les députés, en bref, cette motion demande que les ratios relatifs aux places de stationnement dans les projets d'urbanisation soient revus à la baisse. Elle a été votée par la quasi-unanimité de la commission des transports: pour une fois qu'un texte traitant de la mobilité fait l'objet d'un tel consensus, c'est donc qu'il y a certainement quelque chose à faire.

Pourtant, tout en approuvant les invites de la motion, le Conseil d'Etat nous dit dans sa réponse que tout va très bien et qu'il fait déjà de son mieux. Circulez, y a rien à voir; c'est le cas de le dire ! Si on comprend que le département des infrastructures opte pour une certaine prudence - sans stationnement dans les projets privés, il y a de fait un risque de report du parking sur la voirie - on comprend mal, en revanche, que le gouvernement ne soit pas un peu plus ambitieux dans sa réponse alors que la voiture à essence représente un tiers du bilan carbone de Genève. Ce même gouvernement a en effet voté récemment en faveur de l'urgence climatique et s'est engagé à diminuer de 60% les émissions de carbone dans les dix prochaines années - le défi est énorme.

Dans un canton par ailleurs très exigu, les voitures individuelles occupent en outre une place assez invraisemblable dans l'espace public. Alors que de nombreuses solutions telles que l'autopartage se multiplient, alors que la desserte des transports publics se renforce jour après jour, nous sommes très étonnés par cette réponse. Toutes les auditions en commission ont de plus confirmé que de nombreux projets se retrouvent avec des places de stationnement en parking souterrain vides; c'est donc un énorme gaspillage de moyens, et cela a un impact très fort sur notre capacité à végétaliser les quartiers.

Pourquoi cette situation se produit-elle ? Eh bien parce que les PLQ qui se construisent aujourd'hui ont été conçus il y a dix, quinze ou vingt ans alors que le taux de motorisation a entre-temps drastiquement diminué. Au cours des dix dernières années, le taux de ménages sans voiture est passé de 20% à 25% dans l'ensemble du canton. (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) Le nombre de jeunes ayant un permis de conduire a quant à lui baissé de 10%. Néanmoins, l'exécutif ne souhaite pas revoir le règlement traitant du ratio de stationnement, on est donc en train de développer un quartier avec un ratio de 0,5 au PAV, ce qui représente, si vous faites le calcul, 6200 places de parking. A 80 000 francs la place, cela fait 500 millions.

Le président. Il vous faut terminer, Monsieur le député.

M. David Martin. Il serait peut-être bon de réfléchir à investir ces moyens de façon un petit peu plus cohérente. Nous demandons par conséquent le renvoi au Conseil d'Etat de son rapport, pour une réponse un peu plus ambitieuse en matière d'habitat sans voiture. Merci, Monsieur le président.

Mme Caroline Marti (S). Mesdames et Messieurs les députés, j'abonde dans le sens des propos de M. Martin et demande également un renvoi de ce rapport au Conseil d'Etat. Le parti socialiste regrette en particulier que le gouvernement refuse de revoir les ratios de stationnement prévus dans le règlement relatif au stationnement sur fonds privés. Il constate par ailleurs que le temps de l'aménagement est extrêmement long et que les décisions prises aujourd'hui seront en réalité mises en application d'ici cinq, dix, peut-être quinze ans ou plus; il est donc essentiel d'anticiper.

S'agissant de la question du stationnement, on est en mesure d'anticiper puisque l'on constate une tendance extrêmement lourde à la réduction non seulement du nombre de déplacements qui se font avec les transports individuels motorisés, mais également du nombre de ménages qui disposent d'une voiture privée. Cela répond aussi à une nécessité face à l'urgence climatique, et nous devons accompagner et encourager cette tendance. A ce titre, le groupe socialiste regrette que le Conseil d'Etat n'utilise pas le levier du stationnement pour justement inciter à renoncer à la voiture privée dans les quartiers du centre-ville, proches du centre-ville ou à proximité d'infrastructures de transports publics performantes.

Je voudrais également relever que ce rapport laisse entendre que c'est principalement dans les coopératives d'habitation que les habitants ont moins de voitures privées. C'est exact, on constate cette tendance: les habitants des coopératives ont très certainement beaucoup moins de voitures privées que les autres habitants du canton. Mais il ne faut pas croire pour autant que seuls les habitants des coopératives renoncent à la voiture privée: les statistiques démontrent que plus de 40% des ménages n'ont plus aujourd'hui de voiture au centre-ville de Genève.

Cette réponse de l'exécutif n'est pas à la hauteur des ambitions que l'on peut avoir et que nous souhaiterions pour ce canton afin de développer des quartiers où il fait véritablement bon vivre, où il y a plus de place pour les espaces publics, pour les espaces verts, pour des espaces de socialisation et un peu moins pour la voiture. Raison pour laquelle, je le répète, nous vous recommandons le renvoi au Conseil d'Etat. Je vous remercie.

M. François Lance (PDC). Mesdames et Messieurs les députés, pour le groupe PDC, la réponse du Conseil d'Etat convient parfaitement et est surtout réaliste par rapport à la situation sur le terrain. Nous aspirons tous à ce que la voiture soit moins utilisée dans la couronne urbaine, et les statistiques confirment cette évolution. Par contre, comme cela est dit dans la réponse du gouvernement, les communes ne désirent pas un report du stationnement sur le domaine public: il faut par conséquent prévoir un minimum de places de parc dans chaque projet de construction de nouveaux logements - quitte à en réduire ensuite le nombre, en concertation avec toutes les parties. Le département accorde d'ailleurs des dérogations lorsque la situation est pertinente. De plus, il est parfois difficile de déterminer à l'avance, dans un PLQ, quelles seront les entités qui construiront les bâtiments et pour quels types de logements.

Le plan d'action du stationnement 2020-2025 est en cours de rédaction: lors de son examen, la commission des transports aura tout loisir de revenir sur le sujet au moment opportun. Il est donc inutile de renvoyer ce rapport au Conseil d'Etat pour que celui-ci nous donne exactement la même réponse dans six mois, d'autant plus que le département a fourni cette semaine toutes les explications utiles lors de la dernière séance de la commission d'aménagement.

M. Stéphane Florey (UDC). Un renvoi au Conseil d'Etat ne servirait en effet à rien - s'agissant des chiffres, on voit que le parti socialiste s'amuse à les prendre et à les tourner dans le sens où il veut bien les comprendre. Ce qu'il faut surtout dire ici, c'est que si 40% des ménages n'ont effectivement pas de voiture privée, et c'est une réalité, cela ne signifie pas qu'ils n'ont pas de permis de conduire ou qu'ils ne roulent pas en voiture. Ils ont simplement d'autres façons d'employer la voiture, à savoir des abonnements Mobility ou ce genre de chose.

Maintenant, reste la grande question de vouloir diminuer sans cesse le nombre de places de stationnement. A l'époque, et il faut quand même le rappeler, on disait: «Oui, mais les HBM n'ont pas besoin de places de parc parce qu'ils n'ont pas les moyens de rouler en voiture.» C'est exactement ce que continue à faire aujourd'hui le parti socialiste: insinuer que parce qu'on habite des LUP, parce qu'on a de petits revenus, on ne devrait pas pouvoir rouler en voiture - c'est purement scandaleux.

Que ferons-nous, et à un moment ou à un autre on y arrivera, quand une majorité des automobilistes et même des utilisateurs de la route en général, par exemple les scooters, rouleront à l'électrique ? On assistera, quoi qu'on en dise ici, à une forte augmentation, exponentielle, de la circulation - ça fait quinze ans que j'entends dire qu'elle augmente de 20% à 30% par année: ces chiffres sont constants et encore d'actualité aujourd'hui. Mais que ferons-nous quand les voitures arrêteront véritablement de polluer ? On s'apercevra alors qu'on n'a pas assez de places de stationnement et il faudra de toute façon en construire de nouvelles. Autant continuer comme on le fait aujourd'hui, d'autant plus que des diminutions par rapport aux types d'habitations sont déjà possibles.

Et concernant les coopératives, il faut juste arrêter de rigoler ! Il y a une coopérative, à Genève, qui n'accepte que des habitants sans voiture: c'est stipulé dans le règlement que pour habiter là, vous devez vous engager à renoncer à avoir votre propre voiture. Si ça, ce n'est pas de la dictature, dites-moi ce que c'est ! Je vous remercie.

Mme Danièle Magnin (MCG). Je voudrais simplement vous dire ceci: nous sommes dans la situation évoquée par cette sorte de parabole de la grenouille qui ne savait pas qu'elle était cuite ! Je voudrais vous expliquer que petit à petit, l'oiseau fait son nid: on se demande bien sur quelle base légale on a supprimé toutes les places de parc qui l'ont été récemment.

On a entendu aujourd'hui à la radio que ces messieurs du Conseil d'Etat, je ne sais pas si c'était à l'unanimité, ont décidé de prolonger de soixante jours les engorgements qu'ils créent. On ne sait plus comment faire pour se rendre d'un endroit à l'autre de notre ville, tout simplement parce qu'il y a un lac qui la divise en deux, que celui-ci est prolongé par le Rhône et qu'il faut donc passer des ponts. Eh bien nous n'accédons plus aux ponts ! Ce matin, j'ai vu une colonne de voitures qui partait quasiment de la rue Dancet et du carrefour des Vingt-Trois-Cantons pour aller jusqu'à la gare, en direction de la gare - tout ça à cause d'une prétendue décision de faire circuler tout le monde à pied ou en transports publics, éventuellement à vélo. Ce n'est toutefois pas la volonté populaire et les Genevois vous le diront; c'est la raison essentielle pour laquelle nous allons prendre acte du rapport. Mais nous sommes dans une sorte de dictature: le gouvernement gouverne actuellement non pas par des projets de lois desquels on peut discuter mais par édits, comme dans les dictatures latino-américaines, et nous n'apprécions pas du tout cela.

Quant à savoir s'il y a moins de permis de conduire en Suisse, il semble qu'il y en ait 2% de moins, ce qui laisse encore 98% de personnes qui ont leur permis ! C'est absolument scandaleux d'alléguer qu'il n'y a plus d'intérêt pour la mobilité privée. Je vous signale que les constructeurs automobiles ont fait d'immenses progrès dans le volume de carburant nécessaire pour accomplir une distance x ou y. Ils ont également développé les moteurs électriques - des moteurs qui peuvent avoir des piles, oui, mais aussi des panneaux solaires - la récupération de l'énergie dans les roues, au freinage, etc. (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.)

Vouloir tout simplement supprimer un pan de l'industrie et de tout l'artisanat en lien avec la réparation des véhicules parce que certains ne les aiment pas, eh bien je vous le redis: c'est l'histoire de la grenouille qui ne savait pas qu'elle était cuite. C'est le moment de réagir pour ne pas vous laisser faire ! Mon père - mon regretté père - faisait toujours référence au moment où l'homme a dépassé la vitesse du cheval; eh bien vous voulez nous remettre à cette vitesse-là ou à celle du vélo. Vous voulez que les rues soient vides, mais je vous signale qu'elles ne l'ont jamais été...

Le président. Merci.

Mme Danièle Magnin. ...que nous avons construit des avenues non pas pour la décoration...

Le président. Merci, Madame la députée.

Mme Danièle Magnin. ...mais pour permettre les transports et pouvoir se déplacer, parce que sans déplacements...

Le président. Merci, c'est terminé.

Mme Danièle Magnin. ...il n'y a pas de commerce, il n'y a pas d'affaires.

Le président. Je passe la parole à M. Burgermeister. Avant qu'il commence, je voudrais toutefois rappeler aux députés que conciles et conciliabules sont les bienvenus dans les couloirs. Ce serait faire preuve de respect envers vos collègues que d'aller parler dehors. Merci. Monsieur Burgermeister, je vous cède maintenant le micro.

M. Jean Burgermeister (EAG). Merci, Monsieur le président. J'ai été avant tout très convaincu par les arguments du député Stéphane Florey, qui nous a expliqué que même les personnes qui aujourd'hui se déplacent en voiture ont des alternatives à la voiture individuelle, comme les voitures de location, etc.: cela va précisément dans le sens de cette motion et d'une réduction du nombre de places de parking par habitation.

Ensuite, j'aimerais lire un paragraphe de la réponse du gouvernement qui est, je trouve, très convaincant. Il écrit: «Le 4 décembre 2019, le Conseil d'Etat a décidé de déclarer l'urgence climatique. La limitation de la hausse des déplacements en transports individuels motorisés représente un enjeu majeur pour réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre et pour atteindre la neutralité carbone à l'horizon 2050. Le stationnement est un des leviers essentiels de la politique des déplacements, et il s'agit de définir et de mettre en oeuvre des stratégies cantonales ambitieuses pour répondre à ce défi.» Le Conseil d'Etat a parfaitement raison. Malheureusement, il en tire la conclusion qu'il est urgent de ne rien faire ! Il y a une dissonance entre ce qui est écrit dans les intentions et ce que le gouvernement présente comme solution, et je crains de plus en plus que sa politique environnementale se borne à faire des déclarations de principe sans les traduire par des pratiques qui permettent précisément d'atteindre les objectifs en matière de réduction des gaz à effet de serre.

J'entends certains arguments de la droite et je suis d'accord qu'il ne faut pas faire de la diminution du nombre de voitures une politique antisociale. De fait, je pense que ce n'est pas forcément le cas: il faut savoir que ce sont les milieux populaires qui sont les plus exposés à la pollution émise par les voitures. Ce sont souvent les gens issus des classes populaires qui vivent au bord des grandes artères routières et sont exposés à cette pollution, avec de sérieuses atteintes à la santé, y compris une diminution de l'espérance de vie.

Réduire le trafic automobile, c'est aussi permettre une meilleure qualité de vie dans les quartiers. Moins de voitures, n'en déplaise à la députée MCG, ce n'est pas rendre les rues vides mais au contraire les rendre plus vivantes ! Plus il y a de voitures et moins il y a de monde dans les rues: c'est lorsqu'on les supprime que plus de gens peuvent investir l'espace public. (Applaudissements.) Je vous demande donc également de renvoyer ce rapport au Conseil d'Etat.

Le président. Merci, Monsieur le député. La parole n'étant plus demandée, je vous fais voter sur la demande de renvoi au Conseil d'Etat de son rapport.

Mis aux voix, le renvoi au Conseil d'Etat de son rapport sur la motion 2530 est rejeté par 48 non contre 35 oui et 1 abstention.

Le Grand Conseil prend donc acte du rapport du Conseil d'Etat sur la motion 2530.