République et canton de Genève

Grand Conseil

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M 2332-A
Rapport du Conseil d'Etat au Grand Conseil sur la motion de MM. Romain de Sainte Marie, Georges Vuillod, Jacques Béné, Boris Calame, Thierry Cerutti, Jean-Marc Guinchard, Thomas Wenger, Roger Deneys, Serge Hiltpold, Patrick Lussi, André Pfeffer, Sandro Pistis pour une étude détaillée du chômage à Genève

Débat

Le président. Nous passons maintenant au rapport du Conseil d'Etat sur la motion 2332, de M. Jean Romain et consorts. Nous sommes en catégorie II, trente minutes. Je passe la parole à M. le député Romain de Sainte Marie.

M. Romain de Sainte Marie (S). Merci, Monsieur le président. C'était Romain de Sainte Marie, pas Jean Romain. Vous êtes allé un peu vite ! Mesdames et Messieurs les députés, cette motion, qui a été signée par la quasi-unanimité des membres de la commission de l'économie et qui a même été soutenue à l'unanimité, a fait un aller-retour entre le Conseil d'Etat et le Grand Conseil. Malheureusement, le rapport du Conseil d'Etat est, lui, refusé par l'unanimité des membres de la commission.

Cette motion ne demande rien qui soit a priori impossible. Je rappelle son invite unique: «à réaliser une étude détaillée du profil des personnes en recherche d'emploi, par secteur et par formation, ainsi que des besoins des employeurs par activité et par branche.» Le Conseil d'Etat a donné une réponse négative, qui - si on la synthétise - avance que mener une telle étude pour connaître les besoins des employeurs serait trop complexe, trop coûteux et, par conséquent, si l'on veut répéter cela à une certaine fréquence, impossible à réaliser, ou alors vraiment trop coûteux et trop complexe. C'est vraiment surinterpréter l'invite de cette motion: nous ne demandons pas une étude qui soit récurrente chaque année, cela peut être tous les trois, quatre ou cinq ans. Par ailleurs, en tant que membres de la commission de l'économie, nous aimerions quand même que ce Grand Conseil puisse obtenir des éléments factuels - c'est la raison pour laquelle cette motion a été déposée - concernant le chômage, l'adéquation avec la formation et les besoins des employeurs, et cela ne sert à rien de mener des études particulièrement longues et poussées pour obtenir ces éléments-là.

La commission de l'économie a procédé à plusieurs auditions qui ont permis de relever qu'il existe un vrai problème de coordination au sein de l'administration cantonale. Aujourd'hui, en refusant ce rapport, la commission de l'économie souhaite une chose: elle ne souhaite pas un nouveau rapport du Conseil d'Etat indiquant qu'il est trop lourd, trop long, trop fastidieux de mener une telle étude. Non, au-delà d'un nouveau rapport, nous attendons des actes du Conseil d'Etat, qui peuvent être très simples. Je vous donne un exemple: nous avons auditionné l'OCPM - l'office cantonal de la population et des migrations - ainsi que l'office cantonal de l'emploi, et nous nous sommes aperçus que les deux offices n'avaient pas la même nomenclature pour la dénomination de métiers et que, par conséquent, il est impossible de croiser les données de ces deux offices qui appartiennent à deux départements différents. Tout cela parce que dans une même administration, dans un même canton, nous n'avons pas les mêmes nomenclatures, les mêmes désignations de métiers. Il y a donc de la part du Conseil d'Etat un très sérieux travail de transversalité à réaliser, et plutôt que de donner une réponse négative à la motion de la commission de l'économie, nous attendons que le Conseil d'Etat fasse preuve de transversalité et qu'il présente au Grand Conseil un projet d'étude permettant une meilleure analyse des demandeurs d'emploi et de l'adéquation de la formation avec les besoins des employeurs. Je vous invite donc, Mesdames et Messieurs les députés, et c'est toute la commission de l'économie qui vous y invite - j'ose m'exprimer ainsi, d'autres commissaires le feront peut-être aussi - à refuser ce rapport et, par conséquent, à attendre du Conseil d'Etat, au-delà d'un nouveau rapport, des actes. Merci beaucoup.

M. Jacques Blondin (PDC). Je ne vais pas répéter tout ce qui vient d'être dit, puisque, cela a été précisé, il s'agit d'une motion de commission. Simplement, en tant que membre de la commission de l'économie, je me plais quand même à relever qu'il est difficile de réaliser un travail précis quand on est confronté à un manque d'informations crédibles provenant de diverses sources qui se contredisent les unes les autres. Nous avons donc effectivement besoin d'une analyse fiable qui nous permette de prendre des décisions correspondant à la réalité genevoise. Dans sa réponse, le Conseil d'Etat nous indique que la mise en place du dispositif d'enquête n'est pas envisageable au niveau du canton, partant du principe que, pour que les chiffres soient crédibles et que les enquêtes soient finançables, elles doivent être menées au niveau fédéral. On ne peut bien évidemment pas se satisfaire de cela, puisque nous traitons ici de problèmes genevois. Par ailleurs, lors des auditions, comme l'a relevé mon préopinant, on a surtout constaté qu'il existait un manque de coordination et qu'au sein des offices - cela nous a été dit de manière plus ou moins officielle - il manque un pilote dans l'avion, quelqu'un qui pourrait coordonner tout cela. Il est évident que le refus de ce rapport implique que l'on demande au Conseil d'Etat de nommer clairement un office ou une personne au sein des services qui soit responsable de l'ensemble de la problématique. Nous vous invitons également à renvoyer ce rapport. Merci.

M. Boris Calame (Ve), député suppléant. Quelle surprise de revenir parmi vous aujourd'hui avec cette motion datant de 2016, signée - comme l'a dit M. Romain de Sainte Marie tout à l'heure - quasiment par l'unanimité de la commission, renvoyée en juin 2016 au Conseil d'Etat par 86 oui et 2 abstentions, c'est-à-dire l'unanimité de notre parlement ! Puis vient un rapport du Conseil d'Etat, renvoyé en commission en janvier 2017 par 80 oui - unanimité du parlement - et qui ne contient à peu près rien ! On nous parle d'un coût d'un million. On nous parle de chiffres qui devraient être ceux du pays et non pas du territoire de la République et canton de Genève, alors même que notre réalité est un chômage de 3,8%, quand celui de la Confédération est à 2,1%. Nos réalités sont différentes; leur étude et leur lecture doivent être différentes. On ne peut pas toujours faire l'amalgame en disant que les statistiques nationales s'appliquent à Genève. C'est un problème du Conseil d'Etat et c'est aussi un problème du Grand Conseil, parce que nous n'avons pas le rapport de la commission de l'économie qui nous aurait permis de voir quelle est la problématique. M. Romain de Sainte Marie l'a dit: ce rapport doit être renvoyé au Conseil d'Etat pour que des solutions soient proposées. Trois ans d'attente pour une solution qui ne contient pas de solution et pas de réponse satisfaisante ! Les Verts soutiennent le renvoi au Conseil d'Etat. Je vous remercie. (Applaudissements.)

M. Thierry Cerutti (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, tout le monde a débattu aujourd'hui en relevant notamment que l'emploi est un vrai problème à Genève, comme on le sait. Le MCG se bat pour l'emploi des résidents genevois depuis 2005. Je vous rappelle que la préférence cantonale n'est plus un tabou puisqu'elle a été reprise par la Confédération et par différents cantons. Le rapport du Conseil d'Etat est effectivement général, et M. Romain de Sainte Marie l'a dit à juste titre, il existe un vrai problème de transversalité au sein des différents services de l'Etat. Ce n'est donc pas seulement le conseiller d'Etat chargé de l'emploi et de l'économie qui est responsable de cet état de fait, c'est l'ensemble du collège. Pour le MCG, l'emploi est une priorité, un travail est indispensable pour nos concitoyennes et concitoyens. Nous prenons donc acte du rapport et nous vous invitons également à renvoyer ce rapport au Conseil d'Etat.

M. André Pfeffer (UDC). Cette motion de la commission de l'économie a été utile. Comme les auditions l'ont montré, il existe réellement un manque flagrant de coordination entre les services. Dans ce domaine, il est possible de faire mieux et une amélioration est nécessaire. La réalisation d'un meilleur profil des demandeurs d'emploi est une nécessité et doit être exigée.

Pour ce qui est de la deuxième partie de l'invite demandant une étude détaillée des besoins des employeurs par activité et par branche, elle laisse certains commissaires sceptiques. Là, il y a une question de fond: est-ce à l'Etat de planifier et de fixer les besoins en main-d'oeuvre de nos entreprises, ou est-ce que l'Etat devrait se concentrer sur sa tâche principale, à savoir l'amélioration des conditions-cadres, la formation des jeunes, etc. ? S'agissant de la question des carences contenue dans la première partie de l'invite, le groupe UDC soutient également le renvoi de ce rapport au Conseil d'Etat. Merci.

M. Serge Hiltpold (PLR). Très brièvement, en complément à ce qui a été apporté par les autres commissaires, le groupe PLR soutiendra évidemment le renvoi au Conseil d'Etat, mais il n'est pas très rassuré s'agissant des résultats qu'il peut en attendre. Le grand problème de ce genre de rapports, c'est qu'ils sont toujours en retard - en raison de l'inertie due à la rédaction et au traitement politique - par rapport à l'économie qui a entre-temps changé. Ce qu'on peut constater de manière relativement pragmatique, et cela a été montré dans les diverses auditions que nous avons menées en tout cas à la commission des finances, c'est qu'il y a énormément de nouveaux métiers pour lesquels il n'existe pas encore de formation, notamment dans les domaines de l'ingénierie thermique, du chauffage et de la ventilation, et tout ce qui concerne l'assainissement dans le domaine de l'énergie. Maintenant, on se trouve à un stade où les HES, en collaboration avec les milieux professionnels, sont en train de créer des formations. C'est donc une piste d'avenir, mais cela ne va pas développer l'emploi à court terme. Le temps que la formation soit mise en place et que les personnes soient formées, on trouvera une solution pour ces métiers dans cinq ou six ans. Le rapport est à nuancer avec la réalité, à savoir que, quoi qu'on en dise, quoi qu'on fasse, il existe un besoin de main-d'oeuvre étrangère ou confédérée pour pallier ces problèmes - et ce n'est pas si simple que cela. Je ne crois pas qu'un rapport réglera tous les problèmes. En revanche, nous soutiendrons le renvoi de ce rapport au Conseil d'Etat. Merci.

M. Mauro Poggia, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, le Conseil d'Etat accepte évidemment que vous lui renvoyiez son rapport pour tenter de vous donner satisfaction. Il entend néanmoins relever que l'invite qui lui est adressée comporte deux volets. Le premier porte sur la réalisation d'une étude détaillée du profil des personnes en recherche d'emploi. Nous avons effectivement ces données et elles sont aussi à votre disposition. Il faut savoir que les banques de données ne sont pas toujours compatibles; elles sont parfois mises à disposition par les autorités fédérales, ce qui veut dire que la nomenclature est une nomenclature fédérale, avec des termes désignant les professions qui sont aujourd'hui dépassés par rapport à l'évolution de ces mêmes professions. Néanmoins, nous pouvons effectivement travailler sur cet aspect, et nous y travaillons, puisqu'une délégation du Conseil d'Etat à l'économie et à l'emploi travaille avec l'office cantonal de la statistique pour tenter de faire parler les chiffres dont nous disposons. Nous avons en effet une multitude de données provenant de différents offices ou entités de droit public, et malheureusement, ces chiffres ne sont souvent pas interprétés comme ils devraient l'être. Ils sont utilisés par les entités qui les produisent, mais ils ne sont pas mis ensuite en comparaison et croisés avec les données d'autres secteurs.

Il va de soi qu'établir un profil des personnes en recherche d'emploi impliquerait - et le Conseil d'Etat est plus ambitieux - de savoir aussi quand nos entreprises vont chercher des compétences qu'elles ne trouvent pas sur place et quel type de compétences. Parce que, et c'est important de le savoir, jusqu'à aujourd'hui, malheureusement, vous le savez, les travailleurs frontaliers ne sont pas au bénéfice d'un réel permis, même si on l'appelle de manière impropre le permis G: c'est une déclaration, lorsqu'ils viennent travailler. Il n'existe aucune entrave à ce que ces personnes, si elles viennent de l'Union européenne, soient actives sur le territoire genevois: elles informent l'autorité de leur salaire et de leur employeur, et il n'y a pas de contrôle en amont de la conformité du salaire par rapport aux conventions collectives, ce qui est réalisé n'est qu'un contrôle ponctuel en aval. Surtout, le problème réside dans le fait que le permis est valable cinq ans et qu'aujourd'hui les personnes changent d'emploi et de secteur professionnel sans en informer l'autorité, de sorte qu'on obtient des chiffres approximatifs du nombre de permis frontaliers délivrés et du nombre de personnes actives, parce que, nous le savons, une quantité de permis se retrouvent sur le marché - si vous me passez cette expression - mais ne sont pas utilisés pour certaines raisons. Tout cela va changer à partir du mois de juillet de l'année prochaine, puisque avec les nouveaux permis biométriques, la Confédération exige que le nom de l'employeur apparaisse sur le permis délivré, y compris des permis G. Cela impliquera évidemment, pour les travailleurs frontaliers, de venir faire corriger le permis pour inscrire le nouveau nom de l'employeur, ce qui permettra des contrôles et surtout une prise de statistiques beaucoup plus efficace.

En ce qui concerne le deuxième volet de l'invite, évaluer les besoins des employeurs par activité et par branche, bien sûr, tout cela est réalisable, mais uniquement en allant consulter les entreprises elles-mêmes. Alors qui mieux que les entreprises patronales sont à même de savoir quels sont les besoins des entreprises ? Savent-elles elles-mêmes quels sont les besoins sur cinq ou dix ans ? Pas forcément: le marché évolue, et ce parfois extrêmement vite. Or l'adaptabilité d'une entreprise est sa qualité première pour survivre dans une concurrence mondiale de plus en plus difficile. Il est vrai que nous pouvons procéder à ce questionnement. Nous ne pouvons pas le faire par échantillonnage, ce serait insuffisant: questionné, le directeur de l'office cantonal de la statistique a précisément indiqué que la demande formulée dans l'invite est peu compatible avec un échantillonnage. Il faudrait donc aller dans un degré de granularité plus fin, ce qui impliquerait de demander à nouveau à l'ensemble des entreprises du canton de répondre à des formulaires. Or la dernière fois que nous leur avons demandé, dans le cadre de la délégation du Conseil d'Etat à l'économie et à l'emploi, si elles considéraient qu'elles étaient trop sollicitées, elles nous ont répondu qu'elles recevaient trop de demandes de toutes sortes pour remplir des formulaires. Vous souhaitez que nous leur fassions à nouveau remplir un formulaire. La réussite de la démarche, indépendamment de son coût bien sûr, dépendra de la perception qu'auront les destinataires de cette nouvelle enquête et de sa justesse. Je vous remercie.

Le président. Merci bien. Mesdames et Messieurs les députés, je vous fais donc maintenant voter sur le renvoi au Conseil d'Etat de son rapport.

Mis aux voix, le renvoi au Conseil d'Etat de son rapport sur la motion 2332 est adopté par 84 oui (unanimité des votants).

Le rapport du Conseil d'Etat sur la motion 2332 est donc refusé.