République et canton de Genève

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PL 12262-A
Rapport de la commission des affaires sociales chargée d'étudier le projet de loi du Conseil d'Etat modifiant la loi en matière de chômage (LMC) (J 2 20) (allocation cantonale complémentaire - allocation-pont)
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session IX des 28 février et 1er mars 2019.
Rapport de majorité de Mme Jocelyne Haller (EAG)
Rapport de minorité de Mme Ana Roch (MCG)
M 2440-A
Rapport de la commission des affaires sociales chargée d'étudier la proposition de motion de Mmes et MM. Frédérique Perler, Guillaume Käser, Boris Calame, François Lefort, Yves de Matteis, Delphine Klopfenstein Broggini, Mathias Buschbeck, Jocelyne Haller, Claire Martenot, Olivier Baud, Christian Frey, Roger Deneys, Nicole Valiquer Grecuccio pour la création d'une rente-pont en faveur de personnes proches de l'âge de la retraite ayant épuisé leur droit aux indemnités de chômage
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session IX des 28 février et 1er mars 2019.
Rapport de majorité de Mme Jocelyne Haller (EAG)
Rapport de minorité de Mme Ana Roch (MCG)

Premier débat

Le président. Nous abordons à présent le PL 12262-A et la M 2440-A en catégorie II, quarante minutes. La parole est à Mme Jocelyne Haller, rapporteuse de majorité.

Mme Jocelyne Haller (EAG), rapporteuse de majorité. Je vous remercie, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, l'examen d'un projet de rente-pont ou d'allocation-pont à Genève est une première particulièrement attendue par de nombreux milieux. Le PL 12262 a été traité en même temps que la M 2440 de Mme Perler, qui demande l'instauration d'une rente-pont sur le modèle vaudois. Il faut préciser que ces travaux ont largement devancé le processus parlementaire concernant le projet du Conseil fédéral relatif à l'introduction d'une rente-pont pour les chômeurs en fin de droit dès l'âge de 60 ans, allouée aux ayants droit jusqu'à concurrence du montant correspondant aux prestations complémentaires fédérales. A noter que le Conseil fédéral a décidé d'aller de l'avant à ce propos et que les sénateurs devraient se prononcer en décembre prochain sur cet objet. Il apparaît dès lors que l'allocation-pont telle que prévue par le PL 12262 fait pâle figure face au projet du Conseil fédéral ou au PL 12567, déposé fin août dernier, instaurant une rente-pont à Genève pour les demandeurs d'emploi dès 57 ans révolus.

S'agissant des deux textes parlementaires dont nous débattons aujourd'hui, j'évoquerai tout d'abord le contenu de la M 2440, qui a devancé de quelques mois le PL 12262 du Conseil d'Etat. Cette dernière invite très clairement le gouvernement à élaborer un projet de rente-pont s'inspirant du système vaudois pour les chômeuses et chômeurs en fin de droit proches de l'âge de la retraite légale. Cette motion a été soutenue par les partis de l'Alternative et le PDC, tandis que le projet de loi a pour sa part été rejeté avec un score assez sévère, puisque hormis le MCG et l'UDC, tous les groupes ont refusé d'entrer en matière sur cet objet. Il faut relever à cet égard que tant l'UAPG que les syndicats se sont inscrits en faux contre ce projet de loi, qui prévoit deux mesures phares.

La première institue une allocation cantonale complémentaire de chômage intitulée A50+, une disposition qui devrait, dans l'esprit de ses instigateurs, favoriser l'engagement des chômeurs âgés de plus de 50 ans au bénéfice d'une décision d'octroi d'une allocation d'initiation au travail - AIT. Cette mesure permettrait d'allonger de six mois l'AIT, dont la durée passerait ainsi de douze à dix-huit mois; il s'agit concrètement d'une participation de six mois supplémentaires au salaire du chômeur de l'ordre de 40%. Je rappelle toutefois que pour qu'un chômeur puisse bénéficier d'une AIT, il faut qu'il ait été formellement engagé par une entreprise. Dans ces conditions, il paraît particulièrement inadapté de prolonger ladite allocation. La majorité n'a pas été convaincue par cette proposition, estimant que la durée actuelle de l'AIT - soit douze mois - suffit amplement pour déterminer si un collaborateur fait l'affaire ou non. Elle considère que ces six mois supplémentaires sont artificiels et inutiles; ils ne sont pas dans l'intérêt de la personne en emploi et risquent en outre de provoquer un effet d'aubaine pour les employeurs.

La seconde mesure, quant à elle, concerne l'institution d'une allocation-pont pour les chômeurs ayant épuisé leur droit à l'assurance-chômage. Cette allocation, perceptible sur les trente-six mois qui précèdent l'âge légal de la retraite, aurait une durée totale de dix-huit mois au maximum. (Le président agite la cloche pour indiquer que l'oratrice parle sur le temps du groupe.) Elle serait calculée sur la base de la dernière indemnité journalière de chômage et ne serait absolument pas soumise à des conditions liées au revenu. Si le projet ne fixe pas de plancher pour cette allocation, puisque son montant dépend des dernières indemnités de chômage perçues, qui pourraient être très modestes, il définit en revanche un plafond de 4000 francs, selon les indications du département.

Cette allocation présente une autre caractéristique: le chômeur ou la chômeuse de 62 ou 63 ans devra poursuivre ses recherches d'emploi et en fournir la preuve, puisque cette nouvelle prestation repose sur le postulat que même si cela peut sembler difficile, il reste toujours possible de trouver du travail après 62 ou 63 ans.

Quant à la non-couverture de la totalité des trente-six mois, elle est destinée à inciter les personnes à continuer de chercher un emploi. Elle vise également - et c'est quand même paradoxal - à éviter d'éventuels abus commis par des employeurs qui seraient tentés de licencier des collaborateurs à trois ans de la retraite sous prétexte qu'ils pourraient bénéficier de cette allocation-pont. J'en profite pour relever que ce ne sont pas des bellicistes forcenés qui ont établi cette cautèle, mais bien le Conseil d'Etat.

Les dix-huit mois d'allocation ne seraient pas forcément versés de façon linéaire: ils pourraient être modulés, de sorte qu'un chômeur ou une chômeuse en fin de droit pourrait percevoir pendant trente-six mois la moitié de ses dernières indemnités.

Cette mesure vise à valoriser le travail en incitant les personnes concernées à rester sur le marché de l'emploi. D'après les indications fournies par le département, elle représenterait une somme relativement modeste, soit environ six millions, car elle ne toucherait qu'un nombre extrêmement limité de potentiels bénéficiaires. Selon le département, elle serait d'autant plus envisageable que des économies ont d'ores et déjà été réalisées sur l'allocation de retour en emploi - ARE - dont la durée a été diminuée.

Quelques péripéties ont émaillé les travaux de la commission: à un moment donné, l'allocation-pont a été supprimée du projet de loi - ce qui le vidait quasiment de la moitié de sa substance - puis réintégrée, pour finalement être rejetée avec l'ensemble du texte.

Une autre particularité mérite quand même d'être relevée, à savoir l'intégration par le département d'un amendement qui introduirait une brèche importante dans le principe de subsidiarité et créerait un précédent non négligeable qui, outre le fait qu'il ouvrirait la porte à une inégalité de traitement, ébranlerait drastiquement le principe de l'aide sociale. En effet, il faut le rappeler, certaines personnes n'ont pas le choix et doivent sortir de l'aide sociale à tout prix, quitte à accepter un travail pénible et sous-payé, alors qu'avec l'allocation-pont les bénéficiaires pourraient soudain choisir entre ces deux régimes celui qui leur conviendrait le mieux. Il a été dit que cette allocation viserait à faire sortir un certain nombre de personnes de l'aide sociale, or à considérer le dernier montant des indemnités de chômage, on peut supposer qu'il pourrait y avoir un cumul des deux prestations - allocation-pont et aide sociale - pour ceux qui se trouvent au-dessous des normes de l'aide sociale.

S'il fallait retenir un point saillant des travaux sur la M 2440 et le PL 12262, ce serait indubitablement la préoccupation - partagée par tous les membres de la commission - relative à la question du chômage, en particulier celui qui touche les travailleurs seniors, et la nécessité de leur offrir une alternative autre que l'aide sociale. (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.)

Enfin, les experts - au rang desquels on peut sans conteste ranger la Conférence suisse des institutions d'action sociale - estiment que les prémisses de ce projet de loi et de cette allocation devraient être reconsidérées, notamment en ce qui concerne la durée des prestations, leur montant et l'âge d'entrée en matière.

Pour toutes ces raisons, la majorité de la commission vous invite à refuser le PL 12262 et à soutenir en revanche la M 2440. Je vous remercie de votre attention.

Mme Ana Roch (MCG), rapporteuse de minorité. Les motionnaires invitaient le Conseil d'Etat à élaborer un projet de rente-pont pour les demandeurs d'emploi en fin de droit proches de l'âge de la retraite. Le gouvernement a répondu à cette requête par le PL 12262, qui introduit une allocation complémentaire et un prolongement de six mois pour l'AIT.

La gauche a été très réticente à l'égard de l'allocation-pont, car elle estime que sa limitation à dix-huit mois la rend insuffisante et, selon elle, incapable de garantir une prestation jusqu'à la retraite. Quant à la droite, elle a émis des doutes concernant l'efficacité de ces prestations en invoquant l'argument selon lequel elles seraient coûteuses sans garantir de résultats. Si le Conseil d'Etat a essayé de tenir compte de ces critiques dans son projet, il n'a pu trouver de meilleure solution. Etant donné l'importance du sujet, il a préféré proposer une allocation rente-pont afin que nous puissions apporter un soutien plutôt que d'abandonner le projet de loi.

En effet, augmenter l'allocation rente-pont - et donc sa portée ainsi que son coût - par l'institution d'une allocation à hauteur de 4000 francs par mois sur trente-six mois aurait des effets pervers, évoqués tout au long des séances de commission. Cela induirait une situation proche de celle de la France: les départements de Rhône-Alpes et d'Auvergne, par exemple, ont un nombre considérable d'allocataires pour des montants tout aussi importants, et seuls 15% des personnes de plus de 60 ans travaillent dans la région. Ces prestations étant sans limitation dans le temps, cette catégorie de la population n'a aucun intérêt à chercher un emploi. C'est bien une situation que nous ne désirons en aucun cas voir à Genève ! Les seniors ne doivent pas croire qu'ils sont une cause perdue sur le marché de l'emploi. La solution qui nous est proposée est respectueuse des travailleurs, car elle représente une mesure d'insertion et non d'aide sociale.

La gauche persévère dans une politique de terre brûlée en refusant ces mesures, bien qu'elles puissent être adaptées tout au long de leur application pour répondre au mieux aux besoins du terrain. Elle estime en effet, contre toute évidence, que ce projet de loi n'est pas abouti et que les allocations constituent un cadeau fait aux entreprises.

La minorité souligne qu'une demi-mesure est tout de même une mesure, bien qu'imparfaite. Donnons à ce dispositif innovant sa chance afin de voir si les entreprises sont preneuses des six mois supplémentaires pour l'allocation. Il convient en outre de mentionner que des dispositions légales claires prévoient un bilan après deux ans de mise en oeuvre. Le travail parallèle de l'office de l'emploi auprès des employeurs reste nécessaire, mais deux ans suffisent largement pour évaluer l'efficacité de la mesure.

Relevons encore que ce dispositif est très intéressant, notamment pour les personnes en reconversion professionnelle, car il permet d'intervenir en douceur. Il ne faut pas considérer la rente-pont comme une demi-mesure ! Rappelons-nous également qu'elle est très attendue par la population concernée, qui souffre de la situation actuelle.

Certains souhaiteraient scinder le projet de loi en deux, mais cela demanderait d'en retirer un certain nombre d'articles et de recommencer le processus. Le but étant de proposer plusieurs mesures non seulement pour combler un manque à gagner, mais aussi pour favoriser l'employabilité des 50 ans et plus. (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) La minorité pense que le principe visant à accorder une allocation d'une durée de dix-huit mois au lieu de trente-six mois permet de préserver l'autonomie et la responsabilité individuelle des chômeurs. Ajoutons que les six mois supplémentaires par rapport aux douze mois des AIT de la Confédération ont été proposés pour que les employeurs ne fassent pas un acte de charité lorsqu'ils décident d'embaucher une personne éloignée du marché du travail qui ne serait pas à la hauteur de leurs attentes. Il ne s'agira pas d'une subvention aux entreprises, car des contrôles seront mis en place afin d'éviter de potentielles dérives.

Au vu de ce qui précède, le MCG demande que ce projet de loi soit renvoyé à la commission de l'économie pour qu'il puisse éventuellement être modifié puis accepté. Merci.

Le président. Merci bien. Je passe la parole à la rapporteuse de majorité sur cette demande de renvoi en commission.

Mme Jocelyne Haller (EAG), rapporteuse de majorité. Je vous remercie, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, ce renvoi n'a aucun sens ! C'est la commission des affaires sociales qui a réalisé les travaux sur ces objets, et il s'agit de mesures non pas économiques, mais de politique sociale. Je rappelle que c'est vous-mêmes, dans ce parlement, qui avez voulu que ce soit la LIASI qui s'applique pour les chômeurs en fin de droit plutôt qu'un autre dispositif...

Le président. Je vous remercie, Madame Haller !

Mme Jocelyne Haller. Nous refuserons donc ce renvoi en commission.

Le président. Merci bien. Nous allons maintenant nous prononcer sur la demande de Mme Ana Roch.

Mis aux voix, le renvoi du rapport sur le projet de loi 12262 et la proposition de motion 2440 à la commission de l'économie est rejeté par 37 non contre 35 oui.

Le président. Nous continuons le débat et je passe la parole à M. Murat Julian Alder.

M. Murat Julian Alder (PLR). Merci beaucoup, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, comme le disait l'ancien président du Conseil d'Etat François Longchamp, «une politique sociale ne se mesure pas au nombre de personnes qui touchent une prestation sociale mais, au contraire, au nombre de celles qui n'en ont plus besoin». Nous ne sommes naturellement pas insensibles au sort des personnes qui ne demandent qu'à se réinsérer sur le marché de l'emploi, et c'est notre rôle de créer les conditions favorables à cette fin, mais instaurer de nouvelles allocations, de nouveaux arrosoirs à prestations sociales, comme nous savons si bien le faire dans notre canton, n'est pas une solution. C'est le lieu de rappeler que l'Etat social genevois est le plus obèse de Suisse, sans oublier la propension de la Ville de Genève en particulier à s'ériger en Etat socialiste dans l'Etat social. (Remarque.)

Le conseiller fédéral Alain Berset a récemment présenté un projet de rente-pont fédéral qui aurait vocation à déployer des effets uniformément dans toute la Suisse. Il est dès lors exclu pour notre groupe de mettre en place des prestations sociales supplémentaires, lesquelles viendraient s'ajouter à celles que le législateur fédéral aura élaborées. Voilà pourquoi nous refuserons ce projet de loi et cette motion. Je vous remercie de votre attention.

M. Daniel Sormanni (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, à mon sens on est face à un projet de loi qui apporte un progrès, et pourtant aussi bien la droite que la gauche de ce parlement le refusent. On a de la peine à comprendre cette attitude ! Je crois que des deux côtés on veut maximiser les choses. Ce n'est pas assez pour les uns, tandis que c'est trop pour les autres. Je pense pour ma part qu'il faut justement prendre un certain nombre de mesures, dans un contexte où certains ici - notamment les jeunes PLR - désirent augmenter l'âge de la retraite, alors que les gens perdent leur emploi bien avant. (Commentaires. Brouhaha.) C'est totalement inconsistant !

Mesdames et Messieurs, le Conseil fédéral a effectivement saisi cette opportunité et souhaite précisément mettre le turbo, comme il le dit, s'agissant de l'introduction d'une rente-pont. En conséquence, la meilleure chose à faire consiste à renvoyer ces deux textes en commission - et j'en refais la demande - pour que l'on réétudie tout ça à l'aune du projet fédéral et de ce que Genève peut faire. Je redemande donc formellement le renvoi aussi bien du projet de loi que de la motion à la commission de l'économie. Merci.

Des voix. De l'économie ? (Commentaires.)

Une voix.  Ça a déjà été demandé !

M. Daniel Sormanni. Oui, je l'ai dit ! Deux fois !

Le président. Monsieur Sormanni, vous êtes sûr que vous voulez renvoyer ces objets à la commission de l'économie ?

M. Daniel Sormanni. Oui !

Le président. D'accord. Je passe la parole à Mme Haller sur cette demande de renvoi en commission.

Mme Jocelyne Haller (EAG), rapporteuse de majorité. Comme je l'ai dit tout à l'heure, c'est une mauvaise idée, qui n'a aucun sens ! Il s'agit simplement d'une tactique permettant de voir si plus de députés sont présents dans la salle. Je refuse donc le renvoi en commission.

Le président. Bien. Je vais mettre une nouvelle fois aux voix cette demande de renvoi en commission.

Mis aux voix, le renvoi du rapport sur le projet de loi 12262 et la proposition de motion 2440 à la commission de l'économie est rejeté par 46 non contre 42 oui.

Le président. Le débat se poursuit et je donne la parole à Mme Léna Strasser.

Mme Léna Strasser (S). Merci, Monsieur le président. Le groupe socialiste en est convaincu, le fait qu'à 50 ans on soit aujourd'hui considéré comme trop âgé par de nombreux employeurs doit être une source de préoccupation. Il est également convaincu qu'il faut des mesures pour endiguer cette problématique. Mais les responsables de cette exclusion des plus de 50 ans du marché du travail ne sont pas les candidats et candidates à l'emploi qui, dans leur écrasante majorité - malgré ce qu'on a pu entendre en commission - ne souhaitent qu'une chose: retourner sur le marché du travail jusqu'à leur retraite. En effet, l'emploi, en plus d'amener un salaire, constitue une reconnaissance et permet de s'intégrer dans la société. Etre exclu du monde du travail après 50 ans représente donc plus qu'un manque à gagner financier: c'est une identité professionnelle qui est remise en cause.

Le projet de loi proposé par le Conseil d'Etat est un dragon à deux têtes: la première, l'allocation cantonale complémentaire, a été surnommée «oreiller de paresse pour les entreprises» par des commissaires assis bien plus à droite que moi, c'est dire si la mesure n'atteint pas sa cible. La deuxième, l'allocation-pont, porte mal son nom dans ce texte. Elle y est réduite à un rondin de bois glissant et trop court pour rejoindre l'autre rive: elle soutient les premiers pas des personnes ayant épuisé leur droit au chômage dans les trois ans précédant la retraite, mais les laisse en plan au milieu de la traversée si leur recherche n'aboutit pas. Ils et elles ont besoin d'un réel soutien leur permettant de continuer à chercher du travail dans des conditions dignes, non d'une stigmatisation supplémentaire.

Vous l'aurez compris, ce projet de loi nous semble une fausse réponse. Nous le refuserons donc, tout en soutenant la M 2440 ainsi que le projet de loi déposé par les syndicats et l'Alternative. Merci. (Applaudissements.)

Mme Frédérique Perler (Ve). Les interventions des rapporteuses de majorité et de minorité étaient très exhaustives, je ne vais donc pas y revenir. J'aimerais simplement relever que si l'on souhaite mettre en place une véritable politique sociale, Monsieur le président, il existe deux moyens de le faire: soit on présente des mesures pour pouvoir dire qu'on agit, soit on propose un dispositif cohérent et viable. En l'occurrence, le dispositif qui nous est soumis ici ne l'est pas ! On nous propose en effet une demi-rente-pont qui nous laisse un sentiment d'inachevé, puisque à la moitié de ces fameux trente-six mois - soit après dix-huit mois - il n'y a plus moyen d'atteindre l'autre rive pour les chômeurs en fin de droit. Ceux-ci devront donc, après avoir fait plouf, nager très péniblement pour rejoindre la rive opposée. Il n'est pas correct de faire de telles propositions ! Cela dit, je ne vais pas m'étendre sur cette mesure, car celles et ceux qui ont lu le projet de budget 2020 auront observé qu'elle est abandonnée au profit du dispositif à l'étude au niveau fédéral. Ce dernier souffre certes de quelques défauts, mais il n'y a pas lieu d'en débattre ici.

S'agissant de la proposition consistant à prolonger de six mois le versement d'une part du salaire, eh bien je suis vraiment navrée, chers collègues, mais si douze mois ne suffisent pas pour évaluer la capacité d'un travailleur ou d'une travailleuse, je ne vois pas en quoi le fait d'ajouter six mois entraînera une plus grande efficacité. Nous vous invitons donc à refuser ce projet de loi et à accepter naturellement la motion déposée par le groupe des Verts. Celle-ci garde effectivement toute sa pertinence, puisqu'elle va aussi permettre d'appuyer le projet de loi de la gauche actuellement à l'étude à la commission des affaires sociales, qui lui représente notre vision d'une rente-pont. Je rappelle du reste qu'elle est nécessaire ! Si le Conseil fédéral s'est activé sur cette question, c'est bien qu'il considère qu'il s'agit d'une préoccupation d'actualité - il la présente d'ailleurs ainsi - qui vise à combler une lacune dans notre système de politique sociale. Voilà qui démontre bien l'urgence de mettre en place un tel dispositif, chers collègues ! On ne va toutefois pas attendre cinq ou six ans que les Chambres fédérales terminent leur travail: notre proposition est déjà en cours d'examen.

Pour toutes ces raisons, je vous invite à rejeter sèchement ce projet de loi et à adopter la motion signée par différents groupes, dont les Verts. Je vous remercie. (Applaudissements.)

Mme Patricia Bidaux (PDC). Mesdames les députées, Messieurs les députés, la gravité de la problématique du chômage des personnes de plus de 50 ans n'a à aucun moment été remise en question, et elle ne l'est pas plus aujourd'hui. Cela dit, le projet de loi tel que proposé - dont la commission des affaires sociales a longuement discuté - n'a pas convaincu le PDC. L'allocation cantonale complémentaire destinée aux chômeurs de plus de 50 ans au bénéfice d'une décision d'octroi d'une allocation d'initiation au travail permettrait certes de prolonger la durée de l'AIT de six mois, mais les situations exigent bien plus qu'une solution aussi simple que ces six mois supplémentaires. En conclusion, ce projet de loi n'est qu'une pâle réponse aux recommandations émises par la Conférence suisse des institutions d'action sociale en 2018, de sorte que le PDC comme la majorité de la commission le refuseront en l'état et vous invitent à faire de même.

S'agissant de la M 2440, tous les partis ont relevé que la question du chômage - en particulier celui qui touche les seniors - représentait une réelle préoccupation. Le PDC souhaite donc une prise en considération de cette problématique. La motion qui vous est proposée confirme la nécessité de trouver une solution genevoise qui constitue un vrai plus pour les seniors au chômage proches de la retraite.

Le Conseil fédéral - on en a parlé - a adopté le 30 octobre dernier le message et le projet de nouvelle loi fédérale sur les prestations transitoires pour les chômeurs âgés. Il s'agit donc bien d'une urgence, mais même si la Confédération est ouverte au projet susmentionné, sa réalisation au niveau fédéral demandera du temps. La M 2440 permettrait dès lors à Genève de prendre de l'avance, raison pour laquelle le PDC l'acceptera et vous remercie d'en faire autant.

Une voix. Très bien ! Bravo !

M. François Baertschi (MCG). On se trouve ici face à deux visions de la société. Il y a d'abord l'assistanat absolu de la gauche, cette conception du monde où chacun doit être assisté d'une manière ou d'une autre, où l'Etat est omniprésent, tout-puissant et partout. Cette approche, que la gauche défend, n'est pas celle du projet de loi. Il y a d'autre part la vision de la droite qui, elle, demande que l'on n'apporte absolument aucune amélioration dans le domaine social. Voilà la demande de la droite ! Quant à la rapporteure de majorité, elle me fait un peu penser à Beckett et son «En attendant Godot»: elle attend une hypothétique loi utopique, qui de toute manière ne trouvera pas de majorité dans ce parlement. Elle attend aussi des dispositions fédérales, qui arriveront quand elles arriveront, si par hasard elles arrivent un jour... Espérons, on peut toujours rêver !

On se trouve donc dans une situation où deux extrêmes s'autodétruisent par leur côté dogmatique - une droite irresponsable, une gauche qui l'est tout autant. C'est cet ensemble qui nous mène droit dans le mur, alors qu'actuellement il y a des personnes de plus de 50 ans qui souffrent, qui sont écartées du marché du travail, qui sont mises de côté et qu'il faut à tout prix intégrer. (Le président agite la cloche pour indiquer qu'il reste trente secondes de temps de parole.) Or ce projet de loi, même s'il n'est pas parfait - et personne n'a dit qu'il l'était - permet d'aller en partie dans la bonne direction. Heureusement, deux groupes parlementaires - le MCG et l'UDC - souhaitent se diriger vers un progrès, mais les autres groupes, que demandent-ils ? Ils restent dans des postures idéologiques et ne pensent pas du tout à la population ! Ils ne pensent pas du tout aux chômeurs en fin de droit, aux chômeurs de plus de 50 ans qui se trouvent dans des situations catastrophiques. Pensez à eux et votez ce projet de loi car, même s'il n'est pas parfait, il permet un progrès. Merci, Monsieur le président.

M. André Pfeffer (UDC). La situation du chômage est effectivement grave à Genève. D'après les données du SECO, le taux de chômage genevois se monte à 4,8%. Il s'agit quand même du taux le plus élevé de Suisse ! Cela dit, si l'on se base sur les critères européens, soit les mêmes critères qu'applique la France, notre taux de chômage atteint 11,8%. A titre de comparaison, le taux de chômage en France voisine est inférieur à celui que nous connaissons à Genève, dans la mesure où il s'élève seulement - enfin, c'est tout de même conséquent ! - à 6,9%, ce qui correspond pratiquement à un tiers de moins que chez nous. En plus de cela, notre canton compte 5000 chômeurs seniors, soit de 50 ans et plus, qui sortent du dispositif du chômage chaque année et dont une partie va à l'aide sociale.

La situation est donc grave et demande une réaction. Mais dans quel sens faut-il réagir ? Je rappelle qu'il existe effectivement la possibilité - c'est ce qui nous est proposé aujourd'hui - d'augmenter continuellement les aides et les subsides. On parle maintenant de rente-pont, etc. Mais on pourrait aussi opter pour la deuxième solution, qui consiste à agir sur le marché du travail. Pour sa part, l'UDC suggère plutôt d'étendre la préférence cantonale. Il faut savoir en effet qu'il se crée chaque année à Genève entre 8000 et 10 000 postes de travail, de sorte qu'il n'est pas normal, avec une économie aussi florissante et dynamique que la nôtre, que notre taux de chômage ne baisse pas - et surtout qu'il soit supérieur à celui de la France voisine. En conséquence, l'UDC propose plutôt de s'attaquer au marché de l'emploi et d'étendre la préférence cantonale de manière plus significative et plus efficace. Merci.

Une voix. Bravo !

Une autre voix. Oui, bravo !

M. Mauro Poggia, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, nous venons d'assister à une remarquable expression de ce que j'appellerais l'hypocrisie politique. Tout le monde constate le problème et reconnaît que nos demandeurs d'emploi de plus de 50 ans sont prétérités sur le marché du travail, mais on ne parvient pas à s'accorder sur la manière d'agir. Le seul vainqueur de ce débat, Mesdames et Messieurs, sera l'inertie. Quant aux seuls perdants, ce seront ces demandeurs d'emploi de plus de 50 ans, qui attendent que l'on fasse un pas. Le projet de loi déposé par le Conseil d'Etat n'est certes pas parfait, puisque nous pourrions faire davantage, comme toujours, mais il constitue un pas dans la bonne direction.

Ce projet se décline en deux variantes qui se complètent. La première, qui s'adresse aux plus de 50 ans, consiste à ajouter six mois de prestations cantonales aux douze mois d'allocation d'initiation au travail pris en charge par la Confédération. A cet égard, j'ai entendu dire - et cela sur les bancs de la gauche - que si un employeur n'arrivait pas à savoir au bout de douze mois si la personne engagée faisait l'affaire, il ne servait à rien de prolonger la mesure de six mois. Il faut rappeler que l'allocation d'initiation au travail n'est pas accordée par la Confédération dans le cadre de la loi sur l'assurance-chômage pour permettre à l'employeur d'apprécier l'adéquation au poste de la personne engagée: elle vise précisément à donner à cette dernière les moyens nécessaires pour se remettre à niveau, soit dans la profession qui était la sienne, soit dans le contexte d'une réorientation. En effet, le gros problème des chômeurs de plus de 50 ans, c'est que souvent ils n'ont pas bénéficié de formations continues; ils se retrouvent ainsi décalés par rapport aux besoins de l'économie et donc en concurrence avec des travailleurs plus jeunes, plus efficaces et sans doute meilleur marché. Il s'agit dès lors de leur donner les moyens d'être compétitifs sur ce marché du travail.

Ce que nous proposons ici, c'est de faire ensuite un point de situation afin de voir si ces six mois supplémentaires - par rapport aux douze mois qui ne coûtent pas un centime au canton - vont amener davantage d'employeurs à recourir à ces personnes. J'aurais du reste aimé entendre du côté des bancs de la droite que l'on encourage fermement nos entreprises à faire appel aux compétences locales des travailleurs de plus de 50 ans, parce qu'elles sont bien présentes. Le but étant de s'assurer que ces personnes, en dix-huit mois, puissent acquérir la rentabilité - puisque c'est de cela qu'il s'agit lorsqu'on dirige une société - et l'employabilité nécessaires.

Vous ne voulez pas de ces six mois supplémentaires, parce que vous considérez que c'est un cadeau inutile accordé à certaines entreprises. De l'autre côté, vous estimez qu'il est peut-être préférable de ne rien faire et que la responsabilité individuelle de chacun va suppléer aux difficultés du marché. Le résultat, c'est que nous n'allons effectivement rien faire, Mesdames et Messieurs ! Nous n'allons tout simplement rien faire. Voilà le message qui va sortir de ce parlement.

Pour ce qui est de la deuxième mesure résultant de ce projet de loi - à savoir l'allocation pour les personnes de plus de 60 ans qui sont à trois ans de l'âge de la retraite au moment où elles ont épuisé leurs prestations de chômage - elle vise à leur donner le moyen de trouver, le cas échéant, des emplois complémentaires afin d'atteindre dignement l'âge de la retraite, selon un planning qu'elles pourront organiser elles-mêmes. Pourquoi ces allocations sont-elles versées durant dix-huit mois et pas trente-six mois, nous demande la gauche ? Elle estime en effet que lorsqu'on est à trois ans de la retraite, il reste trente-six mois avant de l'atteindre, et qu'il faut donc que l'Etat assure une prise en charge pendant toute cette période. Nous considérons pour notre part que c'est un faux message ! D'ailleurs, il ne repose pas sur la réalité des chiffres, puisque selon les statistiques LAMDA-SECO des années 2014, 2015 et 2016 - soit celles dont nous disposons jusqu'ici - 75% des chômeurs de plus de 60 ans retrouvent un emploi avant d'avoir épuisé la totalité des prestations de chômage. Cela signifie, Mesdames et Messieurs, que l'on peut avoir plus de 60 ans et obtenir un travail. C'est le message que le Conseil d'Etat souhaite donner ! Il ne s'agit pas de dire - comme le font ceux qui ont déposé un projet de loi dans ce sens - que l'on est perdu pour la collectivité si l'on n'a pas retrouvé un emploi après 60 ans et qu'il faudrait donc accorder, sur le modèle vaudois, des prestations d'aide sociale «plus». Non, Mesdames et Messieurs ! Et vous, Mesdames et Messieurs de la droite, qui refusez cette proposition, vous ne faites qu'alimenter le projet de loi qui a été présenté par la gauche, précisément pour renvoyer ces gens à l'assistance sociale. C'est un faux message ! C'est un message de démission de notre société que nous ne pouvons pas cautionner. Le Conseil d'Etat, lui, considère que les personnes de plus de 60 ans ont indiscutablement des compétences et qu'elles doivent continuer à rechercher un travail - de manière moins assidue, certes, puisque la difficulté est croissante. Baisser les bras pour ces demandeurs d'emploi, c'est reconnaître notre impuissance !

Mesdames et Messieurs, j'ai bien compris dans quel sens allaient ces débats. Pour des raisons différentes, vous estimez qu'il ne faut pas agir de cette façon. Certains ne proposent rien de plus, du côté de la droite, tandis que d'autres, du côté de la gauche, suggèrent tout simplement de passer par l'assistance sociale. Ce n'est pas l'image de la société que souhaite le Conseil d'Etat, et il déplore qu'il en soit ainsi. Je vous remercie. (Applaudissements.)

Une voix. Bravo !

Une autre voix. Très bien !

Le président. Merci. Mesdames et Messieurs les députés, je vais mettre aux voix l'entrée en matière sur le PL 12262.

Mis aux voix, le projet de loi 12262 est rejeté en premier débat par 72 non contre 18 oui.

Le président. Nous allons maintenant nous prononcer sur la M 2440.

Mise aux voix, la motion 2440 est adoptée et renvoyée au Conseil d'Etat par 51 oui contre 41 non.

Motion 2440