République et canton de Genève

Grand Conseil

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M 2597
Proposition de motion de Mmes et MM. Christian Dandrès, Sylvain Thévoz, Salima Moyard, Grégoire Carasso, Léna Strasser, Nicole Valiquer Grecuccio, Marion Sobanek, Jean Burgermeister, Xhevrie Osmani, Thomas Wenger, Caroline Marti, Jocelyne Haller, Amanda Gavilanes, Christian Zaugg, Pierre Bayenet, Jean Batou, Rémy Pagani : A travail égal, salaire égal (pour le respect des règles de fixation des annuités à l'engagement au sein des EMS)
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session V des 17 et 18 octobre 2019.

Débat

Le président. Nous passons à la M 2597, dont nous avons accepté cet après-midi l'ajout, la discussion immédiate et l'urgence. Ce débat est classé en catégorie II, trente minutes. Monsieur Dandrès, vous avez la parole.

M. Christian Dandrès (S). Je vous remercie, Monsieur le président. En tant que premier signataire, j'ai l'honneur de porter cette motion, qui est le fruit de la mobilisation de salariés d'EMS en vue de corriger quelques mesquineries malheureusement en pratique dans certains établissements en matière de reconnaissance des acquis de l'expérience au moment de l'embauche. Vous savez qu'à l'Etat, lorsqu'une personne est engagée, on lui attribue un nombre d'annuités en utilisant ce qu'on appelle une calculette de fixation des salaires... (Brouhaha. L'orateur s'interrompt.)

Le président. Vous pouvez poursuivre, Monsieur Dandrès.

M. Christian Dandrès. Merci. Je reprends: à l'Etat - et dans le service public de manière générale - on attribue lors de l'engagement un nombre d'annuités qui tient compte de l'expérience précédente utile au poste, selon des règles assez bien cadrées par les pratiques de l'office du personnel de l'Etat. La loi prévoit que ces mécanismes doivent également s'appliquer dans les EMS - qui sont très largement subventionnés - or dans les faits on constate que ce n'est pas le cas. Il y a eu un changement dans la façon dont les EMS appliquent ces règles - qui sont éminemment problématiques puisqu'elles sont illégales - et nous estimons que le Conseil d'Etat, qui conclut des mandats de prestations avec ces associations, fondations ou autres structures, devrait veiller au grain et faire en sorte qu'on accorde un minimum de respect à celles et ceux qui y travaillent. Je crois que le terme «respect» est bien choisi ! En effet, on parle ici de personnes qui touchent un salaire modeste. Comme vous avez pu le voir dans les quelques exemples que j'ai cités dans l'exposé des motifs de la motion, il s'agit d'employés en classe 4 ou 5: cela signifie que leur revenu tourne autour de 4000 francs par mois s'ils travaillent à plein temps, ce qui n'est la plupart du temps pas le cas. De plus, ces collaborateurs sont pour l'essentiel des femmes ayant des charges de famille. Je crois donc que le minimum consiste à tenir compte de l'expérience de travail de ces personnes pour qu'elles puissent vivre avec leurs salaires, qui sont à mon avis déjà trop bas... Il convient en tous les cas, par le biais des annuités, d'assurer une approche correcte à l'égard de celles et ceux qui oeuvrent au sein de la fonction publique.

Au vu du temps qui nous est imparti pour ce débat, je ne serai pas plus long afin que d'autres personnes puissent s'exprimer. Je vous remercie, Monsieur le président. (Applaudissements.)

M. Pierre Eckert (Ve). Comme on vient de l'entendre, les conditions de rémunération des employés des EMS doivent être les mêmes que celles du personnel de l'Etat. Les règles du projet SCORE, notamment, qui sera peut-être mis en place prochainement, s'appliqueront donc également aux employés des EMS. Dès lors, il est normal que celles et ceux qui travaillent au sein des EMS soient traités de la même façon que le personnel de l'Etat s'agissant des autres aspects liés au salaire, je pense en particulier à la prise en compte de l'expérience que la collaboratrice ou le collaborateur peut apporter lors de son engagement dans un EMS. Il est pourtant apparu que dans les faits cette prise en considération était bien inférieure en comparaison de ce qui se pratique à l'Etat - et qui plus est très disparate d'un EMS à l'autre.

Nous savons que les EMS sont fortement contrôlés par l'Etat et qu'ils fonctionnent à flux tendu. Les taux d'occupation dépassent largement 99%, et les personnes décédées sont très rapidement remplacées - quasiment dans la journée. Les flux sont donc extrêmement tendus et il est tentant d'utiliser les salaires des employés comme variable d'ajustement - même si elle est faible - ce qui est parfaitement injuste. Pour toutes ces raisons, les Verts vous encouragent à accepter cette motion.

Mme Marion Sobanek (S). On l'a dit, les EMS sont fortement subventionnés par l'Etat, il semble donc assez normal que les conditions de rémunération de l'Etat y soient également appliquées. Tenir compte de l'expérience professionnelle est du reste une pratique courante qui a cours un peu partout. Il est tout à fait normal de prendre en considération l'expérience pour l'acceptation et la confirmation d'un salaire !

Les personnes qui travaillent dans les EMS exercent souvent une profession dans laquelle les salaires sont bas: les revenus des nettoyeurs, des lingères et des aides-soignantes, par exemple, figurent parmi les plus modestes dans l'échelle de rétribution de l'Etat. De plus, les salaires dans ces professions ont commencé à stagner de façon très brutale ces dernières années. Vous connaissez tous le problème: on «outsource» le nettoyage et chaque année les personnes sont réengagées, souvent aux conditions minimums prévues dans les CCT. Il faudrait donc vraiment y mettre un frein et tout simplement accepter l'invite de cette motion qui demande de faire respecter les règles établies par l'Etat pour la prise en considération de l'expérience des personnes travaillant dans les EMS.

Je rappelle une nouvelle fois que beaucoup de nos parents vivent dans un EMS ! On voudrait que le personnel ne soit pas soumis à un stress excessif et n'ait pas l'impression de faire face à une concurrence mutuelle s'agissant des salaires. Cette prise en compte selon les règles établies clarifie le climat de travail et donne de la dignité à un personnel qui perçoit souvent un salaire trop bas et n'entrevoit pas de plan de carrière. Voilà pourquoi notre groupe vous invite à accepter cette motion. Merci.

Mme Jocelyne Haller (EAG). Mesdames et Messieurs les députés, j'aimerais simplement rappeler un fait: l'analogie entre les conditions salariales du personnel de la fonction publique et des employés des EMS résulte d'une volonté politique qui a été initiée par un conseiller d'Etat radical il y a une vingtaine d'années. A un moment donné, il a mis le marché en main des EMS en leur proposant effectivement des subventions pour autant que leur personnel soit rémunéré correctement, ce qui était loin d'être le cas à l'époque. Or ce contrat se transforme finalement en marché de dupe si une partie de celui-ci n'est pas réalisée ! En l'occurrence, en ne reconnaissant pas l'expérience à sa juste valeur et en ne la rétribuant pas aux conditions auxquelles il est prévu de le faire, certains EMS manquent à l'engagement pris à cette époque à l'égard du Conseil d'Etat, mais aussi de ce Grand Conseil, qui avait crédité cette politique.

J'ajoute qu'aujourd'hui la situation dans les EMS a changé: ces derniers s'adressent à des populations de plus en plus âgées, qui requièrent des compétences toujours plus fines et de l'expérience pour que des prestations de qualité puissent être fournies à ce public particulièrement fragilisé et vulnérable.

J'aimerais encore insister sur un aspect. Si ce soir cette motion n'était pas acceptée, cela signifierait simplement que ce Grand Conseil - du moins une majorité - estime que l'expérience n'a pas de valeur et qu'on peut exiger d'un employé qu'il ait de l'expérience sans être obligé de la rétribuer comme elle le mérite, ce qui est fondamentalement injuste et constitue une erreur. Je vous rappelle que dans ce parlement on a traité un certain nombre de projets visant à faire participer l'Etat à l'acquisition de l'expérience pour les jeunes qui débarquent sur le marché du travail. L'Etat devrait donc financer l'acquisition de l'expérience, mais une fois qu'elle est acquise les employeurs ne seraient pas tenus de la rétribuer ? Ce n'est pas tolérable. C'est un message politique inacceptable ! Je vous remercie de votre attention. (Applaudissements.)

Des voix. Bravo !

M. Jean-Luc Forni (PDC). J'entends le discours qui nous est tenu ce soir par la partie droite de la salle, qui est en fait la gauche. A mon sens, ces règles de subventionnement sont déjà établies et respectées par la plupart des établissements. Dès lors, s'il y a effectivement quelques cas illicites - voire des brebis galeuses - il faudrait qu'ils puissent être instruits, raison pour laquelle je demande le renvoi de cette motion à la commission des finances.

Le président. Merci, il en est pris note. Je mettrai aux voix cette proposition à la fin du débat. En attendant, je passe la parole au conseiller d'Etat Mauro Poggia.

M. Mauro Poggia, conseiller d'Etat. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, à chaque problème ses solutions. Je ne suis pas pour le tout à l'Etat: je pense qu'il faut d'abord individualiser le problème, puis rechercher la solution, sans grandes envolées. Vous avez entendu certains intervenants qui, implicitement, font dire à cette motion ce qu'elle ne dit pas, puisqu'ils demandent une hausse des salaires dans certaines fonctions. Pour ma part, je ne suis pas ici pour indiquer si c'est juste ou non. Je rappelle simplement que ce n'est pas l'objet de ce texte: il s'agit en l'occurrence uniquement de savoir si les annuités déterminées lors de l'engagement correspondent réellement à l'expérience des collaboratrices et des collaborateurs.

Voici quelques chiffres. Au 31 décembre 2018, 4944 personnes travaillaient dans nos EMS, qui sont au nombre de 54; 50 sont des entités de droit privé, si bien que seuls 4 sont des institutions de droit public. Parmi ces personnes, 633 ont été engagées en 2018. Ce que cette motion nous demande, c'est donc de vérifier si les annuités fixées au moment de l'engagement de ces 633 nouveaux collaborateurs correspondent à leurs années d'expérience.

Il faut par ailleurs savoir qu'il existe une convention collective, dont l'article 5.6.2 est parfaitement clair: une annuité doit être accordée pour chaque année d'expérience reconnue. Il y a dès lors un droit - il est exprimé - pour chaque nouveau collaborateur de voir ses années d'expérience prises en considération dans la fixation des annuités. Nous n'avons pas, nous, Etat, à intervenir pour effectuer un contrôle, à moins que vous ne souhaitiez que les salaires d'engagement soient contrôlés par la direction générale de la santé, auquel cas je vous demanderais quelques ETP supplémentaires pour mener à bien cette tâche, ce qui fera plaisir à certains et certaines d'entre vous... Evidemment, cela me paraît totalement disproportionné ! Chaque collaborateur, à supposer que ses années d'expérience ne soient pas correctement valorisées, a un droit personnel à ce que sa situation soit revalorisée, cas échéant tranchée par une entité tierce. Ce n'est donc pas par une motion qu'il faut inviter l'Etat à intervenir systématiquement lors des engagements pour vérifier si l'expérience est correctement prise en considération ! Pour toutes ces raisons, le Conseil d'Etat vous demande de rejeter ce texte et vous en remercie.

Le président. Merci bien. Mesdames et Messieurs, je vais soumettre à votre approbation la demande de renvoi à la commission des finances qui a été formulée tout à l'heure.

Mis aux voix, le renvoi de la proposition de motion 2597 à la commission des finances est adopté par 54 oui contre 40 non.

Le président. Mesdames et Messieurs les députés, nous allons traiter à huis clos le RD 1293. En conséquence, je demande au Conseil d'Etat de bien vouloir se retirer, aux personnes qui sont dans les espaces réservés au public et à la presse de bien vouloir quitter le bâtiment, aux huissiers de fermer les portes et à Mme la mémorialiste de couper les micros ainsi que la retransmission sur Léman Bleu et sur notre site internet.

La séance publique est levée à 22h30.

Le Grand Conseil continue de siéger à huis clos.