République et canton de Genève

Grand Conseil

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M 2481-A
Rapport de la commission de l'environnement et de l'agriculture chargée d'étudier la proposition de motion de Mmes et MM. Isabelle Brunier, Thomas Wenger, Jean-Charles Rielle, Salima Moyard, Roger Deneys, Lydia Schneider Hausser, Christina Meissner, Marc Falquet, Caroline Marti pour mieux soutenir la production de lait genevois
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session II des 6 et 7 juin 2019.
Rapport de Mme Simone de Montmollin (PLR)

Débat

Le président. Nous continuons nos urgences avec la M 2481-A. Le rapport est de Mme Simone de Montmollin, à qui je passe la parole.

Mme Simone de Montmollin (PLR), rapporteuse. Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, cette motion a été déposée à la fin de la précédente législature, soit il y a quelque temps déjà. Il s'agit du dernier objet présenté par notre collègue Isabelle Brunier. Il traite de la question de la filière du lait à Genève et demande de mieux soutenir cette production. L'examen de cette motion a permis à la commission de bien cerner la problématique de la filière du lait à Genève, mais aussi plus largement celle de l'écoulement des produits issus de l'agriculture locale et des outils législatifs disponibles pour le favoriser.

Le bilan dans les deux cas est assez contrasté pour qui est favorable au maintien d'une agriculture de proximité. En résumé - car pour le surplus, je vous laisserai vous référer au rapport - s'agissant de la filière du lait, seuls quatre producteurs courageux restent actifs à Genève, alors qu'on en dénombrait vingt en 2000 et quarante-quatre en 1980. Si la situation continue à évoluer à ce rythme, dans deux ans il n'y aura plus de producteur de lait... Ceux qui arrêtent ne le font pas parce qu'ils sont dégoûtés de la profession, mais tout simplement par manque de perspectives, ce qui est paradoxal dans une agglomération qui compte 500 000 habitants au niveau cantonal, et un peu plus si on dépasse les frontières.

Il règne une guerre des prix du lait depuis dix ans. Les prix sont fixés par l'Interprofession suisse du lait, mais à l'heure actuelle ils ne couvrent pas les frais de production, et certainement pas les frais de production à Genève. L'opérateur genevois, soit les Laiteries Réunies Genève - LRG - subit une concurrence exacerbée de la part de groupes provenant d'ailleurs en Suisse, mais aussi en raison des produits importés et du tourisme d'achat. Cet opérateur est cependant très réactif et innovant: il a su s'adapter continuellement pour offrir des produits de qualité reconnus et appréciés des consommateurs. La grande distribution, quant à elle, remplit son rôle en assurant l'écoulement de l'essentiel des volumes.

Les résultats sont toutefois encore un peu contrastés s'agissant de l'Etat. Ce dernier s'est pourtant doté d'un outil performant, la loi sur la promotion de l'agriculture, qui intime de promouvoir les produits agricoles genevois et de favoriser leur consommation dans la restauration et les collectivités publiques. Il a en outre créé la marque GRTA afin de défendre la qualité et la traçabilité, de même que le respect des normes sociales et environnementales. Il dispose également d'un office de promotion des produits agricoles, qui a élargi ses activités depuis un certain nombre d'années. Malgré cela, on observe après quinze ans qu'au sein de l'Etat on a encore et toujours des difficultés à faire valoir cet avantage qu'est la production de proximité.

Dans la pratique des AIMP, l'estimation de la qualité globale de l'offre doit pouvoir bénéficier d'une marge d'appréciation plus importante. Celle-ci doit être systématiquement utilisée en faveur d'une production locale afin de maintenir ces filières, qui sont profitables à la fois pour l'économie locale et notre environnement.

Pour toutes ces raisons, Mesdames et Messieurs, nous vous encourageons à soutenir cette motion en la renvoyant au Conseil d'Etat. Je vous remercie.

M. Eric Leyvraz (UDC). En ma qualité de producteur genevois, je remercie la commission de l'environnement et de l'agriculture d'avoir accepté cette motion à l'unanimité. Comme l'a dit Mme de Montmollin, il ne reste que quatre producteurs de lait à Genève - le cinquième vient de lâcher la rampe... Ils sont donc peu nombreux, mais ce n'est pas lié à la qualité de leurs produits. Ils sont au top niveau pour ce qui est de leur travail, ce sont vraiment d'excellents paysans ! Cette situation est simplement due à une politique agricole mondiale aberrante. En Suisse, les paysans disparaissent - mille exploitations ferment chaque année - et le prix du lait est toujours trop bas. Si on leur donnait 10 centimes de plus - ce n'est quand même pas grand-chose ! - ils pourraient s'en sortir, mais on ne le fait pas... Pourquoi ? Parce que le prix en Europe est encore bien plus bas ! Est-ce que les paysans français sont mieux lotis ? Pas du tout ! C'est une chaîne infernale. Les paysans du Pérou ont eux aussi de la peine à s'en sortir, car les prix de la Nouvelle-Zélande sont imbattables.

L'agriculture est un secteur essentiel à la vie, mais un système économique dévoyé a pris le dessus. On dit que l'agriculture de proximité est nécessaire pour éviter des transports inutiles et faire face aux problèmes climatiques. On est pourtant en plein délire ! Je vous cite deux exemples - je pense que vous connaissez le premier: dans notre pays, qui est le château d'eau de l'Europe, on importe du sud de l'Espagne, où il n'y a plus d'eau - on va la chercher à plusieurs centaines de mètres de profondeur - des tomates, qui contiennent 90% d'eau. Le deuxième cas a trait à un secteur différent, mais toujours en lien avec la nourriture: savez-vous qu'une bonne partie des cabillauds de Norvège est envoyée en Chine pour être empaquetée et transformée ? On en profite d'ailleurs pour injecter dans les cellules de l'eau ainsi que des produits chimiques pour que cette eau soit gardée. Ces poissons parcourent donc 15 000 kilomètres... On est véritablement en plein délire !

Malgré les efforts, il faut le dire, de la grande production et des Laiteries Réunies, qui font vraiment un bon travail - on peut les en remercier - je ne pense pas que cette motion va sauver nos producteurs laitiers. Mais si au moins elle pouvait mener à une prise de conscience de notre manière de fonctionner et que l'on pouvait tenir compte de tous les paramètres lorsqu'on évalue nos produits par rapport à ceux qui proviennent de l'étranger... On a déjà parlé du transport, des problèmes de pollution, de l'énergie grise. On touche là un peu aux problématiques liées aux AIMP.

Mesdames et Messieurs, quand un litre de lait coûte moins cher qu'un litre de Coca-Cola, il y a un grave problème de fond sur lequel il faut se pencher. Et je pense que tant que l'Organisation mondiale du commerce s'occupera d'agriculture, on ne s'en sortira pas. (Exclamations.) Je vous remercie donc de soutenir toutes et tous cette motion en la renvoyant au Conseil d'Etat. (Applaudissements.)

Une voix. C'est bien dit !

Mme Claude Bocquet (PDC). Mesdames et Messieurs, cette motion a été adoptée à l'unanimité de la commission. Elle vise à ce que l'Etat incite fortement les collectivités publiques - telles que les communes pour leurs cantines scolaires et institutions de la petite enfance, les EMS, les HUG, les cliniques et écoles privées, les prisons, etc. - «à privilégier lors de l'achat des produits laitiers ceux produits dans le canton et labellisés GRTA». On dénombrait quarante-quatre producteurs en 1980, vingt en 2000, et il n'en reste que quatre aujourd'hui. Ces quatre producteurs fournissent 2,3 millions de kilos de lait par an, dont la moitié est vendue sous la marque GRTA, ce qui représente seulement 2% de la consommation locale. Ce sont les Laiteries Réunies qui achètent ce lait, et la partie vendue sous la marque GRTA est payée 10% de plus que le lait de base.

Lors des auditions, la commission a insisté auprès des HUG pour que le prix ne soit pas le seul élément qui dicte leurs choix, mais qu'ils tiennent compte également de la proximité, de la durabilité et de l'importance de favoriser par leurs achats auprès des LRG la survie des derniers producteurs de lait de notre canton. De la même façon, la commission souhaiterait que, dans le cadre des AIMP, on ne regarde pas seulement le prix, mais que l'on prenne aussi en considération les critères de proximité, de qualité, d'écologie, de durabilité et de soutien à l'économie locale. Pour toutes ces raisons, le PDC appuiera bien entendu cette motion. (Applaudissements.)

Mme Marion Sobanek (S). Mesdames et Messieurs les députés, je n'ai pas grand-chose à ajouter, car mes excellents préopinants ont déjà présenté tous les arguments. La prochaine fois, je n'aurai qu'à appuyer plus tôt pour demander la parole !

S'agissant des règles relatives aux marchés publics, j'insiste sur le fait que le prix ne doit pas être le seul critère. D'autre part, j'insiste pour que nous aussi commencions à consommer genevois. Le lait GRTA, c'est celui qui est conditionné dans un tout petit carton jaune que vous devez habituellement aller chercher chez les gros distributeurs. Ce qui n'a pas été dit, c'est que ces gros distributeurs utilisent souvent les produits de proximité pour attirer un peu le chaland, mais qu'il arrive qu'ils les copient et vendent ensuite leurs propres produits.

Un autre argument n'a pas encore été invoqué: la Chine a commencé à produire du lait et, depuis 2019, son offre est excédentaire. Quand je vois la mondialisation ainsi que l'aberration du commerce des produits agricoles telle que notre collègue l'a décrite précédemment, je me pose la question: voulez-vous sérieusement consommer du lait chinois à Genève, alors que nous pouvons boire du lait provenant de vaches qui paissent sur le Salève ? Eh bien non ! Ce qui est juste, c'est de consommer local, c'est-à-dire d'acheter des denrées qui sont produites sur place et qui n'ont pas nécessité de long transport. Il y a en outre la question du prix, et j'ai surtout parlé de la production de lait, parce que c'est là-dessus que le producteur peut recevoir un petit surplus. En effet, sur les produits transformés tels que les fromages, la marge est bien moindre.

J'aimerais moi aussi souligner que nous avons la grande chance d'avoir à Genève les Laiteries Réunies, qui font tout pour produire et promouvoir les produits laitiers dans notre canton, notamment grâce à la Journée du lait, que nous connaissons tous... Monsieur le président, mon temps de parole est déjà épuisé ? (Remarque.) Non, il me reste encore deux secondes, qui vont me servir à vous dire ceci, Mesdames et Messieurs: achetez des produits locaux ! Cette motion a reçu le soutien de l'unanimité de la commission, et je ne comprends d'ailleurs pas du tout pourquoi on l'a retirée de l'ordre du jour des extraits. Pour conclure, je vous souhaite d'ores et déjà un très bon week-end, en espérant que vous consommerez des produits GRTA ! Merci. (Exclamations. Applaudissements.)

Mme Isabelle Pasquier (Ve). Mesdames les députées, Messieurs les députés, les Verts soutiendront évidemment cette motion. Si je dis «évidemment», c'est parce que la loi sur la promotion de l'agriculture a été développée, adoptée et mise en oeuvre sous l'ère du Vert Robert Cramer. Cette loi vise notamment à «soutenir la promotion et l'écoulement des produits agricoles genevois» - le sujet de cette motion - et ancre la mise en valeur des produits dans la restauration publique. Je cite l'article 13, alinéa 2: «La consommation de produits agricoles genevois dans la restauration est encouragée. Le canton veille, en particulier, à ce que ces derniers soient proposés prioritairement par les collectivités publiques, ainsi que lors de manifestations ayant bénéficié de subventions cantonales.» La base légale existe donc, reste la question de la volonté. Il s'agit ici à nouveau de la problématique de la pondération des critères dans l'attribution des marchés publics, mais je n'y reviendrai pas, parce que j'ai déjà abordé ce thème lors du débat sur la résolution relative au dépôt d'En Chardon.

La volonté politique d'augmenter les parts de marché des produits locaux existe, c'est en tout cas le message clair qu'a délivré la maire de Genève Sandrine Salerno lors de son audition. 37% des produits laitiers consommés dans les restaurants scolaires de la Ville de Genève sont locaux, et la maire vise encore une augmentation. La volonté politique doit donc être cultivée.

Le label GRTA a notamment pour but de mettre en valeur les produits régionaux. Le directeur des Laiteries Réunies genevoises, M. Charvet, a expliqué que son entreprise s'était lancée dans la fabrication de produits laitiers GRTA, à nouveau sous l'impulsion de Robert Cramer, alors qu'avant elle ne valorisait pas le lait local, mais le coulait avec les laits vaudois et ceux des zones franches, ce qui atteste de la force de ce label.

Le label GRTA vise aussi à améliorer la rémunération des productrices et producteurs. Dans le cas du lait, cette question est particulièrement importante, car le marché rémunère très mal le produit conventionnel. Les producteurs auditionnés nous ont confirmé que la rémunération était meilleure pour le lait valorisé sous ce label, avec toutefois une différenciation étonnante entre les produits, puisque le lait vendu en outre ou en brique est mieux rémunéré que le lait utilisé pour les fromages.

Il ne reste que quatre producteurs laitiers à Genève, on l'a dit. Leur production est minime comparativement à la consommation du canton, puisqu'elle ne représente que 4%. Pourtant, seule la moitié de ce lait peut être valorisée sous le label. Et une moindre part encore aux prix rémunérateurs. Alors s'il faut se réjouir que l'outil GRTA ait permis de redévelopper une filière pour le lait produit dans le canton et contribué à fixer un prix rémunérateur, une étape de plus doit être franchie pour que toute la production puisse être valorisée à de telles conditions. Il convient donc vraiment de soutenir cette motion. Je vous remercie. (Applaudissements.)

M. Jean Burgermeister (EAG). Mesdames et Messieurs, je vais essayer de ne pas trop répéter ce qui a été dit auparavant. Effectivement, la situation des producteurs de lait en Suisse et dans le canton de Genève est difficile... (Brouhaha. L'orateur s'interrompt.) ...et mérite un soutien de la part de l'Etat, conformément à la loi sur la promotion de l'agriculture. On ne peut pas se permettre de laisser tout cela au bon vouloir des directions de tel ou tel institut subventionné ou public: il faut exprimer ici un choix politique fort et cohérent pour le développement des produits GRTA, qui entre selon moi en résonance avec les préoccupations d'une grande partie de la population, comme nous avons pu le voir notamment lors des dernières votations sur les productions agricoles bio ou locales.

La production de lait ainsi que l'élevage de vaches en Suisse et à Genève ont une réelle utilité écologique en termes de maintien des écosystèmes. Cela a aussi un impact sur notre qualité de vie, évidemment, dans la mesure où l'on sait ce que l'on consomme et comment les aliments sont produits. Je salue à ce titre la belle unanimité qui se dégage dans ce parlement pour soutenir les produits GRTA. Je rappelle malgré tout que leur coût est un peu supérieur à ce qu'on peut trouver ailleurs, mais c'est le coût nécessaire pour offrir de bonnes conditions de travail, avoir un élevage respectueux de l'environnement et obtenir un produit de qualité. Mesdames et Messieurs, cette volonté politique que nous affichons toutes et tous de manière unanime aujourd'hui, il faudra s'en souvenir et l'exprimer pareillement à l'heure de voter les subventions. Je vous remercie.

Mme Patricia Bidaux (PDC). Je remercie la commission de son vote unanime sur cette motion. Ce soir, c'est à notre tour de nous prononcer sur ce texte, et je tenais simplement à souligner les conséquences du maintien d'une production liée à... j'allais dire à la production d'intrants naturels, donc de fumier, parce qu'il faut appeler un chat un chat. En effet, ce maintien va aussi permettre d'apporter... (Commentaires.) Il s'agit là vraiment d'une notion écologique importante ! Cela permet d'apporter aux terrains la valeur qu'ils devraient trouver en eux-mêmes pour assurer une production végétale adéquate. Ce que vous soutenez au travers de cette motion, c'est donc bien plus que la production de lait, c'est l'agriculture genevoise, et je voulais vous en remercier. (Applaudissements.)

Une voix. Bravo !

M. Georges Vuillod (PLR). Je m'associe aux remerciements adressés par mes collègues qui sont également producteurs. Je voulais juste en profiter pour relever deux phrases mentionnées dans le rapport, qui viennent de la bouche du directeur général de l'agriculture: «Genève produit 15% de ce que Genève mange et on n'est pas fichu de vendre ce 15% localement. [...] La valorisation locale des trois grandes productions du canton que sont les céréales, les légumes et le vin n'atteint que 50%.» Il y a donc encore beaucoup de travail, mais nous vous remercions du soutien que vous affichez manifestement ce soir. (Applaudissements.)

M. Patrick Dimier (MCG). Une fois de plus, ce n'est pas la qualité du travail fourni ou des produits créés ici qui est en cause. Nous avons une agriculture, une viticulture de première catégorie, avec des gens dévoués, qui accomplissent un travail exceptionnel. Là où le bât blesse, c'est bien évidemment sur les marges bénéficiaires. Ce sont ces marges de la grande distribution, outrancières en matière de produits laitiers, qui posent les vrais problèmes, et en aucun cas la qualité de ce qui est produit sur notre territoire. Nous remercions d'ailleurs nos agriculteurs et nos viticulteurs pour ce qu'ils font !

Le président. Merci. La parole n'étant plus demandée, j'ouvre la procédure de vote sur cette motion.

Mise aux voix, la motion 2481 est adoptée et renvoyée au Conseil d'Etat par 75 oui (unanimité des votants). (Applaudissements à l'annonce du résultat.)

Motion 2481