République et canton de Genève

Grand Conseil

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R 851
Proposition de résolution de Mme et MM. Pablo Cruchon, Jean Batou, Jocelyne Haller, Pierre Vanek : Une enquête au-dessus de tout soupçon
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session I des 24 et 25 mai 2018.

Débat

Le président. Nous sommes à la dernière urgence, classée en catégorie II, trente minutes. Je passe la parole au député Cruchon - s'il veut bien appuyer sur le bouton.

M. Pablo Cruchon (EAG). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, ça va, vous m'entendez ? (Commentaires.) Vous ne m'entendez pas ? Alors je peux me rapprocher !

Des voix. Non !

M. Pablo Cruchon. Pour ma deuxième intervention au sein de cette assemblée, je vous invite à soutenir un objet qui a pour but de défendre un monde politique transparent, impartial et garantissant des procédures démocratiques pour la population - rien de moins ! En effet, j'ai la délicate tâche d'intervenir sur ce qu'il est convenu d'appeler l'affaire Maudet.

Cette affaire, comme tout le monde, je l'ai découverte dans la presse, par un certain nombre d'interviews et d'articles qui m'ont alerté puisqu'ils font état de suspicions graves à l'encontre du conseiller d'Etat Pierre Maudet. Je ne vais pas m'étendre sur les faits, vous connaissez les suspicions: c'est à la justice de les établir. Je vais m'arrêter ici sur un cadre que je souhaite le plus démocratique, le plus transparent et le plus impartial possible, qui doit permettre l'établissement de faits précis. On parle ici de cadeaux reçus, à hauteur de 70 000 F; on parle d'éventuelles interférences dans l'adjudication d'une concession à l'aéroport. (Commentaires.) Une enquête a été effectuée, une procédure pénale est ouverte. Bref, nous ne sommes à l'abri d'aucun scandale, nous ne sommes à l'abri d'aucun des pires scénarios ! D'ailleurs, le Conseil d'Etat et notre assemblée ont pour responsabilité d'assurer qu'aucun doute ne puisse entacher la procédure en cours, qu'aucun soupçon de conflit d'intérêts ou d'autres problèmes ne vienne semer le doute parmi la population genevoise.

Or, quelle n'a pas été ma surprise lors de l'annonce par le Conseil d'Etat élu de la proposition de répartition des départements: ce futur Conseil d'Etat a proposé que M. Maudet reste chargé du département de la sécurité et garde la responsabilité de l'aéroport. Ce dossier et ce département sont extrêmement problématiques, de même que ce choix, car le ministère public délègue à la police des actes d'enquête dans ce cadre-là - à des policiers qui sont sous les ordres de M. Pierre Maudet ou dépendent hiérarchiquement de lui. Même si nous faisions entièrement et pleinement confiance au conseiller d'Etat Pierre Maudet, il nous paraît hautement problématique que des personnes chargées d'enquêter sur ces événements soient subordonnées à une des personnes ciblées par l'enquête. Si la situation devait rester la même, les doutes sur le conflit d'intérêts ou l'interférence ne pourraient être levés. Il en va de même avec la gestion de l'aéroport puisque de potentiels témoins travaillant à l'aéroport pourraient être appelés à déposer dans le cadre de la procédure et devraient pouvoir le faire sans pression ni crainte.

Ainsi, il nous paraît indispensable, pour permettre la procédure la plus démocratique, la plus transparente et la moins entachée de doute, que M. Maudet soit remplacé de manière temporaire à la tête du département de la sécurité et de l'aéroport. Il nous semble que c'est le minimum requis pour réaliser l'ensemble des démarches afin de faire la lumière sur ces événements, démarches qui auront lieu au tribunal, mais aussi à la commission de contrôle de gestion. Ce d'autant plus que la situation du ministère public n'est de loin pas satisfaisante: il n'existe aucune procédure spécifique à Genève en cas d'enquête sur un procureur ou un conseiller d'Etat, ce qui existe pourtant au niveau fédéral. Et l'appartenance partisane commune du procureur général et du conseiller d'Etat n'est déjà pas une garantie d'objectivité ! Donc, ni le Conseil d'Etat ni le parquet ne peuvent garantir à la population une procédure au-dessus de tout soupçon: c'est à nous de le faire ! C'est donc un prérequis démocratique et une garantie de transparence et de probité que nous vous invitons à prendre ce soir en acceptant notre proposition de résolution. (Applaudissements.)

M. Jean Rossiaud (Ve). Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, les Verts demandent le renvoi de cette proposition de résolution à la commission de contrôle de gestion. Les Verts sont très préoccupés par ce que la presse appelle désormais l'affaire Maudet. C'est notre rôle en tant que parlement de contrôler le gouvernement, et personne ne comprendrait que nous ne le fassions pas ! Parmi nous, Mesdames et Messieurs les députés, c'est bien à la commission de contrôle de gestion qu'incombe la responsabilité de se saisir de cet objet. Les Verts demanderont la création d'une sous-commission de la commission de contrôle de gestion qui soit spécifique à cette affaire. Nous vous demandons par conséquent le renvoi de ce texte en commission. Je vous remercie.

Le président. Merci, Monsieur le député. Nous voterons à la fin du débat sur cette demande de renvoi à la commission de contrôle de gestion. Quant à la sous-commission, ce sera à la commission elle-même d'en décider. Je passe maintenant la parole à M. le député Thomas Bläsi.

M. Thomas Bläsi (UDC). Merci, Monsieur le président. Dans le groupe UDC, bien sûr, nous sommes également soucieux du fait de cette situation qui a passablement occupé les médias. Nous pensons pour notre part que, dans un premier temps, la procédure judiciaire en cours doit prévaloir. D'ailleurs, nous nous permettons de dire à nos collègues d'Ensemble à Gauche que le procureur général a pris la précaution de s'entourer dans ce cas-là de magistrats d'accointances différentes pour être certain de ne pas pouvoir être mis en cause sur ce point. En ce qui nous concerne, nous avons confiance en la procédure judiciaire en cours et nous souhaitons en attendre les résultats pour voir si une démarche parlementaire supplémentaire est nécessaire. Ce ne sera visiblement pas le cas ce soir. L'UDC tient à dire ici qu'elle s'inquiète également à propos des divers liens d'intérêts et des diverses polémiques suscitées par ce voyage.

L'UDC s'interroge également par rapport à un volet qui n'a par ailleurs pas été abordé par la presse ni par les différentes personnes que nous avons pu entendre jusqu'à présent: nous nous inquiétons de la situation fiscale de M. Maudet en 2015. En effet, nous nous demandons de quelle manière ce cadeau de 50 000 F sur un revenu de 300 000 F a été implémenté dans sa déclaration d'impôts. Logiquement, le fait de recevoir un tel cadeau aurait dû être inscrit dans sa déclaration fiscale. Il serait intéressant de savoir si les dons faits aux deux associations ont bien été déduits de sa déclaration fiscale, ce qui semble logique puisqu'il s'agit de dons à des associations caritatives, mais il serait également légitime que le gain soit inscrit dans la déclaration fiscale de M. Maudet. En l'occurrence, seul le pouvoir judiciaire peut fournir cette information, compte tenu du secret fiscal que nous défendons par ailleurs. Nous estimons que cette réponse-là est particulièrement importante dans le développement de cette histoire.

Le groupe UDC vous demande donc, par gain de paix et surtout pour aller de l'avant dans ce dossier, de renvoyer cette proposition de résolution à la commission de contrôle de gestion, qui est finalement la seule commission du Grand Conseil ayant la possibilité d'enquêter sur cette affaire pour faire la lumière.

M. François Baertschi (MCG). Cette proposition de résolution pose un grave problème institutionnel, un problème institutionnel qui n'a jusqu'ici pas été résolu. Il devra bien être résolu à un moment ou à un autre, sinon de graves dangers vont survenir.

J'aimerais quand même dire qu'il faut laisser à Pierre Maudet la présomption d'innocence. Cette présomption d'innocence est importante, mais elle est pour l'instant entièrement bafouée par les médias et par l'opinion publique auprès de qui Pierre Maudet a perdu une aura qui était importante, ce qu'on peut regretter. On doit d'abord le regretter parce qu'il y a des incohérences, des versions multiples ont été données, ce qui n'est pas acceptable ! Je vois mal le chef de la police ou plutôt le conseiller d'Etat chargé de la police entendre un policier lui donner trois ou quatre versions d'un fait: il le licencierait immédiatement, soyons clairs ! On connaît la détermination de Pierre Maudet, c'est ce qu'il ferait ! On est donc dans une situation véritablement impossible et le grave problème, actuellement, c'est le soupçon. Ce soupçon insidieux est là, au-dessus de nos têtes, il reste et il va rester si on n'a pas le courage d'éclairer la situation dans laquelle nous sommes. Il faut à tout prix permettre une enquête - une enquête indépendante - et trouver une issue à la situation institutionnelle actuelle, dans laquelle un conseiller d'Etat a dans son département les policiers qui doivent enquêter sur une affaire qui le met en cause lui-même ! C'est une situation impossible ! Il aurait fallu véritablement prendre des mesures: soit suspendre la fonction de Pierre Maudet liée à la police judiciaire, soit, je ne sais pas, trouver une formule ou une autre qui permette de garder l'indépendance de la justice et l'indépendance de la police dans une enquête qui met en cause un conseiller d'Etat, qu'on le veuille ou pas ! La situation actuelle, c'est une condamnation publique de Pierre Maudet au travers de soupçons, des soupçons insidieux. Il faut à tout prix sortir de cela ! Le groupe MCG demande le renvoi à la commission de contrôle de gestion et il vous demande de faire preuve de responsabilité.

Le président. Je vous remercie, Monsieur le député. Nous avons enregistré cette demande que je ferai voter après le débat. La parole est à M. le député Romain de Sainte Marie.

M. Romain de Sainte Marie (S). Merci, Monsieur le président. Une chose est certaine concernant cette affaire, si on peut l'appeler ainsi, c'est que la lumière doit être faite. La lumière doit être faite, en effet, sur les aspects publics ou privés de ce voyage, sur la corrélation avec l'octroi d'une concession pour l'entreprise Dnata par l'Aéroport international de Genève, qu'elle ait eu lieu ou pas. Une chose est certaine, si on veut faire la lumière sur ces éléments, nous n'allons pas le faire en débattant en séance plénière, car nous n'avons absolument pas les moyens de faire la lumière sur ça ce soir !

C'est la raison pour laquelle le groupe socialiste votera le renvoi à la commission de contrôle de gestion. Il est certain que cette résolution peut paraître choquante puisqu'elle va à l'encontre du président du Conseil d'Etat nouvellement nommé et qui entrera en fonction très prochainement, mais elle ne viole en aucun cas la présomption d'innocence ! Elle souhaite simplement pouvoir éloigner le conseiller d'Etat des départements concernés par les reproches formulés dans les médias, mais cette résolution n'accuse et ne condamne en aucun cas Pierre Maudet. Pour ces différentes raisons, nous souhaitons que cette proposition de résolution soit étudiée par la commission de contrôle de gestion et nous appuierons cette demande.

M. Cyril Aellen (PLR). Chacun doit rester dans son rôle ! La presse fait son travail, elle enquête selon ses propres méthodes et elle publie des articles; les lecteurs lisent et se font une opinion. Le parlement, haute autorité de surveillance, a aussi un rôle à jouer et dispose d'une commission de contrôle de gestion pour mener les enquêtes qu'il estime juste de mener. Le gouvernement - le gouvernement élu - s'organise comme il le souhaite: il prend ses responsabilités par rapport à la répartition des départements et les personnes qui doivent les assumer, il joue son propre rôle de cette façon-là. La justice fait son travail, saisie suite à une dénonciation, semble-t-il - je n'en ai aucune idée, si ce n'est que c'est ce que la presse a relevé. La justice fait son travail en regardant s'il y a lieu de mettre en cause l'une ou l'autre des personnes qui seraient le cas échéant soit citées dans cette dénonciation soit retrouvées par le ministère public. Si le ministère public souhaite mettre en cause l'un des magistrats du pouvoir exécutif, il devra saisir notre parlement qui, à ce moment-là, devra se prononcer sur la requête qui lui aura été faite.

Pour le surplus, il conviendrait de respecter les institutions et leur façon de procéder en refusant purement et simplement cette résolution qui fait fi à la fois de la séparation des pouvoirs et de la présomption d'innocence. Toutefois, dans un souci de pragmatisme et pour éviter un débat inutile, le groupe PLR acceptera le renvoi à la commission de contrôle de gestion.

M. Pablo Cruchon (EAG). Je crois que je me suis mal exprimé: je ne veux pas remplacer le ministère public ni le Conseil d'Etat ! Je crois qu'on a là une affaire qui nous mobilise, nous, en tant que Grand Conseil. Il y a eu une atteinte, il y a des suspicions très graves. Je rappelle qu'à l'époque, M. Giscard d'Estaing avait reçu des diamants d'une valeur de 4000 F, et on parle ici d'un cadeau à hauteur de 70 000 F ! Alors il y a une présomption d'innocence, certes, mais nous avons la responsabilité de permettre que cette procédure soit menée dans le calme, dans la transparence et sans aucune suspicion. Or, le choix du Conseil d'Etat élu est un mauvais choix, de ce point de vue là. En tant que Grand Conseil et autorité de surveillance, nous avons le devoir de dire au Conseil d'Etat élu que c'est un mauvais choix. Et nous devons lui dire que M. Maudet doit se retirer, le temps de cette affaire. D'ailleurs, ça lui servira si la procédure l'innocente: il n'y aura alors plus le moindre doute au sujet de M. Maudet. Sachez que s'il ne le fait pas, il y aura toujours ce doute ! Je pense donc qu'il est nécessaire aujourd'hui, non pas de renvoyer cette proposition de résolution en commission, mais de la voter, et je trouve dommage qu'on ait proposé le renvoi en commission avant même de pouvoir en débattre sérieusement. (Commentaires.)

M. Pierre Bayenet (EAG), député suppléant. Mesdames et Messieurs les députés, chacun doit rester à sa place, chacun doit rester dans son rôle, comme l'a indiqué le député Cyril Aellen. Aujourd'hui, le rôle de ce Grand Conseil est de préserver et de sauvegarder la confiance que la population peut avoir en ses institutions. Pour cela, il faut des mesures urgentes. Pourquoi ? Parce qu'une enquête est en cours, une enquête de la police judiciaire. Pour que cette enquête puisse aboutir, il faut bien entendu que les policiers qui en sont chargés puissent agir librement. Or, comme vous le savez, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, l'inspection générale des services est rattachée administrativement au département de la sécurité et, donc, potentiellement, sous son influence - tout comme le sont d'ailleurs les employés de l'aéroport qui devront être entendus dans le cadre d'une enquête pénale. Si on veut établir ce qui s'est passé, eh bien, tous les employés ayant participé au processus d'attribution des mandats et des concessions devront être entendus. Cela est impossible dans une situation où nous avons un conseiller d'Etat, potentiellement impliqué dans une affaire, qui dirige - qui plus est d'une main de fer, vous le savez - les départements dans lesquels travaillent les personnes à entendre.

Il y a un blocage institutionnel majeur, c'est du jamais vu. Cela implique donc une action immédiate et énergique. Bien sûr, le rôle du parlement n'est pas de mener l'enquête, le rôle du parlement est de s'assurer que la justice puisse fonctionner. Malheureusement, aujourd'hui, il n'y a pas d'autre manière de faire institutionnellement que d'obtenir de M. le conseiller d'Etat Pierre Maudet qu'il ne prenne pas les postes qui lui ont été trop aimablement attribués par le collège. (Applaudissements.)

Le président. Merci, Monsieur le député. Nous sommes saisis d'une demande de renvoi à la commission de contrôle de gestion.

Mis aux voix, le renvoi de la proposition de résolution 851 à la commission de contrôle de gestion est adopté par 85 oui contre 5 non et 3 abstentions.

Le président. Nous arrivons au point suivant de notre... (Remarque.) Il faut appuyer sur le bouton ! (Remarque.) Monsieur Florey, oui ?

M. Stéphane Florey (UDC). Monsieur le président, ça n'aura pas d'incidence sur le vote, mais c'est juste pour vous signaler qu'apparemment le bouton de notre collègue André Pfeffer ne fonctionne pas !

Le président. Merci, on va voir ce qu'il en est.