République et canton de Genève

Grand Conseil

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R 843
Proposition de résolution de Mmes et MM. Christina Meissner, Eric Leyvraz, François Lefort, Delphine Klopfenstein Broggini, Georges Vuillod, Francisco Valentin, Roger Deneys, Jean-François Girardet, Serge Hiltpold, Romain de Sainte Marie, Delphine Bachmann, Isabelle Brunier, Thierry Cerutti, Beatriz de Candolle, Jean-Louis Fazio, Norbert Maendly, Danièle Magnin, Nathalie Schneuwly, Pierre Vanek, Thomas Wenger, Bertrand Buchs, Anne Marie von Arx-Vernon, Guy Mettan, Jean-Marc Guinchard, Jean-Charles Lathion, Xavier Magnin, Jacques Béné, Gabriel Barrillier, Christian Flury, François Lance, Pierre Conne, Alexandre de Senarclens, Céline Zuber-Roy, Nathalie Fontanet, Charles Selleger, Alexis Barbey, Marc Falquet, Raymond Wicky, Jean Batou, Michel Ducret, Emilie Flamand-Lew, Boris Calame, Yves de Matteis, Vincent Maitre, Jean-Charles Rielle, Patrick Malek-Asghar, Nicole Valiquer Grecuccio, Salima Moyard, Sarah Klopmann, Guillaume Käser, Sophie Forster Carbonnier, Lydia Schneider Hausser, Frédérique Perler, Mathias Buschbeck, Patrick Saudan, Jocelyne Haller, Pierre Gauthier pour l'exclusion de l'huile de palme et de ses dérivés des discussions de libre échange entre la Suisse et la Malaisie et l'Indonésie (Résolution du Grand Conseil genevois à l'Assemblée fédérale exerçant le droit d'initiative cantonale)
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session XII des 22, 23 février et 1er mars 2018.

Débat

Le président. Cet objet est classé en catégorie II, trente minutes. (Brouhaha.) J'attends un peu de silence... Madame Meissner, c'est à vous.

Mme Christina Meissner (HP). Merci, Monsieur le président. Je pense que je n'ai pas besoin de persuader ce parlement, dont presque soixante députés ont signé ce texte, des enjeux qui se trouvent derrière l'exclusion de l'huile de palme des accords que la Suisse entend signer avec la Malaisie et l'Indonésie. Au-delà des destructions massives de forêts tropicales humides, habitat des orangs-outans et d'autres espèces menacées de disparition par ces destructions, la culture de l'huile de palme cause aussi des problèmes à nos agriculteurs ici, en Suisse. Vous savez que nous cultivons de l'huile de colza et de l'huile de tournesol; ce sont des huiles saines, bonnes pour notre santé. Malheureusement, avec une importation massive d'huile de palme à vil prix, au-delà de toute norme environnementale ou sociale, ce ne sont pas seulement les forêts tropicales ou les populations indigènes en Malaisie et en Indonésie qui sont menacées: la survie de notre agriculture et de nos agriculteurs est également menacée, de même que le respect de normes environnementales et sociales dignes de notre pays. Donc, la résolution que je propose de renvoyer aujourd'hui au Conseil fédéral avec votre appui a pour but de lui signaler clairement que nous souhaitons l'exclusion de l'huile de palme des accords entre la Suisse, la Malaisie et l'Indonésie. Avec l'appui des autres cantons qui ont fait exactement la même démarche que le canton de Genève, je vous remercie de transmettre au Conseil fédéral l'espoir qu'il entendra notre voix et celle de tous les cantons, qu'il fera appel à la raison et travaillera dans l'esprit du développement durable et du respect de notre agriculture, de nos agriculteurs et de notre santé à tous. (Brouhaha.)

Le président. Merci, Madame. (Brouhaha.) Messieurs les conseillers d'Etat, Messieurs du MCG, s'il vous plaît ! Franchement, ce serait sympathique de votre part de faire moins de bruit ! Madame Klopfenstein Broggini, c'est à vous.

Mme Delphine Klopfenstein Broggini (Ve). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, ce texte cherche à protéger nos agriculteurs et agricultrices en pointant l'accès facilité de l'huile de palme au marché suisse et ses conséquences désastreuses sur la production indigène d'huile de colza et de tournesol. Comme cela a été dit, en Suisse, la législation agricole impose aux producteurs et productrices des exigences très strictes pour assurer la qualité du produit ainsi que le respect du travail et de l'environnement. Ces exigences ont naturellement un coût qui renchérit l'huile suisse. Un accord de libre-échange entraînerait une importation massive d'huile de palme, une huile extrêmement bon marché, et les conséquences sur nos huiles locales seraient dramatiques.

Ce texte met aussi en exergue l'énorme problème lié à l'huile de palme. Cette production ruine non seulement nos économies nationales et locales, mais au niveau mondial, elle est à la base de la destruction de l'environnement et de populations indigènes. Chaque mois, plus d'un million d'hectares de forêts, surtout de forêts tropicales humides, sont détruits, soit l'équivalent d'un terrain de football toutes les deux secondes. Cette déforestation est à l'origine d'environ un cinquième des émissions mondiales de gaz à effet de serre. (Commentaires.)

Omniprésente dans notre alimentation, du pot de Nutella au biscuit bio de la Coop, utilisée aussi dans les produits cosmétiques et comme agrocarburant, l'huile de palme a du succès auprès des industriels qui sélectionnent ce produit bon marché au détriment d'autres huiles végétales. Pour répondre à une demande croissante, on rase des forêts entières pour planter des palmiers à huile. Ces déboisements sont souvent réalisés par incendies, créant des problèmes respiratoires chez les autochtones; pour accéder aux exploitations et faciliter le passage des camions, on crée des routes: c'est l'ensemble de l'écosystème qui est ainsi en danger. La destruction de la biodiversité affecte directement la santé des populations locales: la forêt a un potentiel énorme, car si elle régule l'humidité du climat, elle offre aussi de la nourriture et des plantes médicinales. Souvent consommée en grande quantité car omniprésente dans la grande consommation, l'huile de palme, majoritairement composée d'acides gras saturés, a aussi une répercussion évidente sur notre santé. Pour toutes ces raisons, les Verts vous invitent à accepter cette résolution et à lancer par cette démarche un signal fort à Berne. (Applaudissements.)

Mme Danièle Magnin (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, si vous achetez le moindre produit à la Coop, à la Migros ou ailleurs - pâte à gâteaux, biscuit ou autres préparations, même le chocolat - vous vous apercevrez en regardant la composition que vous ne parvenez plus à en trouver qui soit exempt d'huile de palme. C'est à mes yeux un pur scandale de ne pas pouvoir trouver de pâte brisée au beurre ! Vous vous rappelez certainement de Kit Kat, «les deux doigts coupe-faim»: sur une fausse publicité, on voyait des doigts d'orangs-outans sanglants. Eh bien, tout ça me choque profondément ! On ne peut plus faire plaisir aux gens en leur donnant une friandise. Lorsque je veux faire un cake, je prends de l'huile de colza ou du beurre, je ne prends jamais une autre graisse, que ce soit de palme ou de ce que vous voudrez. C'est un non absolu, de toutes mes forces ! Et chaque fois que je peux convaincre quelqu'un de ne pas acheter ce type de produits, je le fais. Moi, aujourd'hui, je voudrais vous convaincre, et je crois que ce ne sera pas trop difficile; je voudrais vous convaincre de mandater notre Conseil d'Etat pour demander à Berne de renoncer à ces faveurs douanières pour l'importation d'huile de palme, parce que nous avons tout à fait les moyens d'utiliser d'autres graisses pour manger, pour les cosmétiques et toutes les choses dans lesquelles on utilise actuellement ce produit. Parmi les pires, il y a Denner: vous ne trouvez pas chez Denner un paquet de biscuits exempt d'huile de palme ! (Commentaires.) Je suis navrée et je suis désolée de le dire, parce qu'apparemment il ne faudrait pas, mais sachez-le quand même ! Je suis très en colère contre ces produits-là et je souhaiterais que nous n'ayons plus cette responsabilité morale, en plus de devoir la consommer au quotidien. Nous ne voulons pas d'huile de palme dans notre nourriture, pour ne pas détruire les grandes forêts pluviales de l'autre côté de la planète, dans les îles de la Sonde, à Sumatra, à Bornéo et ailleurs.

Le président. Merci, Madame. Je salue à la tribune notre ancien collègue, M. Haldemann. (Applaudissements.) La parole est à M. Buchs.

M. Bertrand Buchs (PDC). Merci, Monsieur le président. Je ne reviendrai pas sur les arguments écologiques et ceux qui visent à défendre notre paysannerie. Je veux axer mon propos sur le fait que l'huile de palme est très mauvaise pour la santé: elle contient de mauvais acides gras, il faut absolument ne pas l'utiliser. C'est vrai que c'est un pur scandale, je rejoins Mme Magnin: souvent, on ne lit pas ce que contient un produit quand on l'achète. Honnêtement, même avec les produits bio, on achète de l'huile de palme. C'est une tendance de mettre de l'huile de palme partout; c'est comme la tendance de mettre du sucre partout, c'est un danger pour la santé. C'est pour cela qu'il faut absolument soutenir cette résolution, et il faut que le parlement rejette à l'unanimité cette huile de palme pour la Suisse.

Mme Lydia Schneider Hausser (S). Le texte de la résolution aborde en détail tous les problèmes que pose le commerce et l'utilisation massive de l'huile de palme, que ce soit dans notre alimentation, pour l'alimentation des animaux de garde ou domestiques ainsi que dans le carburant de nos voitures. Il est indispensable que cette matière soit exclue de la convention de libre-échange entre la Suisse, la Malaisie et l'Indonésie. Cela a été dit, les paysans suisses verront le marché des huiles végétales et du beurre diminuer à vue d'oeil au profit de l'huile de palme qui bat tous les records en matière d'économies et de coût: c'est l'huile la plus rentable si l'on considère le rapport entre la surface utilisée et le nombre de kilos d'huile produits. Les populations et les agriculteurs autochtones de Malaisie et d'Indonésie tiraient leur substance des zones boisées devenues des plantations de palmiers. Nous parlons de surfaces énormes, monumentales; nous parlons actuellement d'environ 12 millions d'hectares - soit l'équivalent de la moitié de l'Allemagne - transformés en plantations pour cette culture !

En 2017, le parlement européen a voté massivement pour la fin de l'importation d'huile de palme et des biocarburants issus des huiles végétales qui menacent les forêts tropicales. Les cultures intensives de palmiers ont détruit ou sont responsables de plus de 20% de la déforestation au niveau mondial durant les vingt dernières années. En matière d'atteintes à l'environnement, cela a pour conséquence moins d'absorption des gaz, cela a été dit. Cela porte atteinte à la diversité de la faune qui vit dans ces forêts et c'est surtout une atteinte à des lieux de vie pour les populations autochtones. Il y a bien eu un label préconisé, des engagements volontaires sont prévus avec ce système de certification RSPO - «Roundtable on sustainable palm oil» - mais ce n'est pas suffisant pour justifier l'abandon des barrières douanières. Mesdames et Messieurs les députés, notre compatriote Bruno Manser est mort en défendant les Penan de Malaisie contre le commerce industriel du bois tropical et la déforestation: allons-nous continuer et éliminer totalement la forêt tropicale pour nous empiffrer à bas prix d'huile de palme ? Les socialistes ne sont pas d'accord et ils soutiendront cette résolution.

M. Pierre Vanek (EAG). Je serai extrêmement bref puisque je crois qu'il y a 56 signataires à cette résolution, j'ai tenté de compter. C'est dire qu'une large majorité du parlement est déjà convaincue, et ma faible éloquence n'est pas indispensable pour faire passer cet objet qu'Ensemble à Gauche soutiendra évidemment. Nous sommes très contents que l'on prenne en compte des critères sanitaires, des critères écologiques, des critères qui concernent les conditions de travail pour mettre un frein, ne serait-ce que sur cet objet, au libre-échange débridé que prônent certains par ailleurs.

Deux mots encore sur l'exposé des motifs, qui est très bien fait: il évoque les aspects sociaux, environnementaux et sanitaires et l'impact sur l'agriculture suisse. Je m'y rallie entièrement, comme aux propos de la première signataire, Mme Meissner. Elle a prôné l'emploi des huiles nationales que sont les huiles de colza et de tournesol; je me permets une incartade du côté de l'huile d'olive, je pense que vous ne m'en voudrez pas ! Ça, c'est pour la dimension internationaliste ! Ensuite, contrairement à ce qu'a dit Mme Meissner, ce texte n'est pas adressé au Conseil fédéral: c'est une résolution adressée à l'Assemblée fédérale exerçant le droit d'initiative cantonale. Ce n'est pas pour vous en faire reproche, mais ça signifie que, comme l'Assemblée fédérale est censée se prononcer sur cette question, les partis qui ont le plaisir et l'honneur d'être représentés sous la coupole fédérale à Berne feraient bien de sensibiliser leurs élus pour que la députation genevoise soutienne unanimement cette initiative cantonale. Nous en produisons un certain nombre et, en général, les initiatives cantonales passent assez rapidement du statut de document parlementaire au statut de vieux papier. Si on veut que ce ne soit pas de nouveau le cas, il y a un travail à faire du côté de nos élus ! Quand je dis nos élus, je parle de nos élus genevois à Berne. C'est en effet une cause qui le mérite.

M. Jean-François Girardet (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, chers collègues, j'ai sous les yeux un article de la «Tribune de Genève» à propos de la signature d'un accord avec les pays du marché commun sud-américain Mercosur: «Le conseiller fédéral Johann Schneider-Ammann veut accélérer la conclusion d'un accord de libre-échange entre la Suisse et les pays sud-américains du Mercosur. Mais pour y parvenir, les agriculteurs devront faire des concessions, notamment sur la protection douanière.» On est au coeur du problème, cette résolution sera adressée aux chambres de l'Assemblée fédérale...

Le président. Vous arrivez au bout du temps imparti au MCG.

M. Jean-François Girardet. ...pour faire pression et indiquer clairement au Conseil fédéral la politique à tenir, notamment la protection de notre agriculture et de nos produits agricoles.

Mme Simone de Montmollin (PLR). Le PLR suivra, il est aussi signataire de cette résolution. Il entend ainsi apporter son soutien à l'agriculture suisse et dire son inquiétude par rapport aux accords qui sont sur le point d'être adoptés. Il soutiendra cette résolution, même si elle arrive bien tardivement et après d'autres cantons. J'aimerais cependant souligner ici l'incohérence reconnue dans ces accords: d'un côté, on demande à l'agriculture suisse d'être toujours plus performante du point de vue environnemental et certains partis de ce Grand Conseil se font les chantres d'exigences encore plus soutenues à son égard. On veut que l'agriculture soit économiquement rentable, socialement irréprochable, et, derrière, qu'est-ce que l'on fait ? Même si on a des produits de haute qualité, reconnus pour leurs qualités sanitaires, on souhaite les remplacer par de l'huile de palme de qualité bien moindre. Nous avons là un grand écart entre la politique, avec l'Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires d'un côté, et, de l'autre côté, l'économie qui, ma foi, veut aussi défendre les intérêts d'un pays. Nous sommes un peu perplexes par rapport à cette situation et nous voulons dire aujourd'hui qu'il y a effectivement un enjeu important pour l'économie intérieure, pour les agriculteurs, et que nous souhaitons ici leur apporter notre soutien.

Le président. Merci, Madame. La parole est à Mme Meissner pour quarante secondes.

Mme Christina Meissner (HP). Monsieur le président, je tenais juste à dire que mon préopinant, M. Pierre Vanek, avait raison: on s'adresse à l'Assemblée fédérale, mais au-delà de ça, c'est bien notre conseiller fédéral chargé de l'économie qu'il s'agit de sensibiliser. Mon autre préopinant, M. Girardet, a raison de dire qu'après l'huile de palme, il y aura encore et toujours à se battre pour préserver notre agriculture locale, nos normes et notre environnement, mais il faut également pouvoir se battre pour la préservation de l'environnement et pour la protection des agriculteurs au niveau planétaire. La bataille ne fait donc que commencer, hélas !

Le président. Merci, Madame. Nous allons donc voter sur cette proposition de résolution.

Mise aux voix, la résolution 843 est adoptée et renvoyée à l'Assemblée fédérale et au Conseil d'Etat par 85 oui et 2 abstentions. (Applaudissements à l'annonce du résultat.)

Résolution 843