République et canton de Genève

Grand Conseil

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R 762
Proposition de résolution de Mmes et MM. Béatrice Hirsch, Serge Hiltpold, Jean-Luc Forni, Anne Marie von Arx-Vernon, Guy Mettan, Jean-Marc Guinchard, Olivier Cerutti, Boris Calame, Sophie Forster Carbonnier, Yves de Matteis, Emilie Flamand-Lew, Frédérique Perler, Jean-Michel Bugnion, Bernhard Riedweg, Marc Falquet, Lisa Mazzone, François Lefort, Sarah Klopmann, Martine Roset, Beatriz de Candolle, Pierre Conne, Bertrand Buchs, Simone de Montmollin, Bénédicte Montant, Philippe Morel, François Lance, Cyril Mizrahi, Daniel Zaugg, Christian Frey, Jocelyne Haller pour une modification des articles 189 et 190 du code pénal et une redéfinition de la notion juridique de viol (Résolution du Grand Conseil genevois à l'Assemblée fédérale exerçant le droit d'initiative cantonale)
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session VIII des 15, 16 et 17 mai 2014.

Débat

Le président. Mesdames et Messieurs, nous allons poursuivre avec le prochain objet, qu'il faudrait que je puisse trouver... Voilà ! Nous sommes dans un débat classé en catégorie II, il s'agit de la résolution 762. Je passe la parole à la rédactrice de la proposition de résolution, Mme Hirsch.

Mme Béatrice Hirsch (PDC). Merci, Monsieur le président. Mesdames et Messieurs les députés, c'est vraiment et franchement avec bonheur que j'ai pu constater que la quasi-totalité des partis représentés dans cette enceinte avaient estimé, en signant cette résolution, que la définition du viol dans notre code pénal était dépassée. Même si une modification du code pénal ne peut être effectuée que par notre Parlement fédéral, cela vaut la peine que notre Conseil use de son droit d'initiative cantonale pour demander à Berne de modifier les articles 189 et 190 du code pénal.

De quoi s'agit-il ? Ces articles traitent des contraintes sexuelles et du viol. Le violeur y est défini dans l'article 190 de la manière suivante: «Celui qui, notamment en usant de menace ou de violence, en exerçant sur sa victime des pressions d'ordre psychique ou en la mettant hors d'état de résister, aura contraint une personne de sexe féminin à subir l'acte sexuel, sera puni d'une peine privative de liberté de un à dix ans.» Et donc, tout autre acte sexuel forcé - sodomie, fellation - tombe sous le coup de l'article 189 comme une contrainte sexuelle et non un viol. Il est aujourd'hui avéré que les victimes de violences sexuelles ont besoin que leur statut de victime soit reconnu pour traverser les étapes difficiles qui suivent une agression. L'échelle des valeurs de notre code pénal laisse à penser que subir une sodomie forcée est moins grave que subir une pénétration vaginale forcée. Quelle méconnaissance crasse de ces traumatismes ! Il est aussi à souligner que selon cette définition fort restrictive, un homme ou un petit garçon, dans notre code pénal suisse, ne peut pas être violé ! Force est de reconnaître que lorsqu'on parle d'abus ou de contrainte sexuelle, chacune et chacun d'entre nous tous, Mesdames et Messieurs les députés, imaginons des actes infiniment moins graves et moins violents que lorsqu'on parle de viol. Et si la peine maximale est la même pour les deux infractions - dix ans de peine privative de liberté - la peine minimale n'est pas du tout identique: pour un viol, il s'agit d'une année de peine privative de liberté, alors que lors d'une contrainte sexuelle, la peine n'est que pécuniaire. Je répète, en cas de contrainte sexuelle, elle n'est que pécuniaire.

Il y a un an, le conseiller national Hugues Hiltpold a déposé une interpellation au Conseil fédéral demandant cette même modification législative. Une des raisons invoquées par le Conseil fédéral pour rejeter l'extension de l'infraction aux victimes de sexe masculin était que le viol constitue depuis longtemps une infraction ne pouvant être commise que sur une femme, et ayant par ailleurs toujours été comprise ainsi. Sur la base d'une argumentation comme celle-là - plus passéiste et plus conservatrice, ce n'est pas possible ! - l'interpellation avait été rejetée par le Conseil fédéral. J'ai pu citer dans mon exposé des motifs moult conventions internationales, dont plusieurs auxquelles la Suisse a adhéré et qui recommandent que ces actes sexuels forcés soient également reconnus comme des viols et non juste comme des contraintes ou des abus sexuels.

Pour la reconnaissance de ces victimes de violences tout aussi graves qu'un viol proprement dit, pour que les hommes puissent enfin être reconnus comme victimes de viol, le groupe démocrate-chrétien vous demande donc de renvoyer cette résolution à notre Assemblée fédérale. Je vous remercie. (Applaudissements.)

Le président. Merci, Madame la députée. La parole n'est pas demandée, je vais soumettre cette résolution à vos votes. Ah ! Monsieur Mizrahi, vous avez la parole !

M. Cyril Mizrahi (S). Mille mercis, Monsieur le président. Je prends la parole simplement, chers collègues, pour soutenir cette résolution proposée par le PDC ainsi que d'autres signataires. Cela a été dit, il s'agit d'une question d'égalité; non seulement une égalité entre femmes et hommes, mais aussi entre les différentes victimes de violences à caractère sexuel grave. Et la distinction faite, qui nous a été bien expliquée par Béatrice Hirsch, avec une peine uniquement pécuniaire comme minimum pour les contraintes sexuelles, est quelque chose qu'on ne peut plus admettre aujourd'hui. Nous avons une définition du viol d'un autre âge, et je pense que véritablement il serait très positif que le canton agisse auprès des autorités fédérales pour faire changer cette situation. Je vous remercie de votre attention et vous invite à soutenir cette résolution.

Mme Beatriz de Candolle (PLR). Qu'importe le genre, le sexe: le viol ou l'acte sexuel forcé doit être reconnu et puni, qu'il s'agisse d'une femme ou d'un homme. La Suisse est rétrograde sur ce sujet. Tant le Conseil de l'Europe que la Cour pénale internationale définissent le viol autant pour un homme que pour une femme. Je vous rappelle que le conseiller national PLR Hugues Hiltpold avait déposé, au mois de juin de l'année dernière, une interpellation au Conseil fédéral sur cette thématique-là. Or, la réponse du Conseil fédéral est inadmissible ! C'est la raison pour laquelle le groupe PLR demande que cette résolution soit renvoyée au Conseil d'Etat ou qu'elle soit renvoyée immédiatement au Conseil fédéral. (Quelques applaudissements.)

Mme Jocelyne Haller (EAG). Mesdames et Messieurs les députés, nous revendiquons l'égalité dans de nombreux domaines. Nous revendiquons l'égalité pour le meilleur, et il nous incombe aujourd'hui de l'invoquer également pour le pire. La définition du viol, de l'atteinte à l'intégrité physique des personnes, sous quelque forme que ce soit, est non seulement archaïque telle qu'elle est construite aujourd'hui, elle est aussi fondée sur une conception patriarcale des rapports sociaux. Il y aurait donc un sexe faible et un sexe fort, qui ne sauraient être victimes de la même manière. C'est un non-sens ! C'est un déni de droit ! Un déni du droit des victimes à voir l'outrage reconnu et sa violence dramatique estimée à sa véritable valeur. Il est temps de corriger cette injustice, cette incongruité. C'est pourquoi nous vous appelons à accepter cette proposition de résolution et à la renvoyer à l'Assemblée fédérale.

Mme Frédérique Perler (Ve). Mesdames et Messieurs les députés, évidemment, on ne peut que souscrire aux propos tenus jusqu'ici et les Verts soutiennent cette résolution. Celle-ci tombe d'ailleurs sous le sens. En la lisant, j'étais personnellement un peu étonnée qu'on n'ait pas eu cette idée auparavant. On doit considérer que le viol, quel qu'il soit, que ce soit sur un homme ou une femme, est un crime, et qu'il s'agit ici de donner un statut et une reconnaissance par la justice aux victimes de sexe masculin et une reconnaissance de ces actes par notre société. C'est là l'accent que je souhaitais mettre. Chacune et chacun, ici, sait que le chemin de la guérison, que cela concerne l'entourage ou les victimes de crimes de guerre, passe par une reconnaissance du statut de la victime. Deuxième élément: je voulais quand même souligner la frilosité du Conseil fédéral. Puisqu'il est gêné aux entournures pour faire une proposition, le canton de Genève soumet une résolution, espérant que d'autres cantons lui ont emboîté le pas ou le feront, car nous appelons de nos voeux la réalisation de cette égalité-là dans notre droit et notre procédure pénale.

Mme Marie-Thérèse Engelberts (MCG). J'aimerais juste dire que le MCG soutiendra complètement cette résolution. Effectivement, il semble qu'il y ait un décalage et qu'on ait un train de retard, au niveau fédéral, par rapport à la définition de la situation de viol. Il est vrai qu'on peut s'étonner qu'aujourd'hui encore, on doive défendre ce genre de proposition. Nous soutiendrons donc cette résolution.

M. Patrick Lussi (UDC). Mesdames et Messieurs les députés, quelques UDC ont bien entendu signé cette proposition de résolution. Tout le monde n'a pas pu le faire, étant donné les délais. Je tenais simplement à vous apporter mon témoignage, ayant passé près de dix ans à la brigade des moeurs de la Police judiciaire de Genève - certains le savent. Notre tâche principale était d'entrer dans les détails scabreux de certaines situations pour être certains du traumatisme que la victime venait de subir et pour que la suite judiciaire puisse se faire. A mon sens, nous avons jusqu'à présent, dans le code pénal, une dichotomie entre ce que subissent les gens, la réalité, et ce que font les grands experts du droit - je m'en excuse auprès des avocats. Ils arrivent à vous dire que ceci n'est pas aussi grave que cela. Personnellement, je trouve ce genre de texte très encourageant et, bien entendu, nous le soutiendrons.

M. Michel Amaudruz (UDC). En fait, je me suis inscrit comme ça, parce que j'ai constaté que beaucoup de dames s'étaient exprimées... (Exclamations.) ...et qu'il fallait aussi que la gent masculine apporte son soutien à cette proposition de résolution. Je crois que personne ne la contestera, mais d'ici à ce que l'on débouche sur un résultat concret, je crois que beaucoup d'eau aura coulé sous les ponts.

Il est clair que la définition actuelle du viol est archaïque, non pas parce qu'elle est réservée à la femme au détriment de l'homme, mais parce qu'elle se résume à un acte de pénétration sexuelle forcé, tel qu'il est conçu dans le code pénal. Pourtant, c'est peut-être le terme même de viol qui est impropre, parce que finalement, c'est beaucoup plus que cela. Je crois que c'est en droit canadien - M. Mizrahi est un spécialiste du droit canadien, peut-être qu'il nous le dira - qu'on occulte le terme de viol pour parler d'agression. Et à partir de là on va plus loin que l'agression physique; parce que la contrainte peut être physique, mais elle s'exprime aussi d'une autre façon, qui peut être morale. Il y a donc tout un champ d'action qui mérite d'être exploré et qui nécessite que les dispositions du code pénal relatives à cet aspect de déliquescence soient revues dans un spectre beaucoup plus large. N'oubliez pas que les contraintes morales peuvent être aussi graves, voire même parfois pires que les contraintes physiques; n'oubliez pas que le mot même de viol est peut-être suranné et que c'est une agression qui doit être traduite en des termes...

Le président. Il vous reste vingt secondes, Monsieur le député.

M. Michel Amaudruz. Oh, bien ça suffit, Monsieur le président, vingt secondes pour un viol c'est beaucoup ! (Quelques applaudissements.)

M. Pierre Maudet, conseiller d'Etat. Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les députés, je serai très bref sur ce sujet éminemment problématique des agressions sexuelles, qui sont malheureusement en augmentation, comme vous avez peut-être pu le constater lors de la production annuelle de la statistique policière, qui est le reflet de l'activité criminelle. C'est dire si le gouvernement partage la préoccupation exprimée sur tous les bancs relative à ce type d'agression, caractérisée dans le cas du viol. (Brouhaha.) Et je rejoins totalement le préopinant UDC quant à la nécessité d'un débat un peu plus large aux Chambres fédérales sur la qualification de ce type d'agression, sur l'intégration d'éléments nouveaux qui, à la lumière d'une actualité récente, montrent à quel point les différents types d'agression ou de viol peuvent aujourd'hui porter préjudice non seulement, évidemment, aux victimes, mais à l'ensemble de la société.

J'aimerais dire ici que le gouvernement a anticipé votre désir, puisqu'il a porté ce débat à la Conférence des directeurs de justice et police et que mes collègues des vingt-cinq autres cantons et demi-cantons ont convenu qu'il y avait là matière à discuter, qu'il y avait un véritable problème de définition dans le code pénal. Nous allons, par ce canal-là, appuyer, je l'espère, le député Hiltpold aux Chambres fédérales, mais d'autres également, pour faire en sorte que le code pénal évolue, et évolue rapidement. Parce qu'au rythme où le code pénal change, il y a urgence ! Inutile de rappeler ici que c'est en 2007 que l'on a évoqué, dans la partie générale, la réforme du droit des sanctions sous l'angle des jours-amendes, et qu'on n'y est toujours pas sept ans plus tard. Si c'est à cette vitesse-là qu'on travaille sur les qualifications d'agressions sexuelles relatives au viol, on n'est pas sortis de l'auberge ! Donc vous pouvez compter sur nous, Mesdames et Messieurs, pour soutenir cette résolution, pour l'appuyer fortement auprès des Chambres fédérales, pour le faire également avec les autres cantons, et espérer, à brève échéance, une modification de notre code pénal. Je vous remercie de votre attention. (Applaudissements.)

Une voix. Bravo !

Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, je vous soumets cette résolution.

Mise aux voix, la résolution 762 est adoptée et renvoyée à l'Assemblée fédérale par 82 oui (unanimité des votants). (Applaudissements à l'annonce du résultat.)

Résolution 762