Séance du jeudi 12 octobre 2023 à 20h30
3e législature - 1re année - 5e session - 26e séance

R 1020
Proposition de résolution de Louise Trottet, Léo Peterschmitt, Marjorie de Chastonay, Céline Bartolomucci, Sophie Bobillier, Jean-Pierre Tombola, Grégoire Carasso, Jacklean Kalibala, Philippe de Rougemont, Nicole Valiquer Grecuccio, Lara Atassi, Angèle-Marie Habiyakare, Cédric Jeanneret, Sophie Demaurex, Julien Nicolet-dit-Félix pour une caisse maladie publique cantonale unique à Genève (Résolution du Grand Conseil genevois à l'Assemblée fédérale exerçant le droit d'initiative cantonale)
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session V des 12 et 13 octobre 2023.

Débat

La présidente. Notre seconde urgence... (Brouhaha.) S'il vous plaît ! S'il vous plaît, Messieurs au fond ! (Brouhaha.) Monsieur Desfayes ! (Brouhaha.) Monsieur Desfayes, Monsieur Béné ! (Remarque.) Merci, j'aimerais continuer la plénière, si ça ne vous ennuie pas ! (Remarque.) Nous passons à notre seconde urgence, la R 1020, qui est classée en catégorie II, trente minutes. La parole est à la première signataire, Mme Louise Trottet.

Mme Louise Trottet (Ve). Merci, Madame la présidente. Mesdames et Messieurs les députés, depuis le début du millénaire, nos primes ont augmenté de 160%. C'est-à-dire que nous payons aujourd'hui environ deux - voire trois - fois plus cher pour des soins relativement similaires, si l'on excepte certains traitements oncologiques très chers. Il va de soi que les salaires, les coûts de la santé, la longévité ou encore la qualité des soins n'ont pas suivi cette évolution-là. Cette augmentation des primes, par ricochet, affecte aussi les finances de l'Etat: on l'a déjà dit, 30% de la population genevoise a recours aux subsides pour payer ses primes maladie. Alors qui paie le plus cher cette augmentation ? C'est bien évidemment la classe moyenne inférieure, celle qui est à la limite des barèmes et ne bénéficie pas des subsides, et doit en plus supporter le reste des coûts de la vie, qu'elle paie également au prix fort.

La Suisse fait figure de cavalier seul avec son système d'assurance-maladie actuel, qui mélange obligation d'assurance et de remboursement, avec un vivier unique de caisses maladie privées qui se disputent les bons risques à coup de publicités coûteuses et de concurrence, une concurrence qui, on l'a dit, coûte extrêmement cher en matière de gestion administrative avec les changements de caisse. Vu que les assurés peuvent voguer chaque année vers des primes moins chères dans d'autres caisses, cet essaim de firmes n'a absolument aucun intérêt à investir dans la promotion de la santé ! Pourquoi est-ce qu'on ferait de la prévention pour des gens qui vont partir pour une autre caisse l'année d'après ? Il n'y a aucun intérêt, d'un point de vue néolibéral. Selon sa créatrice Ruth Dreifuss, la LAMal aurait dû être rapidement réformée après sa mise en oeuvre, ce qui n'a pas été fait. Si les coûts de la santé continuent également à augmenter pour d'autres causes, bien évidemment, que celles que j'ai évoquées, l'assurance-maladie constitue quand même un problème assez unique à la Suisse.

Et ce problème a une solution, en tout cas pour les Verts: cette solution s'appelle la caisse maladie unique. Elle avait été acceptée à Genève en 2014, lors de la votation fédérale sur cette question, et elle reste l'alternative la plus convaincante. Par cette résolution du Grand Conseil genevois destinée aux Chambres fédérales, nous proposons que certains cantons, à l'instar de Genève, puissent bénéficier de dérogations pour mettre en place, au niveau cantonal, des modèles d'assurance-maladie avec une caisse publique unique - et non un essaim de multiples caisses maladie. Le cadre légal ainsi modifié donnerait la possibilité, à Genève et aux autres cantons qui le souhaitent, de tester ce modèle de caisse unique, tout comme d'autres systèmes novateurs en matière de pilotage de la politique de santé. Je vous remercie pour votre attention. (Applaudissements.)

Une voix. Bravo.

M. Jean-Marc Guinchard (LC). Chères et chers collègues, je vous ai dit tout à l'heure que mes propos seraient les mêmes sur cette résolution qu'au point précédent. J'aimerais toutefois préciser une chose à l'intention de notre collègue Nicollier - vous transmettrez, Madame la présidente: les assureurs ont en main tous les revenus des médecins, s'agissant de l'assurance de base ! Font exception les revenus concernant d'éventuelles pratiques privées. Ils ont en main les revenus directs et les coûts indirects que les médecins induisent. A l'inverse, les coûts induits par la gestion administrative des assureurs, etc., ne sont pas accessibles !

Cela étant dit, nous soutiendrons cette résolution dans la mesure où, depuis une modification récente de la LAMal, les cantons peuvent effectivement lancer des projets pilotes en matière d'assurance-maladie. Neuchâtel a par exemple lancé un superbe projet pilote de développement d'un réseau intégré; à Genève, autre exemple, deux maisons de santé essaient justement de promouvoir ces réseaux de soins intégrés. Je vous remercie donc de suivre la position du Centre et d'accepter cette résolution.

Mme Jacklean Kalibala (S). La LAMal a été instaurée dans un contexte où des malades ne pouvaient pas avoir accès à des caisses maladie. Le but de cette loi était de garantir, à travers une assurance-maladie obligatoire, un accès équitable aux soins à tous les citoyens suisses. Avec notre système de franchises, de primes qui augmentent constamment, ce n'est plus le cas ! L'accès n'est plus garanti aux personnes qui paient l'assurance-maladie de base ! A Genève, une étude qui date de 2017 montrait déjà que 15% de la population renonçait aux soins pour des raisons financières, et le taux montait à 30% pour les revenus les plus bas ! Depuis lors, ce chiffre a encore augmenté. Les Genevois et Genevoises, les Suisses n'ont pas accès aux soins malgré le fait qu'ils paient cher une assurance-maladie de base !

Le parti socialiste a toujours soutenu une caisse publique et nous continuerons à la soutenir. Raison pour laquelle nous vous demandons d'accepter cette résolution. Merci. (Applaudissements.)

Une voix. Bravo !

M. Yves Nidegger (UDC). Chers collègues, au risque de me répéter, je dirai que la résolution est un art mineur qui n'a de sens que lorsqu'un canton souhaite porter à la connaissance des Chambres fédérales un sujet dont elles auraient l'ignorance. Ça sert à ça ! Les partis politiques qui s'apprêtent à voter une résolution à Berne sur ce sujet sont représentés, à Berne, par leurs propres élus; il n'y aurait de sens à le faire que si aucun de leurs propres élus ne trouvait l'idée suffisamment bonne pour la présenter lui-même ! La façon naturelle de fonctionner, pour le Parlement fédéral, c'est que ceux qui y sont élus présentent des projets. Les partis présents ici sont tous - presque tous - représentés à Berne, et s'ils ne trouvent personne parmi leurs propres élus fédéraux pour considérer l'idée suffisamment géniale pour être débattue et présentée sous leur nom - ordinairement, ils adorent se faire de la publicité -, c'est que, probablement, il n'y a pas de sujet ! Et c'est le cas ici !

Les Chambres fédérales débattent constamment de ce problème de la LAMal: M. Berset s'en va bientôt, après avoir été incapable de réformer un système que tout le monde dit malade depuis bien avant qu'il soit élu à ce poste. Les parlementaires fédéraux ont exploré la question de la caisse publique au plan fédéral, l'opportunité d'avoir des caisses publiques au niveau cantonal; nous ne ferions strictement rien d'autre, avec cette résolution, que de nous faire plaisir à nous-mêmes en nous disant, et en disant à nos électeurs potentiels, que nous sommes décidément très virils et faisons quelque chose plutôt que rien ! Cette démarche - pour l'avoir connue de l'autre côté de la caméra, c'est-à-dire comme celui qui reçoit, parmi d'autres à Berne, les résolutions genevoises, je peux vous le dire, et je vous l'ai déjà dit un certain nombre de fois mais, semble-t-il, sans succès - est une démonstration qui malheureusement, à part agacer les Chambres sur le sujet que l'on voudrait leur rendre sympathique, n'a strictement aucun effet.

Alors votez cela si vous le souhaitez; ça vous fera plaisir. Léman Bleu vous montrera peut-être en train de voter, d'appuyer de manière très virile sur le bouton vert...

Une voix. Oh, mais non! (Remarque. Rires.)

M. Yves Nidegger. ...en disant oui à la chose, mais fondamentalement, ça n'aura aucun effet d'aucune sorte, à Berne, sinon celui de vous faire plaisir ici. C'est pourquoi je ne voterai évidemment pas une résolution. Quant à l'idée qu'une caisse publique, parce qu'elle serait peuplée de fonctionnaires, travaillerait pour moins cher et plus efficacement que des caisses privées, laissez-moi exprimer un léger doute sur le fond ! (Rire.)

M. Mauro Poggia (MCG). Mesdames et Messieurs les députés, je peux vous dire que le groupe MCG, une fois à Berne, ne sera pas agacé par les résolutions intelligentes que lui adressera ce parlement ! (Applaudissements.)

Une voix. Ah !

Une autre voix. Ah, c'est bien !

M. Mauro Poggia. Celle-ci en fait partie. Nous avons néanmoins déposé, par ma plume, une demande d'amendement modeste, simplement pour compléter le travail d'examen qui est sollicité des Chambres fédérales, parce que la création de caisses cantonales uniques, comme vous le savez, implique aussi que ces caisses fassent tout le travail effectué par les caisses privées actuelles - y compris le contrôle des factures, travail qu'elles font quand même assez bien, il faut le dire. Le but n'étant pas d'engager des centaines de nouveaux fonctionnaires, l'adjonction qui vous est proposée dans l'amendement précise donc «ou de caisses de compensation cantonales». Ces caisses de compensation fixeront les primes, les encaisseront et s'occuperont de la compensation non des risques, mais des coûts réels entre l'ensemble des assurés du territoire qu'elles concerneront - Genève, mais peut-être, demain, la région. Il est donc important que cette alternative soit examinée pour laisser, par le biais de mandats de prestations, la possibilité aux différentes caisses privées existant actuellement de faire le travail qu'elles ne font finalement pas si mal, qui est celui de contrôler les factures. Avec cette adjonction figurant dans l'amendement qui vous est proposé, le MCG soutiendra par conséquent cette résolution. Je vous remercie.

Mme Louise Trottet (Ve). M. Nidegger - vous transmettrez, Madame la présidente - a décidément l'air bien nostalgique de Berne; on pourrait presque se demander pourquoi il est venu chez nous. Petite précision pour répondre sur le fond: les contextes changent et certains objets échouent parfois la première fois qu'ils sont présentés en votation. C'est le cas par exemple de la caisse unique. En 2014, si elle a échoué en votation fédérale, elle a été acceptée à Genève; nous avons été un peu précurseurs, comme d'ailleurs sur pas mal d'objets.

Le contexte est quand même très différent aujourd'hui, avec une crise économique qu'il n'y avait pas en 2014, des primes qui ont enflé comme jamais, des familles qui ne savent simplement pas comment elles vont boucler leurs fins de mois. Le «momentum», pour utiliser un mot qui n'est pas français, a par conséquent un petit peu changé s'agissant de cette thématique; c'est pourquoi on s'est dit que ce serait une bonne idée de réessayer, et donc oui, nous remettons le couvert avec cet objet.

Et puis porter la voix du canton à Berne, ce n'est pas tout à fait la même chose que si un élu fédéral dépose un texte. Enfin, je n'en sais finalement pas grand-chose, moi: je n'ai pas été conseillère nationale, et je m'excuse donc de m'avancer autant ! Merci, Madame la présidente. (Applaudissements.)

M. Jean-Marc Guinchard (LC). Chères et chers collègues, j'aimerais tout d'abord remercier chaleureusement le MCG, et en particulier notre collègue Mauro Poggia, qui reprend l'excellente motion déposée par Le Centre relative au modèle d'une caisse de compensation cantonale, qui afficherait une bien plus grande transparence - motion malheureusement refusée par ce plénum alors que nous en demandions l'urgence; elle aurait pu être traitée, et renvoyée au Conseil d'Etat, en même temps que la M 2953.

A l'attention de M. Nidegger - vous transmettrez, Madame la présidente -, qui s'inquiète du salaire des fonctionnaires qui seraient occupés dans cette caisse de compensation, je dirai que le directeur de cette caisse ne touchera jamais entre 500 000 et 900 000 francs par année ! Je vous remercie. (Applaudissements.)

Des voix. Bravo !

M. Pierre Nicollier (PLR). Madame la présidente, chers collègues, nous avons maintenant une résolution, après la motion que nous venons de voter. Pour rappel, il existe un article de la LAMal - l'article 59b, mentionné dans la motion précédente - qui stipule qu'il est possible de mener des projets pilotes. On pourrait donc demander au Conseil d'Etat de mener un projet pilote ! Je ne comprends pas très bien le sens de cette résolution, qui à mon avis n'en a aucun !

On va créer, ou on souhaite créer à travers cette résolution une caisse maladie avec un collectif réduit: il n'y aura que les Genevois, qui devront eux-mêmes payer le développement informatique d'une caisse maladie. On a vu comme le canton est efficace, avec un DEP (dossier électronique du patient) très très performant après quinze ans de développement... (Rire.) ...un système de vote électronique qui fonctionne... Ah, qui ne fonctionne plus ! Et vous souhaitez donc que le canton s'occupe maintenant de développer tout un back-office pour pouvoir gérer une caisse, créer une administration distincte. Il faut savoir que les coûts administratifs des caisses représentent entre 3% et 6% de la facture; eh bien ces coûts-là, il faudra les distribuer sur les patients genevois et sur la population cantonale plutôt que sur un collectif beaucoup plus grand, à travers toute la Suisse.

C'est donc une résolution qui montre un manque crasse de compréhension du système, et je demande un renvoi à la commission de la santé pour pouvoir étudier la question et ramener à la raison une partie de notre auditoire. Merci beaucoup.

La présidente. Je vous remercie. La parole va à M. Mauro Poggia pour une minute vingt-cinq.

M. Mauro Poggia (MCG). Je vous remercie, Madame la présidente; je prends très brièvement la parole pour répondre à M. Nicollier, à qui vous transmettrez. La loi actuelle ne permet pas d'intégrer dans les projets, tels que la LAMal les énonce, la création de caisses cantonales, qu'elles soient publiques ou de compensation. M. Berset me l'a encore confirmé lorsque j'étais dans le comité des directeurs de la santé, malheureusement - il le regrettait, mais c'était un constat, partagé également par son office. Ce n'est donc que par un changement de la LAMal que cette possibilité peut être offerte aux cantons qui le souhaitent.

M. Pierre Maudet, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, M. Poggia m'enlève les mots de la bouche: il est nécessaire d'agir également à l'échelon fédéral, la législation actuelle interdisant par anticipation d'envisager certains modèles. Les deux évoqués ici sont en effet incompatibles avec le droit; voter cette résolution, c'est donc donner le signe - un signe important pour le gouvernement, à l'instar du vote précédent qui donne un signe extrêmement fort, à savoir que le statu quo n'est pas admissible et qu'envisager une caisse publique constitue un élément fondamental de la politique que nous allons développer ces prochaines années - que nous devons, nous, le Conseil d'Etat, faire également un travail auprès des élus fédéraux pour que la LAMal s'adapte à ces différents modèles.

Et je le dis très clairement ici: il n'y aura pas de tabou, pas d'a priori, pas d'exclusive. Nous devons pouvoir envisager un modèle de caisse de compensation, nous devons pouvoir envisager un modèle de caisse unique, nous devons bien évidemment pouvoir envisager un modèle de caisse publique pour des impératifs de transparence. Ce sont ces éléments qui vont guider, encore une fois sans préalable, notre réflexion - une réflexion qui se veut rapide, orientée sur des propositions concrètes - et nous nous réjouissons, plutôt que de l'envoyer en commission et d'y passer quelques mois, même si c'est un peu l'inverse de ce que l'on fait d'habitude, n'en déplaise au groupe PLR, que vous envoyiez le dossier au Conseil d'Etat: il le fera sien, puis le rendra au parlement pour une décision. L'urgence est là, vous l'avez toutes et tous dit: nous ne pouvons pas nous payer, en 2024, le psychodrame que nous connaissons aujourd'hui, qui pèse encore très lourdement sur chacune et chacun dans notre pays, et dans notre canton en particulier. Nous nous faisons donc fort de considérer cela comme une priorité si vous nous donnez ce signal, comme vous l'avez fait avec la motion précédente. Merci.

La présidente. Je vous remercie. Mesdames et Messieurs les députés, nous allons voter en premier lieu sur la demande de renvoi à la commission de la santé.

Mis aux voix, le renvoi de la proposition de résolution 1020 à la commission de la santé est rejeté par 65 non contre 31 oui.

La présidente. Nous sommes saisis d'un amendement de M. Mauro Poggia qui modifie l'invite. Vous venez de le recevoir; je vous le lis:

«Invite (nouvelle teneur)

demande à l'Assemblée fédérale

de mettre en place une base légale permettant aux cantons la création de caisses cantonales uniques ou de caisses de compensation cantonales comme d'expérimenter des modèles alternatifs de pilotage de la politique de la santé,

invite le Conseil d'Etat

à soutenir cette initiative cantonale.»

Mis aux voix, cet amendement est adopté par 66 oui contre 30 non.

Mise aux voix, la résolution 1020 ainsi amendée est adoptée et renvoyée à l'Assemblée fédérale et au Conseil d'Etat par 65 oui contre 32 non (vote nominal). (Applaudissements à l'annonce du résultat.)

Résolution 1020 Vote nominal