Séance du vendredi 1 septembre 2023 à 14h
3e législature - 1re année - 3e session - 18e séance

PL 12205-A
Rapport de la commission de la santé chargée d'étudier le projet de loi de Mmes et MM. François Lefort, Boris Calame, Mathias Buschbeck, Frédérique Perler, Esther Hartmann, Delphine Klopfenstein Broggini, Guillaume Käser, Magali Orsini, Roger Deneys, Jocelyne Haller, Cyril Mizrahi, Lydia Schneider Hausser modifiant la loi sur les établissements publics médicaux (LEPM) (K 2 05) (Pas de commercialisation du recouvrement)
Ce texte figure dans le volume du Mémorial «Annexes: objets nouveaux» de la session I des 20, 21 mai, 3 et 4 juin 2021.
Rapport de majorité de M. Bertrand Buchs (PDC)
Rapport de minorité de Mme Marjorie de Chastonay (Ve)

Premier débat

La présidente. Nous abordons le PL 12205-A, classé en catégorie II, trente minutes. Je donne la parole au rapporteur de majorité, M. Jean-Marc Guinchard.

M. Jean-Marc Guinchard (LC), rapporteur de majorité ad interim. Merci, Madame la présidente. Mesdames et Messieurs, chères et chers collègues, je tiens à préciser que j'ai repris au vol le rapport de notre ancien collègue Bertrand Buchs et que ce sera le cas pour plusieurs des objets que nous allons traiter.

Ce projet de loi fait suite à un élément fâcheux intervenu au sein des Hôpitaux universitaires de Genève, dont vous vous souvenez certainement. Les hôpitaux mandataient à l'époque un prestataire externe chargé de récupérer toute une série de créances. C'est une pratique qui se fait sous d'autres cieux et au sein d'autres entreprises, qui est d'ailleurs parfois assez critiquée, compte tenu des méthodes un petit peu dures ou arbitraires utilisées par ces mandataires. Or, il s'est avéré que ceux-ci s'étaient rendus coupables d'un comportement délictueux et qu'il y avait réellement eu une escroquerie, qui a été jugée comme telle, portant notamment sur des honoraires fallacieux ou largement exagérés. Tout le monde s'en souvient.

La commission s'est penchée sur ce projet de loi, et la majorité des commissaires - je tiens à préciser, par honnêteté, que c'est une courte majorité de 8 contre 7 - est arrivée à la conclusion qu'il était nécessaire de refuser l'entrée en matière, après avoir bien sûr auditionné toutes les parties concernées, que ce soit le magistrat chargé du département ou les HUG, estimant que depuis le dépôt de ce projet de loi en 2017, la situation de la gestion des créances a complètement changé aux HUG. En effet, la gestion de ces créances a été réinternalisée dans des services des HUG, à l'exception de celles dues par des ressortissants de pays tiers, pour lesquelles il est nécessaire en général de faire venir des avocats pour des procédures beaucoup plus compliquées et beaucoup plus longues.

Le projet de loi en question ne pourra pas faire changer la pratique liée aux pays tiers. Quant à la demande d'intervention de l'office cantonal des poursuites qui a été formulée et qui a abouti à l'audition de celui-ci, son responsable a bien expliqué que ce n'était pas le rôle de cet office et que l'application de ce projet de loi serait très problématique.

Pour toutes ces raisons, la majorité de la commission vous propose de refuser l'entrée en matière. Je vous remercie.

Mme Marjorie de Chastonay (Ve), rapporteuse de minorité. Effectivement, plusieurs années ont passé depuis nos travaux en commission, mais il est important de rappeler le contexte. Ce projet de loi émane de M. François Lefort, qui l'avait déposé en novembre 2017. Des sociétés de recouvrement privé, à cette époque-là, faisaient l'objet de plaintes quotidiennes, comme cela a été mentionné, notamment auprès de la FRC. Leur comportement était considéré comme abusif à cause de pratiques agressives et de procédés à la limite de la légalité, selon certains articles de presse. (Brouhaha.)

Aujourd'hui, nous avons décidé de maintenir ce projet de loi qui vise à interdire aux HUG le recours à des sociétés privées pour le recouvrement, même s'il a été refusé par la commission de la santé, parce qu'il est important d'inscrire cela dans un cadre légal. Bien que les HUG aient aujourd'hui réinternalisé le recouvrement de toutes les assurances et des patients suisses, il est important de prévenir la survenue de nouveaux problèmes et d'éviter qu'en cas de changement de stratégie... (Brouhaha.) S'il vous plaît ! Ce n'est juste pas possible ! Je ne m'entends pas parler !

La présidente. Oui, je vous remercie, je partage votre constat. Mesdames et Messieurs, si vous devez vous déplacer et vous éloigner de votre place pour des discussions, l'idéal, c'est d'aller carrément à l'extérieur ! C'est parfait. Allez-y, Madame la rapporteure.

Mme Marjorie de Chastonay. Merci, Madame la présidente. C'est pour ces raisons que nous maintenons le projet de loi: pour mettre à l'abri toutes les personnes qui seraient en situation de vulnérabilité et pour qu'on puisse les accompagner socialement, humainement et non pas mandater une entreprise pour les harceler. C'est important d'avoir un cadre légal pour être sûr que cette stratégie des HUG soit maintenue et qu'il n'y ait pas un nouveau scandale qui éclate.

Ensemble à Gauche avait déposé une proposition d'amendement, soutenue par les Vertes et les Verts - je ne vais pas vous le lire, mais vous pouvez le trouver dans mon rapport de minorité - et que je propose de voter. Il s'agit de supprimer la version initiale de l'alinéa 2, puisqu'il y avait une incompatibilité avec le droit supérieur. L'amendement ajoute ces précisions, même si c'est un petit peu technique. Cela amène aussi plus de cohérence en ancrant dans la loi ces dispositions qui sont nécessaires afin qu'il n'y ait plus jamais d'abus à ce niveau-là. Je vous remercie.

Mme Jennifer Conti (S). Mesdames et Messieurs les députés, ce n'est pas une information inédite, les patients assurés sont clairement le maillon faible de notre système de santé: on paie, mais on ne décide de rien. Nos droits sont dérisoires face à ce système de santé piloté par des assureurs maladie qui s'enrichissent sur le dos des malades. L'explosion des primes d'assurance-maladie nous le démontre, privatiser notre système de santé se fait toujours au détriment des patients, des assurés.

Concrètement, ce projet de loi, c'est quoi ? En résumé, c'est uniquement renforcer les droits des patients, les droits des assurés, en empêchant la privatisation complète du recouvrement des factures non payées. Lors de nos auditions, l'Association pour la permanence de défense des patients et des assurés nous l'a dit clairement: ces sociétés de recouvrement ont des pratiques ultra-agressives, avec des courriers menaçant d'enregistrer les débiteurs dans un fichier de mauvais payeurs, avec bien sûr des frais supplémentaires exorbitants.

Malheureusement, une courte majorité de la commission de la santé a renoncé à entrer en matière sur ce projet de loi, alors qu'à la suite de nos travaux... Je vais lire l'amendement. Pourquoi ? Parce qu'il propose uniquement un cadre et pas une énième usine à gaz. Il dit simplement ceci: «Le recours à des agents d'affaires au sens de la loi réglementant la profession d'agent d'affaires (LPAA) ou à des sociétés privées de recouvrement est exclusivement limité aux litiges relatifs à des créanciers résidant hors du champ d'intervention de l'office des poursuites et à des contentieux particulièrement complexes.»

Certes, à présent, les HUG ont complètement changé de pratique et recourent à l'externalisation uniquement lorsque les patients résident à l'étranger. Mais imaginons que demain, la direction des HUG change complètement: elle n'a aucun, absolument aucun cadre légal qui l'empêche de recourir à nouveau à des prestataires externes pour se charger de ce fameux recouvrement. Pour renforcer les droits de patients, nous vous invitons donc à soutenir ce projet de loi. Merci.

M. Patrick Lussi (UDC), député suppléant. Il est toujours intéressant de voir l'effet du temps entre le dépôt d'un projet de loi - pour celui-ci, en 2017 -, le dépôt du rapport - 2021 ici - et l'évolution de la situation. Je crois que ma préopinante socialiste l'a dit, les HUG ont changé de pratique, du moins leur service comptable. Ils ne recourent plus systématiquement à ces sociétés de recouvrement, sauf dans les cas qui ont été cités.

Alors que faire ? Nous en avons discuté au sein du groupe. Si vous lisez le rapport, nous devrions être du côté de la rapporteuse de minorité, puisque notre commissaire UDC de l'époque, bien qu'il ait toujours été partagé, disait que c'était peut-être mieux. En discutant au sein du groupe, nous nous sommes aperçus qu'il faut aussi faire confiance à ce qui se passe et non imaginer le pire, dont on n'est pas sûr, chère préopinante, qu'il est susceptible de se produire.

Raison pour laquelle, pour faire court, le groupe UDC a décidé de laisser la liberté de vote à nos membres s'agissant de ce projet de loi, bien que nous soyons de plus en plus enclins à penser qu'il faut l'accepter. Merci.

M. François Baertschi (MCG). Nous nous retrouvons une fois de plus avec une bonne idée, qui vient des suites d'un problème. Problème qui a été largement étalé dans les médias et qui était, il est vrai, tout à fait scandaleux. Il était scandaleux en raison du fait que notre hôpital cantonal avait réussi à faire passer un dysfonctionnement massif: des recouvrements de factures se faisaient de manière industrielle et complètement illégale.

Des problèmes, il y en aura toujours et il peut y en avoir de très gros, si le contrôle n'est pas fait. Mais la responsabilité venait des HUG de l'époque et également de notre Grand Conseil, qui n'a pas fait son travail de surveillance comme il aurait dû le faire, ou des organismes de surveillance, qui n'ont pas fait leur tâche. Pour autant, il ne faut d'aucune manière créer un nouveau carcan, avec des mesures bureaucratiques qui auront un coût et qui seront inefficaces, avec des mauvais payeurs et des profiteurs qui ne pourront pas être attrapés du fait de ces mesures inadéquates.

Il faut véritablement faire confiance à ceux qui gèrent. Et n'enlevons pas au Grand Conseil sa responsabilité, sa responsabilité de haute surveillance des HUG. Arrêtons de nous protéger derrière des lois qui ne servent à rien, parce qu'on a vu que le problème qui existait a pu être réglé par les HUG à satisfaction. C'est allé devant les tribunaux, l'affaire a été réglée, heureusement.

A force de vouloir tout organiser, de faire une sorte de «Gosplan» à la soviétique, où on regarde la taille de chaque vis et où on l'indique dans des lois tatillonnes, des lois qui relèvent d'une certaine idéologique bureaucratique de certains groupes parlementaires... Non, je crois qu'il faut laisser la responsabilité et la liberté à chacun, avec, bien évidemment, le contrôle démocratique. C'est cela qui doit primer et non pas des lois qui nous font perdre du temps, de l'énergie et de l'argent. Il faut donc à tout prix refuser ce projet de loi. Merci, Madame la présidente.

M. Pierre Conne (PLR). Le groupe PLR refusera ce projet de loi. Je rappellerai que ce qui y avait donné lieu était essentiellement une escroquerie. Les coupables ont été identifiés et jugés. Et pour qu'il y ait des escrocs, il faut qu'il y ait des lois. Ce n'est donc pas en changeant les lois que l'on va éviter les escroqueries. Tout l'argumentaire consistant à dire que cette loi est dans l'intérêt du patient est inexact. Je vous rappelle que les HUG, pour les patients en assurance de base, sont en tiers payant. Il n'y a donc pas de contentieux qui oppose directement un patient aux HUG pour les factures relevant de l'assurance de base. Il en va bien sûr autrement pour les assurances complémentaires privées et pour des patients étrangers, ce qui correspond aux cas particuliers.

Ce projet de loi doit être rejeté, d'abord parce que, comme cela a été bien dit, l'OCP est un organe d'exécution, ce n'est pas un organe de recouvrement; parce que le recouvrement est géré par le droit supérieur et parce qu'aujourd'hui, cette question du recouvrement a été réglée par les HUG, une fois de plus, sans que ceux-ci se soient vu imposer un projet de loi. La situation actuelle est donc tout à fait saine. S'il y a un jour - et il y en aura peut-être - une autre escroquerie, ce n'est pas pour autant qu'il faudra élaborer un nouveau texte, quel que soit le sujet. Pour conclure, rejetons ce projet de loi. Je vous remercie, Madame la présidente.

La présidente. Je vous remercie. La parole n'étant plus demandée, nous allons pouvoir procéder au vote.

Mis aux voix, le projet de loi 12205 est rejeté en premier débat par 44 non contre 36 oui et 3 abstentions.