Séance du vendredi 18 mars 2016 à 18h15
1re législature - 3e année - 2e session - 10e séance

R 725
Proposition de résolution de Mme et MM. Patrick Lussi, Christina Meissner, Bernhard Riedweg, Stéphane Florey : Viande reconstituée à partir de bas morceaux, de sang et de déchets : défendons nos consommateurs et nos producteurs, pas les magouilleurs !
Ce texte figure dans le «Recueil des objets déposés et non traités durant la 57e législature».

Débat

Le président. Nous passons au point suivant de notre ordre du jour, soit la R 725. Le débat est classé en catégorie II, trente minutes, et la parole revient à M. Eric Leyvraz.

M. Eric Leyvraz (UDC). Merci, Monsieur le président. Le consommateur suisse a découvert il n'y a pas si longtemps qu'il mangeait parfois du minerai de viande, un terme qui cache une réalité plutôt inquiétante: il s'agit de viande de deuxième ordre, de chutes, de carcasses d'animaux...

Une voix. Miam, miam !

M. Eric Leyvraz. On en fait de gros blocs allant jusqu'à 25 kilos, lesquels sont vendus à l'industrie agroalimentaire. Ça représente un certain volume parce qu'on estime qu'en France, cette sorte de viande recomposée ne constitue pas loin de 20% de la viande bovine consommée. Avant, ces produits partaient pour beaucoup à l'équarrissage, mais comme ça coûte cinq fois moins cher que le vrai bifteck, ce marché se développe. Et bien sûr, certains en profitent pour y ajouter n'importe quoi: des viscères, des tendons, des broyats d'os, du sang. Ne parlons pas davantage de ce qui se dissimule en Europe sous le nom de viande hachée, qui peut contenir, en sus du boeuf, de la volaille, du lapin, de la chèvre, du cheval... Bon appétit ! Merci le principe du cassis de Dijon, qui permet de faire entrer en Suisse tout ce qui est autorisé en Europe, et vive Bruxelles ! Le peuple s'est fait avoir avec cette promesse de baisse des prix liée au principe du cassis de Dijon, c'était un mensonge parce que la seule réalité a été une baisse de qualité autorisée pour la nourriture.

C'est un système à deux vitesses: en Suisse, quand on parle des indications sur les produits alimentaires, les chimistes cantonaux font les malins; je me souviens à ce propos qu'on m'avait demandé de refaire des étiquettes indiquant le degré d'alcool sur mes bouteilles parce que - ô crime majeur ! - au lieu de mesurer 4 millimètres, elles en mesuraient 3.8 ! Dans le même temps, sur les produits qui nous viennent directement d'Europe, il faut un microscope de poche pour trouver les informations en français, qui se cachent entre celles en finnois et en serbo-croate ! Deux poids, deux mesures, donc. Mesdames et Messieurs, je vous demande de réagir et d'accepter cette résolution parce que nous avons besoin de transparence sur ce que nous mangeons, sur ce qu'on nous impose comme nourriture. Aussi, renvoyons cette résolution à Berne - ainsi que la prochaine, d'ailleurs.

Quand je vois tout ça, je pense au sympathique humoriste des années soixante et septante Jacques Bodoin, que les anciens connaissent peut-être encore et qui faisait de bons sketches. Dans l'une de ses histoires, il devait goûter un plat épouvantable et concluait ainsi: «Tout d'abord, j'ai cru que c'était de la crotte. [...] Et puis alors après, une fois que j'y ai eu goûté, [...] j'ai regretté que ça n'en fût pas !» Voilà.

Une voix. C'était de la panse de brebis farcie !

Le président. Merci, Monsieur le député. Il s'agissait de panse de brebis farcie !

Des voix. Exactement !

Le président. Avant de donner la parole à Mme la députée Isabelle Brunier, je vous présente mes regrets, Mesdames et Messieurs, de devoir vous infliger ces descriptions juste avant l'heure du repas. Madame Brunier, c'est à vous.

Mme Isabelle Brunier (S). Merci, Monsieur le président. En effet, le menu n'est guère appétissant mais le groupe socialiste a néanmoins décidé de s'attabler pour l'étudier avec circonspection. Voilà d'ailleurs pourquoi nous proposons, avant de renvoyer cette résolution à Berne, de l'étudier en commission de l'environnement et de l'agriculture afin d'en vérifier les termes et les informations, et ainsi éviter de se faire moquer pour une éventuelle xième Genferei. Même si le menu n'est pas appétissant, nous considérons que la malbouffe doit être combattue à tous les niveaux, quelle qu'en soit la provenance. En effet, on a l'air de stigmatiser ici la provenance étrangère; qui sait, peut-être de telles productions sont-elles également une réalité en Suisse ? Nous ne le savons pas et c'est la raison pour laquelle nous proposons, avant d'accepter cette résolution et de la renvoyer à Berne, de l'étudier d'abord en commission. Merci.

Une voix. Bravo ! (Quelques applaudissements.)

M. Mathias Buschbeck (Ve). Chères et chers collègues, les Verts accueillent cette proposition de résolution avec beaucoup de bienveillance. Nous sommes contents d'être rejoints par l'UDC sur les critiques contre le principe du cassis de Dijon, contre lequel nous avions d'ailleurs lancé un référendum qui n'avait malheureusement pas abouti au moment de son adoption par les Chambres fédérales. Il s'agit d'un problème important, qui grève tant les producteurs que les consommateurs suisses puisque nous nous retrouvons avec des aliments de mauvaise qualité dans nos assiettes. Ici, c'est le cas de la viande mais, plus globalement, cela concerne tous les aliments qui peuvent être importés selon les normes européennes et pas selon les normes suisses, celles-là même que nous imposons, à raison et à juste titre, à nos producteurs pour élaborer de la nourriture de qualité.

Bien évidemment, les Verts soutiendront cette résolution, comme ils vous invitent à soutenir le principe plus général d'encourager nos agriculteurs en ne permettant plus l'importation de denrées ne répondant pas aux standards imposés en Suisse. Cela correspond d'ailleurs exactement au texte de l'initiative pour des aliments équitables que les Verts ont déposée à Berne, laquelle demande justement que la nourriture importée réponde aux mêmes critères que ceux fixés pour les produits en Suisse. Ainsi, nous garantissons des aliments de qualité pour les consommateurs et un peu de justice pour le monde paysan et agricole helvétique, qui en a bien besoin. Je vous remercie.

M. Guy Mettan (PDC). Au début, le parti démocrate-chrétien a quelque peu hésité sur le sort à réserver à cette résolution mais, en l'examinant attentivement, il s'est rendu compte qu'elle mettait le doigt sur un vrai problème; aussi est-elle intéressante et mérite-t-elle d'être étudiée. Il s'agit surtout de déterminer s'il faut la renvoyer à la commission de l'environnement et de l'agriculture ou à celle de la santé. En effet, d'après les descriptions qui nous sont faites, je suis d'accord avec les signataires pour dire qu'il s'agit plutôt d'une question de malbouffe mettant en cause notre santé. On peut décider de la renvoyer à la commission de la santé ou à celle de l'environnement et de l'agriculture, c'est un peu égal même si, à nos yeux, il s'agit davantage d'une question de santé que d'agriculture. Dans tous les cas, ça ne change pas la réflexion sur le fond; cette résolution est intéressante et mérite d'être étudiée, et on verra le cas échéant s'il faut la renvoyer à Berne ou non.

Le président. Merci, Monsieur le député. S'agit-il d'une demande formelle de renvoi à la commission de la santé ?

M. Guy Mettan. Oui, disons que oui.

Le président. Merci pour cette précision. Je cède la parole à M. le député Jean Batou.

M. Jean Batou (EAG). Merci, Monsieur le président. Pour le groupe Ensemble à Gauche, il est évident qu'une nourriture de ce type doit absolument être retenue à la frontière et que nous sommes favorables à une véritable souveraineté alimentaire - sur ce point-là, il pourrait peut-être y avoir des convergences intéressantes. En effet, il s'agit de prioriser de manière systématique la petite agriculture de qualité, comme le revendique l'initiative pour la souveraineté alimentaire qui va être déposée prochainement, dont la principale organisation porteuse est Uniterre et que le groupe Ensemble à Gauche et moi-même avons soutenue. Je pense qu'on prend, à travers la question de la viande de mauvaise qualité, le problème par un bout, mais plus on tirera sur cette ficelle, plus on se rendra compte que la malbouffe est un sujet extrêmement important et diffusé et qu'il faut instaurer des mesures systématiques à l'échelle fédérale afin de garantir à la fois le maintien d'une petite agriculture et la qualité de l'alimentation, tout en évitant des transports sur longue distance d'aliments qui peuvent être produits ici selon des critères de qualité supérieurs. Merci.

M. Georges Vuillod (PLR). Mesdames et Messieurs les députés, cette résolution reprend des problématiques connues s'agissant tant des produits carnés que d'autres denrées alimentaires. Le principe du cassis de Dijon permettant la reconnaissance des règles d'étiquetage et de production - cela a été voulu ainsi par la Confédération - il peut en effet induire en erreur le consommateur qui ne s'y retrouve plus tant les législations sur l'étiquetage et les normes de production sont différentes suivant les pays.

Il existe une autre solution à Genève, qui ne nécessite ni de légiférer ni d'imposer quoi que ce soit pour garantir des approvisionnements de qualité: c'est assez simple, il s'agit d'adapter ses habitudes de consommation, par exemple en achetant des produits labellisés «Genève Région - Terre Avenir»... (Exclamations. Quelques applaudissements.) ...lesquels sont contrôlés dans et par le canton, propriétaire de la marque. Dans un deuxième temps, on peut consommer suisse, les règles d'étiquetage et de production helvétiques étant assez claires. Mais surtout, il ne faut jamais oublier que les consommateurs ont le pouvoir d'orienter l'offre dans les commerces de par leurs choix de consommation.

Malgré la justesse de l'exposé des motifs, nous pensons qu'il est préférable de continuer à informer les consommateurs des alternatives existantes et d'en faire la promotion plutôt que de tenter, par notre seul droit d'initiative, de faire entrer en débat les Chambres fédérales. Cependant, afin de vérifier si notre analyse est correcte, nous soutiendrons tout de même la demande de renvoi à la commission de la santé. Merci.

M. Eric Leyvraz (UDC). Très rapidement, Monsieur le président, j'aimerais répondre à une question posée par une préopinante. Nous faisons aujourd'hui face à un problème auquel le Conseil fédéral n'avait pas songé - et il est d'ailleurs en train d'auditionner les cantons pour y trouver une solution - à savoir la mise sur le marché de produits fabriqués en Suisse selon des normes européennes inférieures mais qui portent quand même le label suisse, ce qui est une tromperie vis-à-vis du consommateur, lequel pense manger un produit élaboré selon les normes helvétiques alors que ce n'est pas le cas. Il s'agit là d'une raison de plus pour intervenir à ce sujet. Merci.

M. Patrick Dimier (MCG), député suppléant. Ainsi que ça a été signalé par plusieurs d'entre nous, il s'agit d'une question d'ordre fédéral, et il ne faut bien entendu pas se priver de faire fonctionner nos droits. Je relève aussi la problématique de la production locale, et c'est de celle-ci qu'il est question ici. Nous savons - nous l'avons vécu, l'histoire nous l'a montré - qu'on peut produire du blé en manoeuvrant des farines animales, on peut également condamner les consommateurs à mal s'alimenter en manipulant l'information. Dans le cas présent, comme on dit à Dijon... (Exclamations.) Ah, mais oui...! (Quelques applaudissements.) Merci, c'est trop d'honneur ! ...c'est l'occasion de renvoyer ça en commission, c'est là qu'on fait nos achats, notamment pour manger !

M. Mauro Poggia, conseiller d'Etat. Mesdames et Messieurs les députés, comme vous l'avez dit, il s'agit d'une question de droit fédéral, et c'est la raison pour laquelle cette proposition de résolution nous demande d'interpeller le Conseil fédéral. Il faut savoir que depuis l'entrée en vigueur des accords de Schengen, il n'y a plus de contrôles ni de vétérinaires à la frontière pour vérifier les denrées importées de l'Union européenne, comme c'était le cas avant. Il faut souligner aussi que la législation suisse est identique à la législation européenne dans ce domaine. En Suisse, l'ordonnance sur les épizooties nous indique quel matériel à risque en provenance de l'animal doit être retiré après l'abattage et immédiatement détruit - puisqu'il est bientôt l'heure du dîner, je ne vous citerai pas la liste complète ! - tandis que l'article 4 de l'ordonnance du Département fédéral de l'intérieur sur les denrées alimentaires d'origine animale nous détaille les parties animales que l'on ne peut pas utiliser; le reste, en effet, peut être employé pour la production en Suisse comme dans l'Union européenne.

Le plus gros problème concerne surtout l'information, et le Conseil d'Etat était déjà intervenu dans ce sens il y a trois ans, dans le cadre des modifications législatives, pour attirer l'attention sur l'impérieuse nécessité d'indiquer le contenu de la viande mise à disposition sur nos étalages. Sur ce point, les choses n'évoluent pas franchement, et c'est vrai qu'il est difficile d'avancer seul dans ce domaine. Pour ma part, je ne vois pas d'objection à ce que ce texte soit renvoyé en commission pour que nous puissions approfondir la question et déterminer de quelle modeste manière nous pouvons, à Genève, faire en sorte que les choses s'améliorent ou en tout cas informer notre population que nous ne pouvons pas garantir le fait que le contenu des produits qui viennent d'ailleurs soit indiqué de manière totalement transparente sur l'emballage. Je vous remercie.

Le président. Merci, Monsieur le conseiller d'Etat. Nous sommes saisis de deux demandes de renvoi en commission, la première à celle de l'environnement, la seconde à celle de la santé. Je les mets aux voix l'une après l'autre.

Mis aux voix, le renvoi de la proposition de résolution 725 à la commission de l'environnement et de l'agriculture est rejeté par 53 non contre 29 oui.

Mis aux voix, le renvoi de la proposition de résolution 725 à la commission de la santé est adopté par 82 oui contre 2 non et 2 abstentions.