Ecusson de la République et du canton de Genève

REPUBLIQUE ET CANTON DE GENEVE
Département de l'aménagement, du logement et de l'énergie
Office du patrimoine et des sites


Honegger Frères (1930-1969) - Inventaire, évaluation qualitative, recommandations

fiche RHONE_88

Recensement réalisé entre 2005 et 2007 par l'Institut d'architecture de l'université de Genève (IAUG) et le Service des monuments et des sites (SMS).


dernière modification: Anaïs Lemoussu / 28.07.2015
création de la fiche: IAUG / 05.04.2006
Photographe: IAUG

Villa Les Ailes

Cologny

Chemin du Pré-Langard 19

Parcelle: 17:363

Bâtiment GE: B261

EGID: 1008810


Evaluation

Valeur: Exceptionnel

Validation: Commission des monuments, de la nature et des sites (CMNS) du 26.06.2007

Description

Nombre de bâtiments : 1
Nombre d'étages : R+1
Nombre de logements : 1

Descriptif sommaire:
La villa Les Ailes est une villa unifamiliale construite sur les coteaux de Cologny face au lac Léman.

Abords:
Le terrain qu'occupe la villa Les Ailes est un coteau faisant partie de l'ancien domaine de Ruth. Le site offre un magnifique panorama vers le lac et le Jura à l’Ouest, ce qui compense l'exigüité et l'irrégularité du terrain.

Qualité architecturale (typologie/construction):
La villa Les Ailes est structurée selon la topographie du terrain et l'orientation liée au paysage. L'entrée dans la propriété se fait par l’Est le long d'un mur qui sépare le chemin d'accès du jardin. Ce mur paysager se prolonge jusqu'à la villa à laquelle on accède par un petit perron surélevé de quelques marches. Le volume principal est ainsi placé au Nord du terrain et est constitué de deux niveaux d'habitation sur un sous-sol. Au rez-de-chaussée sont groupés les espaces de service (cuisine, toilette, chambre de bonne) placés à proximité de l'entrée et du hall. Ce hall, précédé d'un « tambour-isolateur »1 permettant d'éviter les courants d'air, donne vers le jardin à l’Ouest à travers la salle à manger et le « studio ». Ce studio, dénommé selon la même terminologie que dans la villa Vincent, est conçu à la fois comme la pièce à vivre de la maison et comme un espace de représentation. Il offre vers l’Est une paroi aveugle composée de plusieurs redents dans laquelle est intégrée une cheminée. Vers l’Ouest au contraire, la paroi s'ouvre généreusement vers le lac et fait place à une large baie vitrée occupant toute la largeur de la pièce. Cette paroi vitrée se retourne ensuite vers le Sud, c'est-à-dire vers la terrasse et le jardin. Une paroi coulissante située dans l'angle de la cheminée donne accès à la partie la plus privée de la villa réservée au maître de maison. Cet espace privatif d'un seul niveau est constitué d'une enfilade dont la première pièce est une bibliothèque qui fait office d'antichambre et donne accès à la chambre principale et à sa salle de bain. Le passage situé entre la bibliothèque et la chambre se dilate de façon à ménager un véritable dressing composé de trois panneaux dont la porte de la salle de bain occupe celui du centre.

La composition astucieuse de la façade de cette aile latérale permet d'éclairer ces trois espaces (bibliothèque, dressing, chambre) au moyen de deux grandes baies vitrées, la première étant commune à la bibliothèque et au dressing. La salle de bain dispose quant à elle de sa propre baie qui, constituée de trois panneaux de verre cathédrale translucide, occupe toute la largeur de la baignoire et forme la seule ouverture dans le mur Est de la villa. L'étage enfin, accessible depuis le hall d'entrée au moyen d'un petit escalier, donne accès à une chambre d'amis disposant de sa propre salle de bain mais surtout de sa propre terrasse occupant toute la toiture au-dessus du studio. Cette terrasse surélevée est agrémentée d'un brise-soleil constitué d'un volume creux en béton armé entièrement ouvert vers le lac et dont la paroi Est dispose de deux ouvertures garnies d'un treillis orthogonal. La terrasse supérieure est ainsi architecturée à la manière d'un véritable solarium comparable à celui, plus modeste, de la villa Vincent. L'escalier donnant accès à l'étage se prolonge vers- le bas jusqu'au vaste sous-sol occupant toute la surface de la villa et de sa terrasse. Le sous-sol est essentiellement constitué d’un vaste garage qui pouvait accueillir à l'origine pas moins trois voitures automobiles. Il comprend également une buanderie, une chaufferie et une cave. En cours de chantier un petit logement indépendant fut également aménagé dans le sous-sol. Constitué d'une chambre, d'une cuisine laboratoire et d'une salle de bain, ce logement avait un accès indirect à la villa au moyen d'un petit escalier de service extérieur donnant sur la terrasse Ouest. La forte pente naturelle du terrain a été mise à profit pour ouvrir deux fenêtres dans le mur de soutènement Ouest permettant d'éclairer et de ventiler naturellement ces espaces en sous-sol.

Cette villa prend tous les atours d'une résidence de villégiature et de représentation. La séquence d'entrée fut particulièrement travaillée par les architectes : depuis la rue la villa se présente sous la forme d'un long mur percé seulement d'un passage donnant accès au jardin et laissant apercevoir le lac. Le visiteur accède à l’intérieur de la villa après avoir longé ce mur et débouche, en se retournant dans le « tambour » d’entrée, sur les espaces de réception baignés de lumière et surplombant le lac. La chambre principale et ses dépendances (bibliothèque, dressing et salle de bain) sont placées dans leur propre aile située dans le prolongement du volume principal de la villa. Jouant des codes bourgeois de représentation, le plan offre, malgré des dimensions modestes, tous les artifices d'une villa balnéaire. La terrasse faisant face au lac englobe toute la façade Ouest de la villa et se prolonge au Sud vers le jardin au moyen d'un escalier orné d'une fontaine formellement comparable à celle aménagée à la même époque dans le jardin de la villa Riant-Parc au Petit-Saconnex. Mais à Cologny cette fontaine se pare d’un ornement de prestige constitué « d'un lion ailé bondissant »2 véritable étendard du mode de vie auquel aspirent les commanditaires. Cet escalier a une double fonction : il permet d’abord d'accéder à la terrasse et aux espaces de réception sans passer par l'intérieur de la villa, mais aussi d'accéder au jardin depuis la terrasse en surplomb. Le jardin situé en contrebas n'est néanmoins pas réellement dédié à la promenade du fait de l'importante déclivité du terrain et de l’absence de vue sur le lac depuis le bas de la parcelle.

Il permet néanmoins d'achever le cadrage du panorama vers le lac depuis les espaces situés au rez-de-chaussée de la villa. Constituant pour ainsi dire un cadre architecturé servant à la mise en scène de la vue splendide sur le lac depuis les espaces privés de la villa, ce bâtiment s'apparente dans une certaine mesure à un modernisme de carton-pâte dans lequel tout serait conçu selon une vision cinématographique de l'architecture. Si la villa cadre soigneusement le paysage naturel qui lui donne sa raison d'être, elle constitue elle-même un paysage architectural qui ne se limite aucunement aux fonctions qu'elle abrite et dont les perspectives dessinées par les architectes lors de la demande d’autorisation de construire rendent parfaitement compte3.
D’un point de vue artistique, la mise en scène artificielle du paysage est achevée par les choix chromatiques moderniste voulus par les architectes. Le choix des couleurs des façades, enduites d'un crépi « rustique », fut en effet confié au peintre Georges Aubert4, dont la proximité avec Le Corbusier le conduisit à s’intéresser à la polychromie architecturale. Il est intéressant de noter que les teintes adoptées (vert et ocre-jaune) sont proches de celle de la villa Vincent à Thônex, réalisée à la même époque par les mêmes architectes et pour laquelle il réalisa les études de la polychromie, telles qu’elles sont partiellement visibles encore aujourd’hui.
Bien que le bâtiment ait été récemment détruit, il semble nécessaire d'évoquer la Villa Dawint conçue simultanément à ce projet à l’extrémité Sud de la villa Les Ailes pour un autre client. Située de l'autre côté du jardin des Ailes, la villa Dawint est la réponse à un programme beaucoup plus modeste. Construite de plain-pied selon des dimensions plus réduites, elle semble constituer une annexe de la villa précédente. Il n'en est pourtant rien puisque les deux villas ont toujours été indépendantes l'une de l'autre. Du fait de l'exigüité du terrain et de la modestie du budget les architectes optèrent pour cette seconde villa, en accord avec les commanditaires, pour une solution minimum constituée d'une « grande pièce organisée pour les divers besoins intérieurs de l'habitation (coin salle à manger, coin chambre à coucher, studio avec coin cheminée) »5. Comme la villa Les Ailles, elle développait une façade largement vitrée à l’Ouest vers le lac tandis que dans les autres façades, et notamment dans celle donnant sur la rue à l’Est, les ouvertures furent réduites au minimum.

Qualité urbanistique:
L’implantation urbaine de la villa Les Ailes tient, comme nous l'avons déjà évoqué, essentiellement au rapport défini par ses architectes entre l'espace public de la rue et le bâtiment. L’ancrage du bâtiment dans la pente du coteau, la succession des espaces et leur orientation forment des séquences complexes qui ne se comprennent que dans un certain rapport au paysage. L’implantation dans la pente du terrain a permis de constituer une succession de terrasses (niveau du jardin, terrasse du rez-de-chaussée, terrasse de la chambre d'invités au premier étage) qui constituent un véritable paysage architectural. Vers le Sud le jardin se décompose en une multitude de plans horizontaux que font communiquer entre eux l'escalier monumental orné d'une fontaine et d'une sculpture.
Etat actuel et recommandations:
De part ses nombreuses qualités architecturales, typologiques et urbanistiques qui en font l’une des villas les plus représentatives à Genève du modernisme de l’entre-deux-guerres, nous considérons que ce bâtiment d’habitation a aujourd’hui une valeur de classement. Les recommandations faites dans les lignes qui suivent sont indissociables de la valeur exceptionnelle de l’édifice.
N'ayant pu visiter la villa il nous est toutefois impossible de donner un descriptif précis de son état actuel. Le bâtiment semble depuis la rue en bon état général. Les crépis extérieurs de la façade Est présentent une texture et une teinte qui pourraient être celles d'origine d’après la description que nous en connaissons. Leur encrassement laisse penser que la villa n'a pas connu de rénovation complète de son enveloppe. Les châssis des fenêtres semblent également d'origine de même que le vitrage vertical de l'escalier ou le verre cathédrale de la salle de bain situés à l'arrière du volume principal de la villa. Lorsqu'un ravalement complet des façades de la villa sera à l'étude il conviendra d'effectuer des sondages chromatiques sur chacune de ses parois extérieures afin d'en déterminer les teintes initiales. Celles actuelles des enduits semblent adopter une différenciation entre des parois orange-ocre et des parois vert-pâle dans des tons similaires à ceux adoptés à peu près au même moment pour la villa Vincent et tendent à confirmer la contribution du peintre Georges Aubert dans ces deux projets. Des sondages ponctuels pourraient permettre de déterminer si les architectes ont utilisé des enduits identiques pour les deux projets. Le jardin semble également avoir bénéficié, contrairement à celui de la villa Vincent, d'un entretien constant de sorte qu'il constitue aujourd'hui encore l'écrin végétal architecturé tel qu'il apparaît dans les plans originaux. Toute mesure de protection touchant la villa devra intégrer la conservation du jardin. Nous avons en effet longuement insisté sur le rapport privilégié de la villa avec son environnement extérieur lointain, s'agissant du lac, mais aussi proche s'agissant du jardin aménagé par les architectes en même temps que la villa. La symbiose entre architecture et aménagement paysager apparaît comme une qualité essentielle de la villa devant être conservée.

Inscriptions

La description de la villa par les architectes évoque, outre la polychromie des façades, quelques éléments de décors qui mériteraient d’être conservés, notamment la cheminée du studio réalisée en marbre « Portor » et bien sûr la fontaine et son lion ailé, oeuvre de l'artiste Hermès.

Caractéristiques
  • Type: Habitation uni-familiale
  • Fonction ancienne: Habitat primaire
  • Fonction actuelle: Habitat primaire

Chronologie
1932 - Construction
  • DD 3310 (23.08.1932): Villa avec portail et clôture
  • Propriétaire(s): SI Les Ailes (Bornet adm.)
  • Architecte(s): VINCENT Louis
  • Ingénieur(s): HONEGGER Jean-Jacques
  • Sources
    • Archives microfilmées DTP - DD 3310 - 3927 (plans) / 6642 (doc. admin.)

Bibliographie
  • « Villa "Les Ailes" et villa de M. J.D. Ls Vincent et J.-J. Honegger, architectes, Genève », in L'œuvre, 1935, pp. 17-18.
  • Werk, n°2, février 1935, p. 17.
  • « Construction nouvelles en Suisse », in L'Architecture d'Aujourd'hui, n°2, février 1937, p.54.
  • « Maison "Les Ailes" 1933, Louis Vincent et J.-J- Honegger », in Neues Bauen in der Schweiz. Führer des Architektur der 20e un 30e Jahren, Schweizer Baudokumentation, Blauen, 1993, pp. 67.
  • CHAROLLAIS Isabelle, LAMUNIERE Jean-Marc, NEMEC Michel, L’Architecture à Genève 1919-1975, Lausanne, Payot, 1999, pp. 330-332.
  • VINCENT Louis (?), Villa de M et Mme Dawint à Ruth (Cologny), 2 pages dactylographiées, IAUG, Fonds Louis Vincent (VIN 36).

Iconographie

Villa Les Ailes, fenêtre à barreau en façade nord
Villa Les Ailes. Plan du rez-de-chaussée publié dans L'Architecture d'Aujourd'hui, 1937
Villas Dawint (à droite) et Les AIles (à gauche) - photo publiée dans L'Architecture d'Aujourdhui, 1937
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Date de génération : 2015-07-29