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Entre la chèvre et le chou... : (a)ménagements agricoles

Genève, une ville entourée d’un peu de jardin? C’est faire fi d’une zone agricole qui est considérée par les uns comme un poumon essentiel du canton, par les autres comme une vache sacrée, par d’autres encore comme un réservoir de terrains à bâtir. La diversité des discours ne peut qu’interpeller les historiens, les sociologues et les géographes genevois.

La richesse encore largement ignorée des archives de Genève sur l’histoire de la campagne devrait féconder l’étude d’un sujet fascinant, de par la situation du canton au carrefour du Rhône, de la Méditerranée, des Alpes et du Jura.

Affiche de l'exposition

 

La présente exposition arrive au milieu d’un débat, qu’elle devrait éclairer par le recours à l’histoire et à la réflexion sur la longue durée. En effet, depuis le début du XXe siècle, l’urbanisation galopante de ce pays suscite des interrogations diverses, sans cesse renouvelées au gré des circonstances, quant à l’avenir de la zone agricole: y a-t-il encore de la place pour les agriculteurs dans la société helvétique?

A Genève, l’étroitesse des frontières cantonales et nationales, voulue autant par les Genevois de 1815 que par leurs voisins et contemporains savoyards et français, rend le problème encore plus aigu.

 

La force des choses l’emporte sur la politique, sur les autorités fiscales et sur les douaniers: la ville, sautant par-dessus l’immense zone de villas, la zone agricole et la forêt, se développe en France voisine… dans le territoire de cette zone franche qui nous est garantie par des traités internationaux qui ne sont pas appliqués.

La direction des Archives d’Etat, aiguillonnée par un groupe d’amis passionnés et compétents en matière d’aménagement, de viticulture, d’histoire rurale, a donc décidé, à la faveur de cette exposition, de mettre en valeur des fonds d’archives peu connus et peu exploités, et, pourquoi pas, d’orienter les réflexions des décideurs vers la longue durée et une appréciation globale de notre société. Plus modestement elle souhaite apporter sa pierre au débat transfrontalier sur l’aménagement du territoire en rappelant les constantes comme les variables de l’histoire.

Jusqu’où va l’arrière-pays de Genève?

La Notitia Galliarum, liste des cités des Gaules établie au milieu du Ve siècle sur la base de l’organisation de l’Empire romain, attribue au diocèse de Genève un immense espace, comparable à ceux des autres diocèses alpins tels que Constance, Brixen, Freising: il englobe l’actuel Canton, le département de la Haute-Savoie et, dans le département de la Savoie, les environs d’Albens, de Ruffieux et du Châtelard en Bauges, soit une étendue d’environ 4650 kilomètres carrés. Cette période lointaine est peut-être celle où, malgré son enfermement entre les montagnes, la ville de Genève a commandé le plus grand espace géographique. Plus tard, avant le Xe siècle, le diocèse s’étendra jusqu’à l’Aubonne.

Très tôt, les troubles qui marquent la fin de l’Empire romain et la dispersion de la puissance publique sur une foule de petits et moyens seigneurs, ont réduit cet espace à la ville et à son bassin, limité par le Salève, le Vuache et le Jura. Quant au pouvoir de l’évêque, s’il s’étend au spirituel sur tout le diocèse, il ne s’exerce au temporel que sur la ville et sur quelques villages qui seront progressivement organisés, à partir du XIIIe siècle, en trois petits «mandements».

Au moment de la Réforme, à la faveur de la conquête bernoise, les autorités de la ville se saisissent des mandements épiscopaux et de quelques-uns des villages ayant dépendu du Chapitre de Saint-Pierre ou du prieuré de Saint-Victor. Mais jusqu’en 1754 elles devront partager les droits de juridiction sur ces villages avec les Bernois, puis avec la Maison de Savoie. C’est seulement à partir du milieu du XVIIIe siècle que s’imposera à nouveau la notion de territoire, et que Genève disposera de véritables frontières territoriales à l’intérieur desquelles elle possède la plénitude des droits de juridiction. Ces frontières restaient toutefois très tourmentées, et les terres genevoises restaient enclavées en France, en Savoie et dans le Canton de Berne (Céligny).

Annexée par la République française en 1798, Genève devient préfecture du département du Léman, organisé par la loi du 25 août 1798, comprenant le Pays de Gex et les monts du Jura jusqu’à la Valserine, les régions du Chablais, du Faucigny et du nord du Genevois. Le territoire de l’ex-République ne compte dans cet ensemble que pour un peu plus d’un pour cent de la superficie, et la ville de Genève n’abrite que 11,4 pour cent de la population totale. Mais durant cette période de quelque quinze ans, Genève a recouvré une supériorité administrative sur la plus grande étendue que la cité ait jamais contrôlée.

C’est pourquoi le retour aux anciennes limites et le rattachement à la Confédération, qui suppose le «désenclavement» des terres genevoises a pu constituer à cet égard une déception. Pour ses négociations au Congrès de Vienne, Charles Pictet-de Rochemont avait pour instructions d’obtenir une vaste région, bornée par des frontières physiques: le Jura, le Rhône, les Usses, les crêtes des Aravis, puis les montagnes séparant la Savoie du Valais, du Mont-Blanc au Léman. Mais il n’obtint de la couronne de Sardaigne que vingt-quatre communes, et du royaume de France six communes du Pays de Gex. Ainsi était créée une frontière territoriale tourmentée, élaborée selon les conceptions de l’Ancien Régime, où l’assiette territoriale des Etats se fonde sur des trocs d’espaces et de populations, selon les convenances des souverains et des gouvernements.

En compensation de cette frontière véritablement handicapante pour l’économie et la vie régionales, le traité de Paris de 1815 accorda à Genève une petite zone franche comprenant le Pays de Gex, et les négociations avec Turin lui procurèrent en 1816 une autre petite zone franche comprenant Douvaine, Annemasse et l’ensemble du Salève. En 1860, dans le cadre de l’annexion de la Savoie à la France, la zone franche fut étendue et les douanes françaises reculées jusqu’aux Usses, au Plateau de la Borne et aux Aravis, donnant à Genève un marché potentiel de 250'000 habitants.

La Grande Zone fut compromise par la Première Guerre mondiale et finalement supprimée. En revanche, les autorités suisses obtinrent en 1932 un arrêt de la Cour de justice internationale de La Haye rétablissant les petites zones de 1815 et 1816, confirmé par la sentence de Territet en 1933, mais non appliqué. Donc jusqu’où va l’arrière-pays de Genève? Affaire de conjoncture politique…

Comment gérer l’exiguïté du territoire cantonal ?

Ce territoire restreint, composé entre 1749 et 1816, convenait assez bien à la vieille Genève conservatrice, et à sa classe dirigeante à l’époque de la Restauration. En revanche, la Genève de James Fazy, ville ouverte, libérée du corset de ses vieilles et coûteuses fortifications, allait exercer sur son environnement régional une pression croissante, qui tôt ou tard devait obliger les autorités mises en place par la constitution de 1847 à discipliner l’aménagement de ce territoire limité. Limité, mais désormais ouvert sur un monde plus lointain par le chemin de fer, puis par l’avion, et enfin par l’automobile, par la construction de l’autoroute de contournement.

Toutefois, ces aménagements dédiés à la mobilité sont moins «mangeurs» de terres agricoles que les zones de villas ou les zones industrielles. Longtemps, l’aménagement s’est fait dans le désordre, au gré des seigneuries petites et grandes occupant ce territoire. Le non-aménagement du quartier des institutions internationales en est un bon exemple.

La première tentative sérieuse de remédier à ce développement anarchique est constituée par les lois du 9 mars 1929, l’une sur l’extension des voies de communication et l’aménagement des quartiers ou localités, l’autre sur les constructions et installations diverses. En 1930, la fusion avec la ville de Genève des communes des Eaux-Vives, de Plainpalais et du Petit-Saconnex amorce le développement de l’agglomération. Mais la réalisation de ces ambitions se heurte à la crise et à la guerre de 1939-1945, et c’est seulement à partir de l’explosion économique et démographique des années 1950 que des efforts et des réalisations majeures sont enregistrés en matière d’aménagement. Jusqu’alors, l’agglomération genevoise est constituée par Genève et Carouge. A partir de 1951 et jusqu’en 1955, elle comprend 5 communes, de 1956 à 1963, elle intègre 16 communes et depuis 1964, 28 communes. Cités satellites, zones industrielles rongent désormais la campagne, tandis que la construction d’équipements publics, scolaires, bancaires et internationaux, attire à Genève une population nombreuse, aisée, avide de confort, de nature et de sécurité.

Dès 1950, donc, il a été nécessaire de distinguer, dans la législation sur l’aménagement du territoire, entre la zone agricole proprement dite, où se déroulent les «travaux des champs», et la zone des villas, dont le «saupoudrage» sur l’ensemble du canton menaçait de faire disparaître de nombreux secteurs agricoles exploitables. C’est ainsi que la loi sur les constructions et installations diverses, dans sa version de 1952, divise la cinquième zone en «cinquième zone A», destinée aux villas, et «cinquième zone B», à vocation agricole. En 1957, une loi sur le développement de l’agglomération urbaine crée des «zones de développement» qui se superposent aux zones de construction préexistantes. Son application tend à intensifier la construction de logements en zone de villas, ou à densifier cette zone, tandis que la zone agricole reste plutôt stable, entamée toutefois par l’extension des zones de développement industriel.

La protection de la zone agricole a cependant été renforcée par les dispositions de la loi sur la protection de la nature et par l’établissement, en 1961, du plan directeur cantonal, mis à jour en 1975. Ce plan a été complété en application de la législation fédérale sur l’aménagement du territoire, dont l’un des principes essentiels est la sauvegarde de l’agriculture et des sites : la version adoptée en 2003 par le Conseil fédéral est censée déterminer les développements futurs jusqu’en 2015.

Le système établi en 1952 devait réserver à la construction de logements et d’équipements divers une zone suffisante jusqu’à la fin du XXe siècle. Toutefois la pression démographique ne se relâchant pas, ces espaces sont aujourd’hui jugés insuffisants, et les appétits s’aiguisent en direction de la zone agricole, préservée jusqu’à maintenant. Qu’en adviendra-t-il si des intérêts sectoriels ou locaux l’emportent sur une conception globale et si possible consensuelle de l’aménagement du canton et de la région? Si l’on considère l’ensemble du bassin genevois, on doit constater que l’urbanisation rapide des communes françaises de Haute-Savoie et de l’Ain jouxtant le canton de Genève rend plus nécessaire encore la préservation de la zone agricole. En cas d’échec de la politique poursuivie depuis plus de trois quarts de siècle, on pourrait assister à bref délai à des jonctions d’agglomérations par-dessus la frontière, comme cela s’est déjà produit entre Thônex et Annemasse, parallèlement à l’encerclement du canton par des développements urbains français.

Le cheminement de l’exposition

Le plan directeur cantonal présente d’entrée de jeu le problème existentiel de la zone agricole. Après une démonstration de la situation géographique de Genève, au plan physique comme au plan historico-politique, l’exposition aborde des aspects de l’histoire rurale dans la durée: l’impact de la Grande Peste de 1348 sur le terroir, l’organisation et la stratégie de la Chambre des Blés de 1628 à 1798, le contrôle de la terre et de ses revenus par le cadastre, dès la fin du XVIIe siècle, la constitution des grands domaines de la campagne, et la division des biens communaux entre les habitants des villages.
Puis viennent les efforts pour vaincre le handicap des frontières trop étroites: la création du régime des zones et son développement jusqu’à sa suppression de fait, ou sa non-application, à la suite de la Deuxième Guerre mondiale. Les améliorations foncières constituent l’un des points forts de l’exposition: en effet, les Archives d’Etat détiennent depuis quelques années un fonds considérable en provenance du service de l’agriculture, qui illustre tout un pan de l’histoire récente de la zone agricole: chantiers de drainage, remaniements parcellaires, plan Wahlen, toutes ces entreprises d’envergure, plus ou moins bien vécues par nos pères, font partie de l’histoire du canton, même si elles sont aujourd’hui remises en question. Les dernières vitrines sont consacrées à la législation sur l’aménagement du territoire et, pourquoi pas?, à des rêves d’avenir. Comment prendre en compte toutes les tendances centrifuges et parfois égoïstes qui s’attachent à la zone agricole afin de protéger celle-ci dans la perspective du bien commun?

La direction des Archives d’Etat remercie ici tous ceux qui, de près ou de loin, ont contribué à la réalisation de cette exposition: Mme Véronique Probst, archiviste assistante, commissaire de l’exposition, qui a recueilli et organisé les idées, les suggestions venues de divers côtés pour les mettre en forme; Mme Françoise Berguer, qui a suggéré le sujet et n’a pas ménagé sa peine et ses démarches pour le faire aboutir, et M. Erwin Oberwiler, architecte et urbaniste, auteur des vitrines d’entrée, qui nous a fait bénéficier de ses réflexions sur le long terme; M. Dominique Zumkeller, docteur ès sciences économiques et sociales, spécialiste de l’histoire agraire, dont la connaissance intime des fonds publics et privés sur l’histoire de la campagne a fait merveille; et Mme Janine Csillagi qui, avec tout le personnel des Archives d’Etat, a fait comme d’habitude preuve d’un engagement sans limite pour la réalisation technique des vitrines, de l’affiche et de la brochure.

Genève, en mai 2004.

Catherine Santschi
Archiviste de l’Etat

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