Entre peur du mal et traités de démonologie, la chasse aux sorcières frappe l’Europe du XVe à l’aube du XVIIIe siècle, avec une apogée répressive entre 1560-1570 et 1620-1630. Environ 110'000 procès et près de 60'000 individus (7 fois sur 10 une femme) exécutés: après la Réforme, le phénomène surtout rural agite la frontière litigieuse entre catholicisme et protestantisme. Le déclin s’amorce jusque vers 1670-1680, puis la chasse s’arrête.
A Genève, depuis 1527 (criminalité apparente), souvent sur fond de peste, la répression culmine entre 1565-1571, puis entre 1608-1616. 337 inculpés, 222 procès (76% de femmes, 24% d’hommes), 70 condamnés à mort exécutés publiquement (47 femmes, 23 hommes) jusqu’en 1652: le procès inquisitoire fabrique la culpabilité avec la torture. Des chirurgiens assermentés doivent identifier sur le corps de l’accusée la marque insensible du Diable.
Après une pause de 26 ans, en 1652 la Savoyarde Michée Chauderon est la dernière sorcière exécutée à Genève. Elle aurait croisé l’ombre du diable puis empoisonné deux filles qui, avec d’autres femmes, l’accusent. Les experts divergent sur la nature de la marque. La torture de l’estrapade arrache l’aveu de Michée Chauderon. Elle est pendue. Son cadavre est brûlé. Ensuite, les douze justiciables accusés de maléfice jusqu’en 1681 sont relaxés ou bannis. La peur du diable quitte la tête des juges.
Henricus INSTITORIS, Jakob SPRENGER, Malleus Maleficarum [1487], Venise, Bertano, 1576
Premier traité européen de démonologie, Le Marteau des sorcières (Malleus Maleficarum) que publient en 1486 ou 1487 les inquisiteurs Henry Institoris (1436-1505) et Jacques Sprenger (1436-1496) est imprimé 34 fois avant 1669. Une vingtaine d’autres traités de démonologie s’impriment jusqu’au début du XVIIe siècle. Entre théologie, droit canonique et droit pénal, ces textes qualifient le crime de maléfice, justifient la répression par la justice séculière et formalisent le stéréotype du sabbat.
BGE, Ba 2697
«Confession» de Michée Chauderon
Accusée par huit femmes de son voisinage d’avoir empoisonné deux filles dès lors «possédées» par le diable, la lavandière savoyarde Michée Chauderon, née en 1602, confirme ses aveux qu’arrache la torture de l’estrapade.
AEG, P.C. 1re série 3465 («sorcellerie»), 1652, folio 45
Sentence capitale de Jeanne Brolliet
Depuis le XVIe siècle, la peine capitale sanctionne à Genève le crime de sorcellerie. En 1623, accusée d’empoisonnement au moyen d’une poudre maléfique, avouant les faits sous la torture, Jeanne Brolliet est la dernière justiciable à être brûlée vive.
AEG, P.C. 1re série 2587 («sorcellerie»), 23 avril 1623, non folioté
Transcription modernisée Prononcée et exécutée le 23e Avril 1623 Mes très honorés seigneurs, ayant vu le procès criminel fait et formé par devant eux à l’instance et poursuite du Seigneur Lieutenant auxdites causes instant contre Jeanne Brolliet, par lequel et ses confessions leur conste et appert qu’icelle, renonçant [à] Dieu son créateur et sa part de Paradis, aurait pris le Diable pour son maître et obéissant à ses maudits et damnables commandements aurait mis les démons dans le corps de deux personnes, cas et crimes méritant griève punition corporelle. A ces causes et autres instes à ce mesdits Seigneurs mouvantes, séants au Tribunal au lieu de leurs prédécesseurs suivant leurs anciennes coutumes. Ayant Dieu et ses saintes écritures devant leurs yeux et invoqué son saint nom pour faire droit jugement, disant au nom du père, du fils, et du Saint Esprit Amen. Par cette leur définitive sentence laquelle ils donnent ici par écrit, condamnent ladite Brolliet à devoir être liée et menée en la place de Plainpalais et là être brûlée vive dans un feu ardent, façon accoutumée, tellement que l’âme soit séparée du corps et son corps réduit en cendres, et ainsi finir ses jours pour servir d’exemple à tous ceux qui tel cas voudraient commettre. Déclarant en outre ses biens acquis et confisqués à la Seigneurie, mandant au Seigneur Lieutenant de faire mettre leur présente sentence à due et entière exécution. |
Sentence capitale de Michée Chauderon
Michée Chauderon est le soixante-dixième et dernier justiciable exécuté pour crime de sorcellerie à Genève pour avoir «baillé le mal» dans son entourage. Elle est pendue, puis son cadavre est brûlé. Depuis 1626, année de la pendaison à Jussy de la sorcière Rolette Revillod, plus aucune condamnation à mort pour maléfice n’est prononcée dans la cité calviniste.
AEG, R.C. 151, 1652, folio 104 (détail)